Malgré une carrière et une vie bien remplies, Ken Griffey Senior n’a jamais oublié la ville de Trois-Rivières, où un important chapitre de son histoire d’athlète professionnel s’est écrit il y a 50 ans.
Le meilleur des Aigles
Griffey a vécu en Mauricie au cours de l’été 1972, à la belle époque des Aigles de la Ligue Eastern de baseball. De 1971 à 1977, des dizaines de joueurs de l’organisation des Reds ont adopté la Mauricie, le temps de la belle saison, afin de parfaire leur jeu au niveau AA, un excellent calibre. Des joueurs des Pirates de Pittsburgh les ont imités à Sherbrooke et Thetford Mines, tandis que les joyaux des Expos de Montréal séjournaient à Québec avec les Carnavals.
Griffey est sans contredit l’un, sinon le meilleur joueur à avoir endossé l’uniforme des Aigles durant cette décennie qui aura gâté les amateurs de baseball du Québec. C’est du moins l’avis de l’ex-administrateur de l’équipe, Yvon Després. «Assurément le plus athlétique», tranche ce dernier.
«C’est une belle période de ma vie. Elle fut courte, mais j’ai encore des souvenirs précis du stade de Trois-Rivières, de la passion des amateurs et de leur gentillesse», se remémore Griffey Sr, qui a accepté la demande du Nouvelliste de plonger 50 ans en arrière, au moment où il n’était qu’un espoir de 22 ans, aux portes du Baseball majeur.
«Nous vivions au sous-sol d’une résidence d’un dénommé Harnois, pas très loin du stade. Plusieurs joueurs habitaient tout près. Pour de jeunes Américains comme nous, c’était tout un choc de nous retrouver dans un environnement francophone. La seule chose que je savais au sujet de Trois-Rivières, avant d’y mettre les pieds, c’était sa distance en voiture de l’aéroport de Montréal! Au fil des semaines, j’ai découvert un endroit agréable. Je ne me souviens malheureusement pas du nom du restaurant, mais j’ai mangé chez vous l’un des meilleurs poulets rôtis de ma vie!»
Un petit turbulent nommé Ken Junior
Dans les faits, Griffey s’est amené une première fois à Trois-Rivières à la fin de la saison 1971, la première des Aigles dans la Ligue Eastern. Ses succès avec les Tarpons de Tampa, au niveau inférieur, avaient convaincu les Reds de l’envoyer à Trois-Rivières pour terminer la campagne avec les Aigles dans le réseau AA. Il aura passé environ trois semaines dans l’entourage du club, participant notamment à la finale de la Ligue Eastern, perdue contre Elmira.
C’est l’année suivante, en 1972, qu’il a fait de Trois-Rivières sa résidence secondaire pour un été. Il n’avait que 22 ans, mais avait déjà une femme et deux enfants: Ken Junior et Craig.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/6IJ6HMOPCNEUFJC3EJFS2QTE4I.jpg)
Le premier suivra les traces de son père dans le baseball professionnel, même que les deux auront l’occasion d’évoluer ensemble, en 1990, chez les Mariners de Seattle. Il s’agit du premier duo père-fils à jouer pour la même équipe dans le Baseball majeur.
Dix-huit ans avant ce moment qui marquera l’histoire du baseball, les amateurs de baseball de Trois-Rivières étaient loin de se douter que Ken Junior, turbulent au possible, deviendrait une légende de ce sport!
Le petit bonhomme, du haut de ses 2 ans et demi, déplaçait beaucoup d’air dans les corridors du stade de baseball. Devant le restaurant, il distribuait allègrement les coups avec son bâton et il ne se gênait pas pour demander un hot-dog.
Son père rigole en écoutant ces anecdotes, qui résonnent encore 50 ans plus tard chez ceux qui ont côtoyé les Griffey en 1972.
«Bien sûr que Ken était un petit tannant», s’exclame-t-il, conscient que son plus vieux, devenu depuis un membre du Temple de la renommée du baseball, n’était pas un cadeau pour les employés des Aigles.
«Le stade de Trois-Rivières est probablement le premier parc dont Junior se souvient. Je me rappelle que les gens prenaient soin de lui. Sa mère, ma femme à l’époque, n’aurait pas pu s’en occuper seule. Il était trop énergique!»
La petite famille accompagnait Griffey partout. «Au stade, je pouvais voir Ken derrière le marbre durant ma présence au bâton, puis quelques minutes plus tard, alors que je retournais à mon poste de voltigeur, il courait dans les gradins au champ!»
Adolescent, Claude Lamy travaillait à l’entretien du terrain. Il a forgé de sincères amitiés avec certains membres des Aigles, qui sont plus tard devenus des champions de la Série mondiale.
«Ken Junior montait souvent sur le tracteur à mes côtés, il adorait faire un tour après les matchs. Je me souviens encore de sa petite voix: “Claude, please, give me a ride!”» sourit Lamy, dont les propos sont corroborés par Griffey Sr.
«Quand je dis que les gens au stade s’occupaient bien de mes fils, c’est un exemple parmi d’autres. Je ne sais pas si la passion du baseball de Ken Junior est née à Trois-Rivières parce qu’il était vraiment jeune, mais je sais qu’il a eu beaucoup de plaisir cet été-là, même si ses souvenirs sont vagues.»
Du champagne avant de partir
Ken Griffey a connu une saison du tonnerre en 1972 en frappant pour une moyenne de ,317: les Aigles l’ont d’ailleurs choisi le joueur par excellence de cette cuvée, en septembre de la même année.
Pendant que tout le monde au pays n’en a que pour la Série du siècle entre le Canada et l’URSS, les amateurs de baseball de Trois-Rivières sont gâtés, en fin de saison, alors que leur club bataille pour le championnat de la division nationale, contre ses rivaux de Sherbrooke et Québec.
Héros attendu, Griffey scelle l’issue de l’ultime rencontre de la saison, que les Aigles se devaient de gagner. Il claque le circuit victorieux en fin de neuvième manche!
Il a beau avoir connu des heures de gloire avec les Reds de Cincinnati par la suite, Griffey n’a jamais oublié ce circuit dramatique, réussi au parc de l’Exposition de Trois-Rivières.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/OWCWERL3DBAL7DHIJTJ5KE35WI.jpg)
«On a blanchi Sherbrooke trois fois en autant de jours. Leur lanceur m’avait retiré avec une balle courbe quatre fois avant ce circuit! Ce fut un moment incroyable, que nous avons longtemps célébré...»
Dans les gradins, plus de 2500 spectateurs exprimaient leur joie. Encore là, ils ne se doutaient pas que quelques-uns des joueurs festoyant sur le terrain deviendraient des champions de la Série mondiale, en 1975 et en 1976 avec les Reds. De cette fabuleuse cuvée, 12 joueurs ont atteint les Ligues majeures.
«Dan Driessen est devenu un de mes meilleurs amis. Nous sommes plusieurs Reds à avoir joué à Trois-Rivières et je suis sûr qu’ils partagent aussi d’excellents souvenirs.»
En finale de 1972, les Aigles ont de nouveau dû s’avouer vaincus, cette fois contre les Yankees de West Haven.
Ken Griffey n’a plus jamais mis les pieds à Trois-Rivières au terme de cette finale de la Ligue Eastern. N’empêche, il n’a pas oublié les rires de Ken Junior dans les gradins, son circuit mémorable du 4 septembre 1972... et l’odeur du poulet rôti!