La santé en campagne dans Nicolet–Bécancour

À grand renfort de panneaux publicitaires, une campagne de mobilisation bat son plein pour l’urgence de Fortierville.

Tandis que les jours sont comptés avant l’ouverture de la période électorale, une autre campagne s’est mise en branle en début de semaine dans la région, menée par la MRC de Bécancour, pour l’urgence de Fortierville. Si la classe politique centricoise reconnaît au préfet Mario Lyonnais la légitimité de sonner la charge, malgré son statut de candidat conservateur annoncé, le député sortant Donald Martel siffle un air dissonant et décoche une première flèche à l’endroit de son adversaire, à mots à peine couverts. Santé, avez-vous dit? La bataille de Nicolet-Bécancour semble lancée.


«La meilleure personne qu’ils ont pour défendre ce dossier-là, je pense sincèrement que c’est moi», lance d’emblée le caquiste Donald Martel. «On a des bonnes chances d’être au pouvoir à la prochaine élection. Le premier ministre est au courant du dossier, le ministre de la Santé est là, je pense que je suis le bon porteur de ballon», insiste-t-il.

Sans entrer dans les détails, le député de Nicolet-Bécancour relate avoir eu une offre de projet pilote de la part du ministère de la Santé, pour contourner les problèmes de main-d’œuvre à l’urgence de Fortierville. Une proposition qu’aurait rejeté le CIUSSS, qui penche plutôt pour une offensive de recrutement de médecins, position à laquelle le député se rallie – «Je suis transparent», dit-il.



Le député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, se demande si l’approche de la campagne électorale n’a pas joué dans la stratégie de mobilisation menée par la MRC de Bécancour et son préfet, Mario Lyonnais, candidat conservateur annoncé.

La campagne en cours, déployée sur d’immenses panneaux publicitaires en bordure des autoroutes, vise à renverser la clause administrative qui interdit désormais à l’urgence de Fortierville de recourir aux services de médecins dépanneurs, les heures d’ouverture de l’urgence ayant été réduites.

«Jusqu’au mois de juin, on les avait les médecins dépanneurs. Depuis l’automne passé, [ils] rendaient des services à nos médecins sur le terrain, qui sont à l’urgence», note le préfet de la MRC de Bécancour, Mario Lyonnais. «Là, d’un coup sec, il y a quelqu’un, quelque part, qui s’est dit: “vous n’avez plus le droit à ça, parce que vous n’avez plus une urgence 24 heures”. Ça n’a pas de bon sens!», peste celui qui a annoncé qu’il défendra les couleurs conservatrices dans la circonscription, à l’occasion du scrutin du 3 octobre prochain.

Si le préfet Lyonnais et le député Martel se rejoignent sur les solutions à court et à moyen termes – retour des médecins dépanneurs, puis offensive de recrutement pour des médecins permanents –, les deux hommes politiques divergent sur la façon d’arriver à leurs fins.

«Je pense que si on avait été dans un autre contexte, qui n’était pas à l’approche des élections, je pense qu’on m’aurait appelé, qu’on m’aurait consulté, puis on aurait dit: “comment est-ce qu’on peut travailler ensemble?” C’est comme ça qu’on travaille [habituellement] sur la rive sud», soutient le député sortant.



Appelé à préciser sa pensée, Donald Martel ne s’avance pas davantage. «Je fais confiance aux gens pour l’opinion qu’ils vont se faire de ça», laisse-t-il tomber. Le député estime cependant que les 25 000 $ injectés dans l’actuelle campagne de mobilisation auraient été mieux investis dans une offensive de recrutement.

De son côté, Mario Lyonnais se défend de vouloir tourner la situation à son avantage. «Je suis encore préfet, mon mandat me permet de faire ce rôle-là. Mes municipalités m’ont donné ce mandat-là, puis la population m’a donné ce mandat-là aussi... Je n’ai pas entendu personne dans la population dire “Mario, t’es pas à la bonne place!”», soutient le candidat conservateur.

Au contraire, M. Lyonnais renvoie la balle dans le camp du gouvernement. «Des décrets, des décrets, ils en passent toutes les semaines. Pouvez-vous mettre ça dans un décret, qu’on ait droit à nos médecins dépanneurs? Il y en a qui cognent à notre porte, qui veulent venir et qui ne peuvent pas venir», martèle le politicien.

Le préfet Mario Lyonnais se défend de détourner la situation à l’urgence de Fortierville à des fins politiques.

Deux mairesses au front

«Le CLSC [et son urgence], c’est le CLSC de toute une région, pointe Julie Pressé, mairesse de Fortierville. J’ai dit aux maires que je ne pouvais pas mener ce combat-là toute seule, j’ai besoin qu’on aille au front tout le monde ensemble».

Mme Pressé considère ainsi que la présence de M. Lyonnais aux premières lignes est naturelle. «Mario a toujours été là. Il était là en 2019, il était là en 2020. Moi, j’ai interpellé mon préfet, à la base», maintient celle qui souligne que la campagne de mobilisation relève d’une action concertée de la table des maires.

La mairesse de Fortierville soutient que le chevauchement des campagnes publicitaire et électorale est fortuit, et que le député de Nicolet-Bécancour demeure l’interlocuteur de la MRC. «M. Martel est ma voix auprès du ministre. Campagne électorale ou pas, je passerais par la même place».



Si elle assure ne pas vouloir s’immiscer dans la campagne électorale, la mairesse Pressé n’en attend pas moins des gestes concrets, plutôt tôt que tard. «M. Martel nous a tout de suite dit qu’il allait prendre action, qu’il allait parler au ministre, pour qu’on fasse revenir les médecins dépanneurs, il était à la même place que nous autres. Mais depuis ce temps-là, il ne se passe rien», déplore-t-elle.

Julie Pressé, mairesse de Fortierville, exige une action politique rapide pour dénouer l’impasse administrative qui prive l’urgence du CLSC des services de médecins dépanneurs.

Du côté de Nicolet, l’enjeu du maintien des services à l’urgence Christ-Roi trône également au sommet des préoccupations de la mairesse Geneviève Dubois. Là aussi, les enjeux de main-d’œuvre font craindre un recul des services à la population. Si le CIUSSS rapporte que «tout le personnel sera en place cette fin de semaine», on convenait encore récemment avoir recours aux listes de rappel pour assurer l’intégrité des services, en qualifiant la situation de «précaire».

«Chez nous, le nombre de patients qui se retrouvent à être sur la route, pour toutes sortes de services et de spécialités qu’on avait ici avant, dans nos milieux, c’est fou», se désole la mairesse Dubois, qui a toujours à la mémoire la perte de sept services spécialisés, présentée en 2017 comme «une situation temporaire».

Services de proximité déficients, bénévoles vieillissants, Geneviève Dubois se demande si ses citoyens, au nombre desquels on compte une large part d’aînés, continuent d’aller chercher les soins dont ils ont besoin. «Ça me questionne sur la santé de notre population», confie celle qui entend bien profiter de la campagne pour ramener les enjeux sanitaires à l’avant-plan.

Celle qui occupe également le siège de préfète à la MRC de Nicolet-Yamaska considère par ailleurs que la charge menée par son homologue de Bécancour est tout à fait légitime. «M. Lyonnais est quand même de la bataille de la première heure, estime-t-elle, je ne pense pas qu’il utilise sa position de candidat [conservateur] pour se faire du capital politique».

De fait, la mairesse et préfète semble plus préoccupée par le rôle que joue l’actuel député de la circonscription et sur ses engagements à venir. «Je l’ai entendu parler à la radio “d’urgence un peu plus éloignée”, en parlant de Nicolet... Je suis quand même une ville-centre, au Centre-du-Québec. Je ne me sens pas du tout éloignée. Éloignée de quoi? Je ne sais pas! C’est sûr qu’on a des discussions à avoir», laisse entendre l’élue.

Geneviève Dubois, mairesse de Nicolet, entend profiter de la campagne électorale pour exiger des garanties en matière de services de santé de proximité.

Les oppositions mobilisées

Du côté des candidats des trois autres partis nationaux dans Nicolet-Bécancour, à peu de choses près, la campagne pour l’urgence de Fortierville semble susciter un élan de mobilisation étrangement solidaire, à la veille d’une course électorale.

«M. Lyonnais est préfet, c’est normal qu’il mène la bataille», déclare Marie-Josée Jacques, candidate libérale. Celle qui aspire à succéder à Donald Martel réserve ses critiques pour le parti au pouvoir. «Les urgences débordent de partout, ils laissent fermer les urgences de région, et ils ne font rien, aucune action concrète», déplore-t-elle.



«C’est une bonne cause, il fait sa job de préfet», reprend à son tour Jacques T. Watso, candidat solidaire. «On est pas mal tous unanimes et solidaires dans ce dossier-là. Ça avait été le cas [lors du conflit de travail] à l’ABI en 2018. Tous les partis étaient solidaires avec les travailleurs», rappelle-t-il.

Plus nuancé, le candidat péquiste salue l’actuel travail du préfet Lyonnais, mais l’invite à réfléchir à son rôle au lancement des hostilités électorales. Philippe Dumas estime que les revendications légitimes des maires et mairesses de la MRC de Bécancour sont difficilement conciliables avec les positions du Parti conservateur du Québec. Le candidat se désole par ailleurs que des élus municipaux en soient réduits à utiliser des fonds publics «pour parler au gouvernement». «Qu’est-ce qui se passe pour qu’on en soit rendu là?», demande celui qui en appelle à une intervention politique pour dénouer l’impasse.