La femme de 66 ans est décédée en mai dernier. Jusqu’à sa propre fin, un cahier est demeuré à la portée de sa belle main d’écriture.
« Aujourd’hui, le rideau vient de tomber. Environ six mois de sursis, et plus, sait-on jamais. Alors voilà ce que je voudrais pour mon enterrement... », a-t-elle écrit le 25 janvier, à la suite d’une conversation avec son oncologue.
Malgré les douleurs de la maladie – un cancer de la peau qui s’est rapidement généralisé – Johanne a pris le temps de noter les nombreuses mélodies qui la rendaient joyeuse ou qui pouvaient la bouleverser. « Des chansons qui me donnent des frissons », a-t-elle énuméré dans son cahier.
En prévision de ses funérailles à venir plus tard à l’été ou à l’automne, ses proches n’auront qu’à tourner les pages pour découvrir que Johanne écoutait aussi bien Édith Piaf que Bon Jovi.
Gilles Mailhot connaît depuis longtemps les préférences musicales de celle avec qui il fredonnait plusieurs refrains.
« Je passe mes journées ici... »
La voix brisée par l’émotion, l’homme trouve réconfort dans l’atelier situé à l’arrière de sa maison, à Saint-Alexis-des-Monts. Il s’assoit souvent à la place qu’occupait sa chère Johanne. Ici, chaque objet décoratif porte sa signature et la garde vivante.
L’ancienne infirmière était aussi une artiste qui créait en se servant des richesses de la nature, dont des bois de grève récupérés sur la plage de Sainte-Flavie, à l’entrée de la Gaspésie.
« On adorait la place. Nous y allions trois ou quatre fois par année. C’est là qu’elle sera enterrée. »
Gilles et Johanne sont venus s’installer en Mauricie au milieu des années 90. Parents de deux garçons, ils arrivaient de Deux-Montagnes où ils se sont connus à l’adolescence.
« On s’est embrassés pour la première fois le jour de mes 18 ans. Nous avons été mariés pendant 46 ans », souligne Gilles en prenant le temps de m’expliquer comment Johanne s’y prenait pour fabriquer des elfes dont certains ont trouvé preneurs en Allemagne et en Espagne. Ses créations étaient généralement accompagnées d’une pensée.
La femme a toujours aimé écrire. C’était sa façon d’exprimer ses émotions ou celles qu’elle avait la sensibilité de ressentir en côtoyant les autres. Tout devenait prétexte à jouer avec les mots.
Johanne ne pratiquait plus la profession d’infirmière au moment de déménager à Saint-Alexis avec mari et enfants. Le couple avait eu envie de se rapprocher des lacs et forêts en acceptant une offre d’emploi au sein d’une pourvoirie.
Johanne n’a jamais regretté ce changement de vie, bien au contraire.
La femme gardait aussi de doux souvenirs de cette période passée auprès de personnes mourantes, notamment la nuit, un poste qu’elle affectionnait particulièrement.
« Je peux les catiner », disait-elle à Gilles en parlant de ses patients qui ne pouvaient plus être guéris, mais que l’infirmière aidait à traverser le plus sereinement possible leurs derniers moments. Elle connaissait les vertus thérapeutiques de l’écoute et du toucher.
« Johanne s’occupait aussi des membres de leur famille », ajoute son mari avant de raconter qu’à l’heure de la pause, son épouse en profitait pour sortir son cahier de notes et laisser sa plume traduire ce qui lui venait à l’esprit entre la vie et la mort.
Des hommes et des femmes dont l’infirmière avait pris soin avec compassion.
Sauf exception, on n’est jamais préparé à recevoir un grave diagnostic. Le choc a été brutal pour Johanne aussi. Il était malheureusement déjà trop tard lorsqu’elle a découvert par hasard la présence de ce qui s’apparentait à un bouton.
Cette petite excroissance cachait en réalité la présence d’une masse volumineuse et cancéreuse.
Se voyant dépérir de jour en jour, la femme a eu envie de se replonger dans ses cahiers de notes remplis de ses propres poèmes, mais également de citations d’auteurs, connus ou anonymes, qu’elle connaissait par coeur.
Johanne a ensuite choisi les textes et passages auxquels elle s’identifiait le plus. La plupart avaient été composés ou retranscrits au début des années 90.
À l’approche de sa mort, l’amoureuse des mots savait qu’« Un peu de moi » allait lui survivre.
Le recueil lui a été livré à la maison deux jours après son décès, le 18 mai dernier, juste à temps pour que les cendres de cet ouvrage puissent être réunies à celles de Johanne.
Ce joli cahier de quelque 130 pages est la concrétisation d’un rêve que la femme caressait depuis l’enfance, lorsqu’elle était une fillette qui allait se réfugier dans la quiétude des sous-bois, étendue sur la mousse verte afin de se laisser habiter par la poésie des lieux.
Imprimé en 350 copies, « Un peu de moi » totalise une quarantaine de textes. On peut se procurer un exemplaire, au coût de 20 $ chacun, en communiquant directement avec Gilles Mailhot (819 995-2114) ou à la pharmacie de Saint-Alexis-des-Monts. Les sommes amassées seront éventuellement versées à un organisme qui reste à être identifié, mais qui sera dédié à la cause du cancer, indique celui-ci.