Chronique|

À l’ombre du Séminaire St-Alphonse

Le Séminaire St-Alphonse où au moins 113 garçons ont subi des agressions sexuelles commises par les religieux à qui leurs parents les avaient confiés

CHRONIQUE / J’ai contourné la basilique Sainte-Anne vers le pied du cap, marché jusqu’à un édifice derrière, une bâtisse qui ne paye pas de mine, qui porte le poids des années d’abandon et de négligence.


Le Séminaire St-Alphonse.

Entre ces murs, au moins 113 garçons ont subi des agressions sexuelles commises par les religieux à qui leurs parents les avaient confiés. Le père Raymond-Marie Lavoie, le collège et les rédemptoristes ont été tenus responsables en 2014 dans le cadre d’un recours collectif des gestes posés. La Cour supérieure du Québec a obligé la communauté à verser des indemnités allant de 75 000$ à 150 000$ à chacune des victimes.

Cette communauté religieuse, c’est celle des Rédemptoristes, gardiens de la basilique et de ce qu’il y a autour.

Ce lieu où passera le pape François.

J’ai passé de longues minutes devant le séminaire désaffecté, avec ses carreaux cassés, certains tenant avec de l’autocollant rouge de construction, avec des filets recouvrant des  sections de briques pour ne pas qu’elles se détachent, avec la végétation qui pousse au travers des fenêtres grillagées.

La peinture de la porte principale est écaillée, pâlie, l’usure du temps l’a fait passer du bourgogne au rose. Apposés sur les deux vitres, l’emblème du collège, délavé. Au-dessus de l’un d’eux, un permis de rénovation octroyé par la ville de Sainte-Anne-de-Beaupré aux rédemptoristes.

La porte du séminaire désaffectée

Échu depuis le 31 octobre 2018.

Loin des regards qui sont portés vers l’imposante basilique, le vieux séminaire tombe en décrépitude jusqu’au jour, je présume, où on plaidera qu’il est trop mal en point, qu’il faut le démolir. Qu’importe si l’édifice a été classé par la ville de Sainte-Anne-de-Beaupré en 2001 comme un immeuble patrimonial qu’il faille protéger.

Ce n’est pas ça que l’Église protège.

Je n’ai pu m’empêcher de faire un lien entre les filets qui retiennent les briques, les autocollants qui maintiennent les carreaux et l’institution de l’Église catholique qui n’en finit plus de tenter de rafistoler son image et de se dépêtrer dans les scandales qui s’accumulent.

Mais on ne refait pas le mortier, on ne change pas les carreaux, on ne s’attaque pas aux fondations.

On rabiboche.

Debout devant le séminaire, fermé en 2001, je n’ai pu m’empêcher de penser à tous ces garçons qui, derrière ces fenêtres, subissaient en silence les agressions des religieux. De ceux-là, Frank Tremblay est celui qui a intenté le recours collectif contre son bourreau, le père Raymond Marie-Lavoie, condamné à cinq ans de prison en 2011 pour des agressions sur 13 jeunes, mais au moins huit autres pères ont sévi.

Au bout du fil, Frank Tremblay relève «l’hypocrisie» de la visite du pape à la basilique Ste-Anne, à quelques jets de pierre du séminaire où il a été agressé au début des années 1980. Il avait 13 ans. «C’est une opération de marketing pour redorer le blason de l’Église, c’est tout. C’est facile de s’excuser. Ils s’excusent, mais ils ne payent pas, ils sont prêts à tout pour ne pas payer. Ça devrait être simple: tu brises, tu répares.»

Surtout quand ce sont des enfants qui sont brisés.

Directeur de l’Association des victimes de prêtres, Carlo Tarini a confié au Devoir, lorsque le tribunal a rendu sa décision en 2014 après quatre années de procédures, que «les rédemptoristes se sont battus comme des chats de ruelle pour défendre l’indéfendable. Ils ont tout fait pour empêcher les victimes de venir témoigner, et lorsque [les victimes] ont témoigné, ils ont été d’une méchanceté étonnante — surtout pour des gens qui donnent des leçons de moralité.»

Nous en sommes au même point.

C’est la rédemption telle que la conçoit l’Église, avec le rachat et la rémission des péchés humains par le sacrifice du Christ avec la Vie éternelle au bout. Ça vaut pour tous les séminaires St-Alphonse du monde, pour les pensionnats autochtones aussi. «L’agresseur, il va au paradis parce qu’il a demandé pardon et que Dieu est miséricorde», déplore Frank Tremblay.

Et au diable les victimes.