Jason Martel raconte les derniers jours de Florent Dumas

Jason Martel s’est confié au <em>Nouvelliste</em> sur les événements qui auraient mené à la mort de Florent Dumas, retrouvé enterré dans la cour arrière du domicile de son père, Pascal Martel.

Accusé avec son père Pascal d’outrage à un cadavre, Jason Martel reconnaît avoir lui-même creusé «la tombe» de Florent Dumas à l’arrière de la résidence de la rue Monseigneur-Courchesne, à Nicolet – sous l’œil menaçant «de l’autre», insiste-t-il. C’est un jeune homme apparemment pétri de remords, hanté d’images scabreuses, reprenant à son tour dans le détail un récit de déchéance et de violence, qui s’est confié au Nouvelliste.


Les coups et les sévices de toutes sortes étaient, semble-t-il, le lot quotidien de Florent Dumas, depuis qu’il habitait chez Pascal Martel. La répétition et l’accumulation des agressions ont eu raison de lui, soutient son fils Jason. Confus, désorienté, le corps tuméfié, l’homme de 51 ans et vivant avec une déficience intellectuelle peinait même à marcher dans les derniers jours, murmure-il.

Jason Martel dit s’en vouloir aujourd’hui de ne pas s’être interposé davantage. «Ce qu’il a fait c’était cruel, c’était méchant, souffle-t-il à propos de son père, mais chaque fois que j’ai voulu m’en mêler, il fallait que je cri... mon camp, parce que sinon j’écopais de la même façon. C’était des claques ou des coups de poing sur la gueule».



Pascal Martel aurait eu une emprise sur Florent Dumas que son fils peine à expliquer, mais qu’il dit l’avoir vu exercer sur tous les membres de son entourage au fil des ans. Jason Martel raconte avoir lui-même grandi sous la férule de ce père dominant, jusqu’à l’âge de 20 ans. Un homme qui, soutient-il, contrôlait tout, lui interdisant de voir sa mère, allant jusqu’à s’assurer qu’elle soit bloquée sur son Facebook, à l’instar de ce qu’il aurait fait vivre tour à tour à ses quatre enfants, tous nés la même année de mères différentes.

«Il aurait fallu absolument que je me sauve puis que j’aille parler plus vite avant que tout ça se passe, semble regretter le jeune Martel. Je me sentais incapable de le faire, il me suivait partout, j’étais bloqué, tous les rendez-vous que j’avais, il était tout le temps là, je n’avais même plus le droit d’aller au dépanneur tout seul».

Témoin d’une mort à petit feu

Aux prises avec d’importantes difficultés personnelles, Jason Martel, désormais âgé de 24 ans, trouve refuge chez son père, fin février 2022, «le temps de remonter la pente». Florent Dumas habite les lieux depuis quelques mois déjà et l’emprise du paternel sur lui est totale, relate le fils. La violence rythme le quotidien, constate-t-il.

Pour le jeune Martel, la situation a des allures de déjà-vu. Il raconte avoir grandi aux côtés d’un autre homme vivant avec une déficience intellectuelle, également victime des coups et de la domination de son père, 12 ans durant, jusqu’à ce que la police l’aide à quitter le domicile. «S’il était resté, ça serait sûrement lui qui y aurait passé», laisse-t-il tomber.



«J’avais l’impression de vivre la même situation. Ça m’a bloqué. C’était comme impossible que je fasse de quoi, vu que quand j’étais jeune, j’ai pas plus fait quelque chose», murmure le jeune homme, tentant de justifier ce qu’il peine aujourd’hui à s’expliquer à lui-même.

Pour Florent Dumas, le premier épisode de violence prend la forme d’un coup de poing à l’oreille, relate le fils Martel. C’est lui-même qui l’aurait amené à l’hôpital, malgré les remontrances de son père. «C’était super enflé, c’était fou [...] Ils m’ont dit que si on avait attendu une semaine de plus, il aurait perdu son oreille», se remémore-t-il.

À l’hôpital, il apprend que Dumas est atteint d’une maladie dégénérative [le nom lui échappe]. «Ses os et sa peau rétrécissaient», explique-t-il. «Il fallait qu’il se fasse opérer, qu’il aille passer des radios, des rayons X, mais il n’allait pas à ses rendez-vous», continue Jason Martel. Il relate lui avoir fait des remontrances, lui enjoignant de prendre soin de sa santé.

Jason Martel reconnaît avoir lui-même creusé «la tombe» de Florent Dumas, sous les menaces de son père, soutient-il.

Or, rien n’y fait. Florent Dumas ne retournera plus à l’hôpital. Jason Martel soutient que son père faisait exprès de ne pas faire les suivis nécessaires. La violence s’accentue. Ne sachant quoi faire ou comment s’interposer, le jeune homme se réfugie dans sa chambre et n’en sort presque plus. «Souvent je dormais et je me faisais réveiller parce qu’il lui pétait la tête dans tous les coins de mur», souffle-t-il.

«Je l’ai vu avec une torche lui brûler le linge jusqu’à la peau. Il l’envoyait dehors tout nu [en plein hiver] puis il lui jetait des seaux d’eau. Il passait la moppe, puis en passant à côté de lui, il lui en cri... des coups dans la face, récite Jason Martel, le regard dans le vide. Florent ne réagissait même plus, c’est comme s’il ne s’en rendait plus compte».

Les choses auraient ensuite dégénéré rapidement. Florent Dumas n’est plus l’ombre de lui-même. Couvert de bleus, il n’arrive presque plus à marcher. «Souvent c’est moi qui le montais dans mes bras», pointe Jason Martel.



Puis vers la mi-avril, sous les encouragements de Pascal Martel, Florent Dumas, à quatre pattes, aurait tenté pour se tenir seul debout, malgré son manque d’équilibre. «Laisse-le, il niaise», aurait insisté le père. Dumas aurait alors basculé et se serait violemment heurté la tête.

«J’ai voulu le relever, mais il [son père] m’a dit de cali... mon camp, qu’il allait s’arranger avec», poursuit Jason Martel. Il quitte la maison et revient plus tard. Il raconte avoir alors constaté que Florent Dumas était toujours étendu sur le tapis de styromousse bleu qui lui servait de lit et qu’il respirait avec peine.

Le fils aurait insisté, implorant son père de faire quelque chose, d’appeler la police ou d’aller à l’hôpital. Ses prières ne changent rien, semble-t-il. Tandis qu’il s’est réfugié dans sa chambre, son père vient le voir quelques heures plus tard pour lui dire que tout est fini, que Florent était mort, relate-t-il.

«Je lui ai demandé qu’est-ce qu’il allait faire, s’il allait appeler la police. Je lui ai dit qu’il avait eu une chance de le sauver et qu’il n’a rien fait. Il m’a dit de ne pas m’en faire avec ça, que ce n’était pas le premier», confie le fils.

Jason Martel confirme par ailleurs qu’un adolescent était sur place au moment des faits. Contrairement à ce que le garçon aurait dit, il avance qu’il n’y avait pas de «sang partout». Il convient toutefois que le garçon, qui était temporairement sous la «protection» de Pascal Martel, a pu être très impressionné par ce qu’il a vu, peut-être au point d’imaginer encore pire.

«Notre secret à vie»

Sous le choc de la mort de Florent Dumas, Jason Martel dit s’être cloîtré dans sa chambre. «Après trois jours, [Pascal] est venu me voir. Il voulait que je l’aide à trouver une place où aller l’enterrer, raconte-t-il. Je ne voulais pas, j’ai décidé de faire semblant de dormir, parce que quand je dormais, j’avais la paix, il ne venait pas me déranger».

Au bout d’une semaine, le père Martel aurait perdu patience. «Il m’a dit que si je ne creusais pas un trou, il allait m’enterrer avec, raconte le fils. La porte était ouverte, Florent était sur le plancher, il était tout gonflé, c’était vraiment pas beau à voir».

Florent Dumas, 51 ans et vivant avec une déficience intellectuelle auraient subi les pires sévices au mains de Pascal Martel, avant de mourir.

Jason Martel soutient avoir alors été pris de panique. «J’ai senti qu’il n’avait plus rien à perdre et qu’il allait me faire la même affaire qu’il avait faite à Florent».



Le jeune homme va donc s’exécuter en pleine nuit. «Il était deux heures du matin», se souvient-il. Il s’astreint à creuser une fosse de six pieds de profond. Les deux hommes y glissent le corps de Florent Dumas recouvert d’une bâche, sans autre forme de cérémonie.

Pascal Martel se serait ensuite appliqué à faire disparaître toutes les traces du passage de l’homme de 51 ans sous son toit, brûlant tout ce qui lui appartenait dans un feu à ciel ouvert, toujours à l’arrière de la résidence de la rue Monseigneur-Courchesne.

Pour Jason Martel s’amorcent des semaines de nuits blanches, de cauchemars et de remords, confie-t-il. Pendant ce temps, son père aurait resserré son emprise sur lui. «Il ne voulait pas que j’en parle, il répétait tout le temps que c’était notre secret à vie, il vérifiait que je n’avais rien écrit sur mon Facebook», relate le jeune homme.

Au bout de quelques semaines – 4, 5 ou 6, cette période reste floue –, n’en pouvant plus, le fils de Pascal Martel confie son terrible secret à sa sœur. Cette dernière se rend directement livrer l’histoire aux autorités. Un geste pour lequel il lui rend grâce aujourd’hui.

Des lendemains incertains

Jason Martel ne sait trop ce qui l’attend. Des accusations d’outrage à un cadavre pèsent toujours sur lui. Il croit comprendre que Pascal Martel sera possiblement seul à faire face à de nouvelles accusations. Une perspective qu’il lui apporte un soupçon de réconfort.

Il espère que celui qu’il ne reconnaît plus comme son père restera derrière les barreaux durant de longues années. Il craint toutefois que celui-ci ne tente de lui faire porter la responsabilité de la mort de Florent Dumas, voire qu’il plaide la non-responsabilité criminelle.

«Je l’ai dit aux enquêteurs: c’est le meilleur manipulateur que t’auras jamais vu. Il est contrôlant, il est violent, puis en plus, il est cali...ment bon!», souffle-t-il.

Libéré en attendant la suite du processus judiciaire, l’homme de 24 ans renoue avec sa famille, dont sa mère, qu’il n’a pas vraiment connue avant l’âge de 20 ans et qui l’héberge aujourd’hui.

Jason Martel tente par ailleurs de trouver un sens à la spirale infernale dans laquelle il a été entraîné. Celui dont la route n’aurait croisé celle de la DPJ qu’à une seule reprise étant enfant, sans autre conséquence, a commencé à voir un psychologue. «C’est dur, je suis complètement bloqué», murmure-t-il, alors que de grands pans de son enfance semblent lui échapper.

Pascal Martel est décrit par son fils Jason comme un homme contrôlant, cruel et violent.

«Je me suis fait conter des menteries toute ma vie. J’ai passé ma vie à penser que ma mère m’avait abandonné. Il fallait toujours que les personnes qu’il n’aimait pas je les tasse moi aussi. J’étais un vrai chien-chien dans cette histoire-là», se désole celui qui aura vraisemblablement suivi son père une fois de trop.

«Florent méritait pas ça, il ne faisait rien, puis il mangeait des coups de poings sur la gueule», hoche-t-il à nouveau de la tête.