Temps durs et éclaircies dans les rues de Grand-Mère

Insécurité et pauvreté semblent aller de pair dans l’esprit de certains citoyens du secteur Grand-Mère, à Shawinigan.

Trois voitures de police se garent en trombe, vendredi matin, avenue de Grand-Mère, angle 5e Rue. Les agents viennent prêter main-forte à deux travailleuses sociales, tandis qu’un «client» refusait de collaborer. Dans la rue, une femme erre et arpente la chaussée, gesticulant et vociférant à elle-même de vagues injures incompréhensibles. Sur le trottoir d’en face, sous un ciel radieux, quatre retraités commentent la scène à voix basse, en hochant de la tête. Une journée comme une autre dans le quartier Saint-Paul?


«C’est épouvantable comment ça brasse. Moi, je suis né ici et je ne reconnais plus personne». «Toutes les usines ont fermé, il n’y a plus rien qui fait vivre le monde». La discussion va dans tous les sens et témoigne d’un certain sentiment d’insécurité. «Le soir, je ne vais jamais plus loin que la 7e, c’est trop dangereux», confie un des badauds.

Les quatre amis se demandent surtout si l’intervention policière en cours est liée à l’agression survenue en début de semaine, alors qu’un homme de 90 ans aurait été violemment bousculé et volé à la sortie d’une banque, à deux pas de là. «Il a été opéré, ça a l’air qu’il va pas mal mieux, relate une des femmes du groupe, j’ai dit à mon mari: ça aurait pu être toi!».



Tout en appelant à la prudence aux abords des institutions financières, la Sûreté du Québec continue de son côté de parler d’un «incident isolé». Le suspect court toujours, pendant que dans la rue et sur les réseaux sociaux, «le voyou» est accablé de toutes les injures. La pauvreté rampante est montrée du doigt.

Une opération policière à caractère psychosocial a eu lieu vendredi matin, avenue de Grand-Mère, angle 5e Rue.

Les pauvres, quels pauvres?

Tel un échiquier, les vitrines de l’avenue de Grand-Mère alternent entre «ouvert» et «fermé». La «6e» animée, l’effervescence commerciale et les trottoirs bondés relèvent du temps jadis. Nouveau phénomène, des locaux commerciaux semblent avoir été investis par des ménages en quête d’un toit, faute de mieux. Solution ou terminus? La réalité s’avère plus complexe et ne se définit pas en noir et blanc, notent les intervenants sociaux rencontrés dans le secteur.

Dans une ruelle, Danny Edwardson a la tête plongée dans un bac à ordures, à la recherche de canettes vides. «Le BS me donne 720 $ par mois, mon loyer m’en coûte 420 $, expose l’opérateur de machinerie lourde, aux prises avec deux hernies à l’abdomen, j’arrondis mes fins de mois». En attente d’une opération, le quinquagénaire ambitionne de réintégrer le marché du travail, une fois sa santé rétablie. «Après l’opération, je ne pourrai pas lever plus que dix livres pendant un bout», prévient-il toutefois. Une histoire parmi tant d’autres.

En attente d’une importante opération, Danny Edwardson arrondit ses fins de mois en récupérant des canettes vides.

Chômage, santé mentale, toxicomanie, vieillissement, les visages et les causes de la pauvreté sont multiples, souligne-t-on dans les différentes ressources communautaires du quartier. Optimistes, engagées, celles-ci s’affairent cependant à voir le verre à moitié plein, à semer l’espoir et à récolter les petites victoires.



Attention, stigmatisation

«Je t’apprécie beaucoup», «Ton sourire m’ensorcelle», «Tu es important». Un compliment peut changer une vie, stipule une petite annonce à languettes détachables, à l’entrée du Centre d’entraide Aux rayons de soleil. «Servez-vous!», invite l’affichette. Deux languettes sont manquantes. Des compliments ont déjà trouvé preneurs, semble-t-il. Le ton est donné.

«On a un centre de jour pour briser l’isolement. Les gens viennent ici pour téléphoner, pour chercher de la nourriture, pour rencontrer un intervenant, parce qu’ils ne comprennent pas leurs papiers, ils cherchent un logement, ils vont être expulsés, on répond à de nombreux besoins», énumère Patricia Dellow, volubile directrice générale de la ressource de première ligne.

En parallèle, Aux rayons de soleil opère un centre d’hébergement après thérapie, «régi par 84 articles de loi», insiste Mme Dellow. «Il y a des rondes à l’heure, il y a des prises de présence», souligne-t-elle. Lors de l’incident impliquant un aîné en début de semaine, on a fait le tour de la ressource, par acquit de conscience, note la directrice générale

«C’est facile pointer le doigt vers nous», souffle Patricia Dellow. Or, la ressource, tant par son centre de jour que par son centre d’hébergement, fait partie des éléments de solution, plaide celle qui cumule 17 ans d’intervention de première ligne.

Patricia Dellow et Sandrine Larivé, respectivement directrice générale et intervenante au Centre d’entraide Aux rayons de soleil, secteur Grand-Mère, à Shawinigan.

«On a quelqu’un, la seule place qu’il connaissait depuis les 35 dernières années, c’est le parc Champlain à Trois-Rivières. Après sa thérapie, il nous l’a dit, s’il était parti sans rien d’autre, il serait encore dans le parc aujourd’hui. Au lieu de ça, il est dans un logement l’autre bord [de la rue], il est abstinent depuis deux ans, ça va bien, il a une vie plus normale», se félicite Mme Dellow, dont le sac regorge de pareilles histoires.

De fait, au-delà de la pauvreté, l’isolement et la stigmatisation pèsent lourd dans les milieux défavorisés, pointe l’intervenante. Et la pandémie n’a rien fait pour arranger les choses. La directrice générale se demande ce qui se serait passé au moment du grand confinement si la ressource avait fermé ses portes. Les intervenants se sont plutôt serré les coudes, quitte à accueillir la clientèle dans la rue. La situation a même donné lieu à de belles démonstrations de solidarité, se souvient-elle.



Appelée à commenter l’idée voulant que Shawinigan et ses loyers modiques soient prisés par une clientèle défavorisée, migrant depuis les grands centres urbains, Mme Dellow fait valoir que le problème d’itinérance à Montréal relève lui-même d’un phénomène d’exode rural. Rien n’est simple, laisse entendre celle qui préfère prendre les défis de front plutôt que de s’apitoyer sur la fatalité.

Une annonce donne une idée de la philosophie qui anime le Centre d’entraide Aux rayons de soleil.

«Chauffé, éclairé, meublé», qu’ils disaient!

Sandrine Larivé, responsable du volet Logis-Aide au Centre Aux rayons de soleil, joue de son côté les facilitateurs entre propriétaires et locataires. Notamment auprès d’une clientèle vivant des enjeux de santé mentale ou de dépendance.

Un logement est habituellement un revenu d’appoint pour des gens qui occupent autrement un emploi dans la vie de tous les jours, explique-t-elle. «Pris devant une problématique de santé mentale, ça peut être confrontant pour eux», note Mme Larivé. C’est ici que Logis-Aide intervient, afin d’aplanir la relation locateur-locataire. «Tout est dans la façon dont on l’apporte. On est là, on est des intervenants formés, psychoéducation, psychologie, travail social...».

Mme Larivé est par ailleurs aux premières loges pour observer les transformations qui s’opèrent dans le parc immobilier du secteur. Des investisseurs provenant de l’extérieur semblent se multiplier, note-t-elle. «Quand il y a des bris ou des travaux à faire, ça traîne», constate à regret l’intervenante.

La location à distance, par visite virtuelle interposée, serait une autre tendance qui tend également à se populariser, avec les pièges que cela comporte. «Les gens arrivent de Montréal, on t’a promis des électros, il n’y en a pas, il n’y a pas d’eau...

C’est des gens qui sont venus chercher de nos services, parce qu’ils se sont fait faire des promesses qui n’arrivent pas», déplore Sandrine Larivé. Et la roue de la pauvreté de continuer de tourner.