Chronique|

Fini, le médecin de famille à tout prix

Le superinfirmier Keven Provencher

CHRONIQUE / Pour l’instant, elles sont encore une denrée rare en Outaouais. Je parle des infirmières praticiennes spécialisées, les IPS, qu’on a appris à connaître ces dernières années sous l’appellation de «superinfirmières».


Le ministre Christian Dubé leur a réservé un rôle accru dans sa réforme du système de la santé. Elles sont appelées à intervenir en première ligne aux côtés des médecins de famille qui ne suffisent plus à la tâche.

Même les médecins, réticents au départ à leur déléguer des soins, sont très heureux de les avoir à leurs côtés. «C’est une profession qui se développe, qui a pris du galon», se réjouit le Dr Guillaume Charbonneau, président de l’Association des médecins omnipraticiens de l’Ouest du Québec.



Depuis janvier 2021, de nouvelles lignes directrices ont élargi le champ de pratique des IPS. Elles sont désormais pleinement intégrées aux équipes médicales. Les anciennes ententes de partenariat ont cédé la place à une véritable collaboration professionnelle avec les médecins, m’a expliqué Stéphanie Charron, chef de service des IPS au CISSS de l’Outaouais.

Le Dr Charbonneau, qui a eu une IPS à sa clinique voilà quelques années, ne tarit pas d’éloges à leur endroit. «C’est libérateur. Comme l’IPS est autonome dans son champ d’activité médicale, il y avait des patients que je ne voyais pour ainsi dire jamais. Et le jour où le patient a quelque chose, où l’IPS se sent moins à l’aise, elle venait me consulter.»

Pour l’instant, on compte seulement une quarantaine d’IPS en Outaouais. Mais de nouvelles cohortes arrivent en renfort, via l’Université du Québec en Outaouais. Dès janvier 2023, 8 nouvelles diplômées viendront grossir les rangs du CISSSO.

La plupart des IPS oeuvrent en première ligne: groupes de médecines familiales, CLSC, CHSLD… L’Outaouais compte aussi 2 IPS en santé mentale, une autre en néonatalogie. Avec leur formation universitaire, celles qu’on nommait jadis les superinfirmières peuvent prendre en charge des patients et s’en occuper de A à Z.



Keven Provencher fait partie des 36 IPS de première ligne de l’Outaouais. Il a été formé en Ontario où les superinfirmières sont intégrées au réseau depuis des années. Il est rattaché à la clinique Médigo, à deux pas de l’hôpital de Hull. Sa liste compte plus de 400 patients. En majorité de gens de 50 ans et plus avec des problèmes de santé chronique: hypertension, diabète, maladies pulmonaires... Il suit aussi quelques jeunes qui consultent de manière sporadique «Au même titre qu’un médecin de famille, on suit nos patients de A à Z», dit-il.

Les IPS contribuent à réduire la liste de patients en attente d’un médecin de famille, explique Stéphanie Charron du CISSSO. Keven Provencher pourrait prendre en charge encore plus de patients. Mais la loi exige qu’il passe par un médecin. Or pour l’heure, il manque de médecins inscripteurs en Outaouais.

L’un des enjeux, m’a expliqué le Dr Charbonneau, c’est que des médecins hésitent parfois à prendre plus de patients via les IPS. C’est que si l’infirmière quitte la clinique, ils se retrouvent avec le même nombre de patients, mais sans la ressource dédiée pour en prendre soin. Au CISSSO, Stéphanie Charron précise que des négociations sont en cours pour permettre à des IPS d’inscrire elles-mêmes des patients. À suivre, donc.

Pour l’instant, la plupart des IPS oeuvrent dans l’urbain. Mais les besoins sont criants en région aussi. Keven Provencher voit des patients en sans rendez-vous deux jours par mois à Chénéville, où la fermeture de la coopérative médicale a laissé des centaines de patients orphelins d’un médecin. Deux autres jours par mois, il oeuvre au CLSC Saint-Rédempteur dans le traitement des infections transmises sexuellement.

Dans l’esprit de la réforme Dubé, bien des patients orphelins pourraient se voir attribuer une IPS au lieu d’un médecin de famille au cours des prochaines années. «Même si l’idéal serait un médecin de famille pour tous, ce n’est pas réaliste à court terme», admet le Dr Charbonneau.

Il faut donc partager les tâches. Et combattre ce réflexe d’exiger un médecin à tout prix. Un réflexe encore bien présent sur le terrain, constate Keven Provencher. «L’esprit de la réforme Dubé, c’est de relayer le patient au bon professionnel, au bon moment. Il y a d’autres professionnels (que les médecins) qui sont capables de soigner les gens», conclut-il.