C’est une méprise très commune de concevoir le Big Bang — moment où l’Univers est «né» — comme une sorte d’immense explosion qui serait survenue en un point très précis et très petit. Le nom lui-même, en plus du fait que l’Univers est expansion, rend cette interprétation très tentante, très intuitive, mais ça n’est pas la bonne, explique Hugo Martel, cosmologiste à l’Université Laval : «Si l’Univers est infini présentement, il l’était également à l’époque du Big Bang. Et s’il est infini, ça veut dire qu’il n’a pas de centre [ndlr : alors qu’il en aurait un s’il était parti d’un point précis pour s’agrandir dans toutes les directions, comme l’implique l’idée d’une explosion].»
On ne sait pas ce qu’il y avait avant le Big Bang ni ce qui l’a provoqué, mais il est acquis qu’il s’est produit partout en même temps.
Maintenant, précise M. Martel, il faut distinguer deux choses : la taille de l’Univers et celle de l’«Univers observable». «On ne sait pas si l’Univers au complet est infini, mais les observations suggèrent que oui, dit-il. On regarde la matière et l’énergie sombre [une forme d’énergie encore très mal connue, mais qui constituerait environ les deux tiers de l’Univers], on fait des modèles à partir de ça, et ils suggèrent que l’Univers est infini. C’est la quantité de matière et d’énergie qui détermine le taux d’expansion de l’Univers et, de ce qu’on sait présentement, c’est cohérent avec un Univers infini.»
L’Univers observable, lui, est la partie de l’Univers dont la lumière a eu le temps de se rendre jusqu’à la Terre. La lumière a beau voyager absurdement vite, à 300 000 kilomètres par seconde, sa vitesse n’est pas infinie, si bien qu’elle n’a pas pu franchir plus de 13,8 milliards d’années-lumière depuis le Big Bang (l’année-lumière étant la distance que franchit la lumière en un an). Il est physiquement impossible de voir ce qui est au-delà de cette distance puisque la lumière ne nous est pas encore parvenue. Et pourtant, le rayon de l’Univers observable est bel et bien d’environ 45 années-lumière. Contradiction ?
Non, répond M. Martel : c’est simplement un effet de l’expansion continuelle de l’Univers. Celle-ci est un fait qui est connu depuis grosso modo le début du XXe siècle. Dans les années 1910, l’astronome américain Vesto Slipher a calculé la vitesse de 25 galaxies par rapport à la Terre et a réalisé que la plupart (21 sur les 25) s’éloignaient de nous, à des vitesses dépassant parfois les 2000 km/s. Quelques années plus tard, un autre Américain, Edwin Hubble, a constaté que non seulement presque toutes les galaxies s’éloignent de nous, mais que ce sont généralement les plus lointaines s’éloignent le plus rapidement. Et à moins de présumer que la Voie lactée est située en plein centre de l’Univers, cela signifie que presque toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres. Ce qui ne peut mener qu’à une seule conclusion logique : l’Univers s’agrandit.
Et c’est cela qui explique comment l’Univers «observable» peut avoir un rayon supérieur à 13,8 milliards d’années-lumière. «Pour qu’on puisse voir une source lumineuse, dit M. Martel, il faut qu’elle se soit trouvée à l’intérieur de 13,8 milliards d’années au moment où elle a émis sa lumière. Mais entre cet instant-là et le moment où la lumière arrive jusqu’à la Terre, il peut s’être passé beaucoup de temps au cours duquel l’Univers a poursuivi son expansion. Alors au moment où on reçoit la lumière, sa source est rendu plus loin.» C’est comme cela que l’on concilie l’âge de l’Univers et son «horizon» (la limite de ce qui est observable).
Notons que cette expansion ne doit pas se comprendre comme un effet du mouvement des galaxies elles-mêmes. «Il ne faut pas non plus s’imaginer une frontière qui s’éloigne, dit M. Martel. Si l’Univers est infini, il n’y a pas de frontière.» C’est plutôt l’espace-temps qui s’agrandit et qui ajoute donc continuellement de la distance entre les objets. Hubble a calculé que pour chaque «mégaparsec» (Mpc, l’équivalent d’environ 325 millions d’années-lumière), l’espace s’agrandit au rythme d’environ 70 km/sec.
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Veuillez noter que cette chronique fera relâche quelques semaines, le temps que son auteur recharge ses batteries complètement à plat. De retour le 4 septembre.
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