Le collègue Jean-Simon Gagné écrivait ça de Me Guy Betrand.
En 2002.
Trente ans plus vingt ans, ça fait maintenant cinquante ans que l’avocat carbure aux esclandres et à l’esbroufe. Cinquante ans à épouser toutes sortes de causes qui font autant parler d’elles que de lui. À n’en pas douter, le plaideur est toujours aussi accro aux projecteurs, comme s’il existait pour eux.
À travers eux.
À 85 ans, Me Bertrand remet ça avec une croisade contre le tramway en représentant le groupe Québec mérite mieux, pour qui il a demandé une injonction provisoire pour mettre sur pause les travaux déjà en cours en ville. Il le fait même pro bono, gratuitement, pour cette cause qu’il voit comme un combat pour la démocratie.
Il a dit ceci il y a quelques semaines: «si vous appuyez le tramway, vous êtes contre la démocratie.»
Sans rire.
Comprenez-moi bien, on peut avoir mille raisons de s’opposer au tramway, de s’indigner contre la coupe d’arbres, de déplorer que d’autres options n’ont pas été assez étudiées. Mais le fait de réclamer un référendum, de dénoncer le fait qu’il n’en ait pas eu un en plaidant une négation complète de la démocratie, ce n’est pas sérieux.
Ça pourrait être souhaitable, mais il n’y a aucune obligation.
Après les audiences où il a essayé de convaincre le tribunal, Guy Bertrand a mordu la poussière. Le juge Clément Samson n’a pas mis de gants blancs. «Le Tribunal n’a pas un rôle de décider s’il s’agit ou pas d’une mauvaise décision prise par le gouvernement; le Tribunal doit intervenir que si la décision est illégale».
En somme, on a beau ne pas aimer le projet, on a beau penser que le tramway est la pire chose qui soit arrivée à Québec, il faut prouver qu’une loi a été enfreinte.
Mais il en faudrait plus pour démonter l’avocat, qui a toujours bon espoir d’avoir gain de cause et qui a même présenté cette dégelée comme une étape normale. Le juge Samson, a-t-il réagi, «ne rejette pas notre cause. C’est très important. Je vous dirais que dans 90 % des cas, les [injonctions] provisoires sont rejetées. Ce qui compte, c’est le fond.»
Bien hâte de voir ça en octobre.
Guy Bertrand est le premier à admettre qu’il dérange. Il en fait même sa marque de commerce, comme il l’explique dans la description du premier tome de sa biographie. «La multiplicité de ses actions juridiques et politiques, souvent spectaculaires, feront de lui un homme à abattre, particulièrement dans les milieux judiciaire et politique. Il réalisera pourquoi son père lui avait dit : «Tu seras toujours un mal aimé, mon fils.»
C’est le titre du premier tome, qui couvre la période 1937-1972. «L’auteur lève le voile sur des événements graves de sa vie qu’il n’a jamais dévoilés jusqu’à ce jour, résume-t-il. Ainsi, il raconte comment, à l’âge de 17 ans, il a réussi à échapper à un groupe d’homosexuels qui l’avaient séquestré dans l’Ouest canadien; ou comment, au début de sa carrière d’avocat, il a été amené à défendre Léo-Paul Dion surnommé le "monstre de Pont-Rouge", accusé d’avoir assassiné quatre enfants à Québec.»
Le second tome, qui couvre de 1973 à 2019, s’intitule: «Pour l’indépendance du Québec, je misais sur le hockey et les Nordiques».
Ni l’une, ni l’autre ne se sont produits.
Quand il a annoncé ce deuxième tome sur son site web, il a écrit ceci : «Vous pouvez participer à faire l’histoire en réalisant le Projet Liberté-Nation qui mène à la création de la République fédérale du Québec et au parachèvement du pays québécois, en devenant membre fondateur du Réseau Liberté-Nation».
En 2015, il s’était acheté une pleine page de publicité dans Le Soleil où il annonçait la République du Québec pour 2030.
Ça a tourné en eau de boudin.
Ce qui est surprenant dans la longévité professionnelle de Me Guy Bertrand, c’est qu’il traîne depuis presque toujours cette étiquette de personnage farfelu. Déjà en 1997, lorsqu’il reprochait à Jean-Paul L’Allier de fermer les yeux sur la brutalité policière, le maire de Québec avait lancé cette boutade : «Se faire traiter d’amuseur public par le prince des amuseurs publics, on peut prendre ça comme un compliment.»
C’est à s’étonner qu’on le prenne encore au sérieux.
Au début de la pandémie, l’avocat s’était même porté à la défense de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple, ce groupe mené par Stéphane Blais qui s’opposait aux mesures sanitaires mises en place par le gouvernement Legault et qui avait écrit sur Facebook que la COVID est un «coup d’État international» et un «prétexte pour nous conditionner à la docilité et à la répression policière».
Ça n’a pas refroidi Guy Bertrand, qui entendait alors attaquer devant les tribunaux la constitutionnalité des mesures sanitaires.
Il a fini par leur tourner le dos après ce fameux «souper patriote» au Conti Caffe, où plusieurs membres de la fondation, dont les leaders, ont contrevenu aux règles, vidéo à l’appui. «Par votre comportement, votre langage et votre attitude, relativement à la désobéissance civile, le non-respect de la Loi et votre activisme politique, alors que votre cause était pendante devant les tribunaux, vous avez détruit votre propre crédibilité face à la Cour», a écrit Me Bertrand dans la lettre où il les informe qu’il se dissocie.
Guy Bertrand avait franchi sa propre ligne.
Avec toutes ses croisades pour sauver la démocratie avec ce que le juge Clément Samson a écrit dans son jugement, c’est à se demander ce qui reste de la crédibilité de Me Bertrand après toutes ces années à se donner en spectacle, à sortir le bazooka de la Charte des droits et libertés à toutes les sauces.
Et maintenant, contre le tramway.