Nous sommes à North Cape, à l’extrémité nord-est de l’Île-du-Prince-Édouard, là où tournent les éoliennes qui produisent de l’énergie à haute vitesse, au gré du vent.
«Je n’ai fait que ça, pêcher, depuis que je suis adolescent», me raconte Richard Hackett.
Il a commencé à exercer son difficile métier sous la supervision de son père à l’âge de 16 ans. Il en a 40.
«C’est pas toujours agréable d’aller en mer, surtout quand il fait mauvais temps», convient-il.
La pêche, c’est son gagne-pain et ça lui permet de vivre plutôt bien. Une étude d’Ernst & Young réalisée en 2019 révélait que la valeur économique de l’industrie des fruits de mer à l’Île-du-Prince-Édouard dépassait le milliard de dollars.
On apprenait en outre que la valeur des exportations avait augmenté de plus de 15% entre 2015 et 2019, les États-Unis étant le plus gros acheteur de ce que l’on considère comme le «roi des crustacés».
La Nouvelle-Écosse
Richard Hackett est un homme d’affaires. Un entrepreneur qui tend ses lignes par appât du gain. Et il sait compter. Il a fait le choix d’aller pêcher le homard dans la province voisine de la Nouvelle-Écosse, où le coût du permis, qui se négocie à prix d’or, est beaucoup moins élevé qu’à l’Île-du-Prince-Édouard.
«Ma licence vaut aujourd’hui un peu plus d’un million de dollars, calcule-t-il sommairement. Ici, à l’Île-du-Prince-Édouard, il faut maintenant débourser jusqu’à un million et demi pour avoir le droit d’aller aux homards. C’est insensé.»
Pas étonnant que des courtiers spécialisés s’annoncent pour acheter ou vendre les fameuses licences au pays d’Anne aux pignons verts…
Chose certaine, ne devient pas pêcheur de homard qui veut dans cette province qui se démarque par ses plages de sable rouge. Il faut avoir les reins solides, financièrement, et trouver un bon banquier, avant même de commencer à lancer ses cages dans l’océan Atlantique.
La business de Richard Hackett le tient occupé à compter du mois de mai jusqu’en octobre. Il pêche le homard, le thon et le hareng. Le reste du temps, il le consacre à réparer ses cages et à effectuer des travaux d’entretien sur le Brooklynn Babe, le bateau qu’il a acquis en 1995 pour trouver son autonomie, alors qu’il était encore adolescent.
Travail au noir
Ceux qui n’ont pas les moyens de partir leur propre entreprise vont travailler sur les bateau de pêcheurs. Paraît-il que la paye est bonne si on a le cœur à l’ouvrage.
«Je me fais 2000 piastres par semaine, avec un bonus de 5000 à la fin de l’année», m’a confié un pêcheur âgé de 32 ans qui a préféré ne pas être identifié.
On aura compris qu’il travaille au noir et qu’il ne souhaite pas se faire «pincer» par le fisc…
«Vous savez, ça coûte cher, se nourrir dans l’Île. Tenez, la semaine passée, j’ai dépensé 130 $ à l’épicerie. J’avais juste deux petits sacs dans les mains.»
Là-dessus, je lui donne raison. Tant à Charlottetown qu’à Cavendish, le prix des denrées alimentaires atteint des niveaux exorbitants.
Même le baloney se vend très cher la livre, c’est tout dire.
Fort heureusement, il y a encore des petits restos sympathiques qui proposent au menu des fish and chips pour aussi peu que 10,49 $. Avec, en prime, une généreuse portion de frites «made in Prince Edward Island», royaume de la patate, où domine le géant Cavendish.
C’est dans un de ces restos en bord de mer que je me suis arrêté, plus précisément à Tignish, dans la région Évangéline.
La dame derrière le comptoir était de bonne humeur.
J’ai osé lui demander son âge.
«Soixante-douze ans!», qu’elle m’a répondu.
C’est pas l’âge de la retraite?
«Je ferais quoi à la maison, à ne rien faire?»
Le fish and chips était parfait. J’en aurais redemandé.
Ce jour-là, il ventait fort sur l’Île. Au loin, les pales de rotor des éoliennes tournaient et tournaient encore dans le sens des aiguilles d’une montre.
«C’est comment, vivre à deux pas de ces immenses tours?», ai-je demandé à Richard Hackett.
«On fait avec mais quand elles cessent de tourner, j’entends enfin le silence», soupire-t-il.
Les éoliennes étaient là quand il a construit sa maison. Il n’a pas été compensé par la compagnie qui les a installées.
«Mon voisin a reçu presque rien, l’équivalent d’une facture annuelle d’électricité», a-t-il compris, sur un ton ironique.
Dans cette province de 167 680 habitants, on mise plus que jamais sur le vent pour produire de l’énergie. Les parcs éoliens de la province avaient une capacité annuelle estimée de 376 mégawatts-heure [en 2020].
C’est très peu, à comparer avec la production du Québec, et même de l’Ontario, mais c’est beaucoup pour une île d’une superficie de 5660 kilomètres carrés.
Autant en emporte le vent…