Absolution conditionnelle d’un ingénieur coupable d’agression sexuelle: le DPCP porte la cause en appel

Simon Houle a bénéficié d’une absolution conditionnelle dans le cadre d’une probation de trois ans avec plusieurs conditions dont celle de verser un don de 6000 $ au CALACS.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) portera finalement en appel l’absolution conditionnelle imposée à un ingénieur qui a agressé sexuellement une femme en 2019 et qui s’est livré à du voyeurisme en prenant des photos de ses parties intimes.


Me Audrey Roy Cloutier, porte-parole du DPCP, a effet confirmé au Nouvelliste qu’une requête pour permission d’en appeler était en cours de rédaction et qu’elle serait déposée au greffe de la Cour d’appel avant l’expiration du délai le 21 juillet. Les motifs seront alors rendus publics. 

La décision du juge Matthieu Poliquin a soulevé toute une controverse tant auprès des organismes qui viennent en aide aux victimes d’actes criminels qu’auprès de la population en général. Elle a même eu des échos jusqu’à Québec alors que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette a réagi en déclarant «qu’il pouvait tout à fait comprendre le désarroi et la frustration des personnes victimes», tel que rapporté dans La Presse.  

Le Groupe Canimex qui embauchait Simon Houle depuis septembre 2018, a pour sa part contacté celui-ci mardi matin pour lui annoncer qu’il mettait fin au lien d’emploi sans toutefois donner plus de détails. 

De toute évidence, l’absolution prononcée par le juge n’aura pas suffi à lui garantir un poste au sein de l’entreprise de Drummondville.

En effet, les motifs retenus par le tribunal pour justifier cette absolution étaient entre autres le profil positif de l’accusé, son cheminement thérapeutique, sa réhabilitation et l’intérêt à poursuivre son parcours professionnel à titre d’ingénieur. Selon le juge, «une condamnation aurait eu à son égard des conséquences particulièrement négatives et disproportionnées, alors qu’il pourrait difficilement voyager à l’extérieur du pays, ce qui risquerait possiblement d’entraver sa carrière d’ingénieur.»

Notons par contre que cette absolution est assortie d’un don de 6000 $ à l’organisme CALACS de Trois-Rivières, d’une probation de trois ans au cours de laquelle Simon Houle devra poursuivre son cheminement psychologique et ne pas communiquer avec la victime. Il sera également inscrit au Registre des délinquants sexuels pendant 20 ans et il lui sera interdit d’avoir des armes en sa possession pendant 10 ans. 

En prononçant cette décision, le juge Poliquin s’est dit conscient qu’une absolution est une peine rarement infligée pour ce type d’infraction, bien qu’il existe une jurisprudence à cet effet. D’un autre côté, il estime que les décisions déposées par la poursuite, qui réclamait 18 mois de prison, sont difficilement applicables aux faits de cette affaire. Celles-ci comportent des facteurs aggravants qui sont absents dans le dossier actuel. En contrepartie, des facteurs atténuants d’importance sont également absents.

Rappelons les faits à l’origine de cette décision: en avril 2019, l’accusé et la victime fréquentent la même université. Le soir des événements, ils sont dans un bar avec plusieurs amis et il y a consommation d’alcool. La soirée se poursuit au logement d’un ami. La victime va ensuite se coucher sur un lit, habillée et par-dessus les couvertures et elle s’endort. L’accusé n’est pas dans la chambre.

Elle est ensuite réveillée par la lumière d’un appareil-photo. Elle sent des doigts dans son vagin. Sa camisole est levée et son soutien-gorge est détaché. Elle panique, l’accusé se lève, elle s’en va dans la cuisine et se couche sur le sol. L’accusé la rejoint, la prend dans ses bras et la ramène dans la chambre sur le lit où elle finit par se rendormir. À son réveil, elle prend conscience de ce qui est arrivé et appelle son conjoint pour l’informer que l’accusé aurait pris des photos d’elle pendant qu’elle dormait. Celui-ci confronte Simon Houle par messages textes qui rejoint la victime dans la chambre et lui lance son téléphone en lui disant de regarder. Elle lui demande plutôt de partir, ce que fait l’accusé. 

Quelques jours plus tard, un ami de l’accusé au courant de cet événement regarde dans son téléphone et trouve dans la corbeille de l’appareil neuf photos des parties intimes de la victime. Il contacte cette dernière qui décide alors de porter officiellement plainte. 

Les conséquences de cette agression chez la victime ont été majeures: tristesse, déception, colère, frustration, honte, gêne, crainte de croiser l’accusé, perte de confiance, isolement, insomnie, cauchemars, sentiment de culpabilité et hypervigilance. Pire encore, des idées noires l’ont menée à une hospitalisation en psychiatrie pendant une semaine. Elle a dû consulter des psychologues, sa vie intime a été chambardée pendant plusieurs mois. Au niveau scolaire, elle a connu des échecs ce qui a retardé la fin de son parcours universitaire. Un arrêt de travail lui a également causé des difficultés financières pendant deux ans et ce, c’est sans compter le stress et la déception liés au long processus judiciaire.  

Simon Houle est aujourd’hui âgé de 30 ans. Il vient d’une bonne famille exempte de problématiques psychosociales. Il compte un seul antécédent judiciaire en matière de facultés affaiblies datant de 2014. 

Suivant sa mise en accusation, il a entrepris une psychothérapie. Dès le départ, il a admis avoir commis les gestes délictuels et les regrette. Sa thérapie visait d’ailleurs à savoir ce qui l’avait amené à poser de tels gestes puisque ce n’était pas la première fois. Il a avoué une autre agression semblable commise en 2015, mais qui n’avait pas été judiciarisée. Selon le juge, cet aveu est troublant, mais démontre également et «sa transparence et le sérieux de sa démarche.»

Dans le cadre des plaidoiries, l’avocat de la défense, Me Pierre Spain, avait  insisté sur l’importance de lui faire bénéficier d’une absolution pour lui permettre de poursuivre sa carrière professionnelle. L’employeur de Simon Houle était au courant des accusations. Avant que la sentence ne soit prononcée, il lui refusait le droit de participer aux fêtes et aux sorties de bureau et l’obligeait à faire du télétravail.

En guise d’introduction dans sa décision, le juge Poliquin a rappelé  que depuis quelques années, plusieurs victimes ont pris la parole publiquement pour dénoncer ce type d’abus et le fait qu’elles se sentent abandonnées par le système judiciaire. Plusieurs initiatives ont d’ailleurs été mises en place pour répondre au désarroi des victimes d’agression sexuelle. Il précise: «Bien qu’un juge doit être conscient de son environnement social, il doit toujours rester impartial. En tout temps, il doit être guidé par la règle de droit et non par la clameur publique.»

La question en litige était donc déterminer la peine à infliger contre un accusé qui a reconnu s’être livré à un agression sexuelle ainsi qu’à du voyeurisme alors que la victime dormait. Le juge conclut que la preuve établit amplement qu’il est dans son intérêt véritable de bénéficier d’une absolution. Il écrit: «Certes, l’accusé n’a pas mené une vie parfaite. Par contre, le tribunal considère qu’il a généralement démontré être une personne de bonne moralité.»

Il estime que «son arrestation, sa mise en accusation et le délai de plus deux ans à penser aux conséquences d’une déclaration de culpabilité sont suffisamment dissuasifs et convainquent le tribunal que les objectifs de dissuasion spécifique et de réhabilitation sont acquis.» 

Parmi les facteurs aggravants retenus par le tribunal, il y a la gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique de la victime, les conséquences sur elle et ses proches, l’abus de vulnérabilité découlant de son état d’inconscience. 

Au niveau des facteurs atténuants, le juge tient compte du  plaidoyer de culpabilité, évitant ainsi à la victime de témoigner. Simon Houle n’a qu’un seul antécédent judiciaire, il avait 27 ans au moment des faits, il a des remords et des regrets, il a entrepris un processus thérapeutique, il a fait preuve de franchise et de transparence, il a toujours été un actif pour la société, le risque de récidive est faible, le rapport présentenciel est positif et il a démontré sa réhabilitation. Quant à son état d’ébriété lors de l’agression, le juge rappelle «qu’il ne constitue pas une défense ou un justification, mais qu’il peut permettre d’expliquer un comportement.» Aussi, il a mentionné qu’il n’y a qu’une victime, un seul événement lequel se déroule somme toute rapidement et qu’il n’y a pas eu usage de violence ou menace de violence. 

Le CALACS de Trois-Rivières s’est dit déconcerté, outré et vraiment en colère par cette décision. «Ce type de jugement enlève aux victimes la confiance en la justice,  de sorte qu’elles ont du mal à dévoiler. Et dans ce type de jugement, on pense à l’agresseur; on ne pense pas aux victimes. On parle quand même ici d’un récidiviste qui avoue être un récidiviste. Oui il a  entrepris une thérapie, mais lorsqu’il a été mis en examen», a indiqué Camille Souza, coordonnatrice du CALACS. 

Elle trouve aberrant qu’il ait eu droit à une absolution parce qu’il vient d’une bonne famille et qu’il a un bon travail. «Ce genre de décision fait beaucoup de mal à l’ensemble des victimes, mais elles doivent savoir qu’on peut toujours les aider, peu importe le verdict», a conclu Mme Souza.