Je la regarde d’un air découragé. D’une part, en raison de ma propre négligence, d’autre part, parce que la situation me rappelle à quel point je suis dépourvue de compétences mécaniques. Les diplômes universitaires, dans certaines situations, sont inutiles.
Telle une enfant honteuse, je cache ma tondeuse dans le cabanon en espérant qu’elle disparaisse avec le temps. Or, son fantôme vient se loger dans le coin sombre de ma charge mentale, avec le spectre d’un problème que je devrai régler tôt ou tard.
Fixant des yeux les portes closes du cabanon, je passe en revue les options qui s’offrent à moi et je trouve une solution pas piquée des vers.
Option 1 - La faire réparer
Il existe, depuis novembre 2020, un bottin des réparateurs en Mauricie. Pratique pour connaître les ressources en région quand vient le temps de donner une autre vie aux objets du quotidien, il est toutefois incomplet surtout pour les réparations de type mécanique. Après quelques recherches, je dois passer directement par la compagnie et le service d’après-vente est une sorte d’épreuve-test pour les plus patients de ce monde.
Option 2 - En acheter une neuve
Cette option ne m’intéresse pas du tout. J’ai cette impression que l’utilisation n’en vaut pas l’investissement.
Faisons un calcul approximatif : tondre ma pelouse me prend 1 heure toutes les 3 semaines de mai à novembre. Cela représente un total de 10 heures d’utilisation sur un potentiel de 4380 heures – dans la mesure où la nuit ne compte pas. Donc, ma tondeuse dort dans le cabanon 99 % du temps et requiert de l’espace d’entreposage. C’est ce que j’appelle gaspiller son plein potentiel.
L’idée d’en acheter une neuve pour lui faire vivre la même vie plate me déplaît.
Ce n’est pas une question d’argent, mais de principes. En développement durable, l’analyse de cycle de vie est une méthode qui permet d’évaluer les impacts environnementaux associés à toutes les étapes de la vie d’un produit, de la production jusqu’à l’élimination. Autrement dit, j’essaye d’imaginer ma tondeuse du berceau à son tombeau.
Sa vie ne commence pas au moment où je l’achète, mais dès l’extraction des ressources naturelles (ex. énergies fossiles, minéraux) qui seront transformées pour créer les pièces (ex. plastique, tige de métal, lame). L’analyse tient aussi compte du transport des pièces et ce qu’il adviendra d’elles quand la tondeuse sera hors d’usage et prête pour son tombeau.
Les pièces seront-elles démontées pour être adéquatement recyclées? La tondeuse ira-t-elle dormir dans le lieu d’enfouissement de Saint-Étienne-des-Grès pour les 300 prochaines années?
Croire que la tondeuse coûte juste 250 $, n’est qu’illusion.
Option 3 - Réveiller la tondeuse des voisins
Dans un quartier résidentiel, tous mes voisins coupent leur gazon. Combien y a-t-il de tondeuses près de moi utilisées qu’à 1 % de leur potentiel? Qu’est-ce qui explique qu’on préfère avoir des maisons et des garages pleins à craquer d’objets sous-utilisés? Est-ce qu’on est trop gêné de demander un coup de main à notre entourage?
«Salut Thomas, ma tondeuse est brisée. Me prêterais-tu la tienne?» Il accepte sur-le-champ. On dirait même que cela lui fait plaisir de me rendre un service. Je lui propose alors qu’on se la partage durant l’été, en échange d’une compensation. Il refuse mon argent et on choisit plutôt de miser sur le partage de biens. Son fils s’amuse avec mon panier de basket, ce qui évite à ses parents d’en acheter un neuf.
Cette anecdote est un exemple de développement durable. Sur le plan économique, on épargne en optimisant les biens sous-utilisés; d’un point de vue social, nos interactions entre voisins sont stimulantes et nous permettent de créer des liens basés sur l’entraide et la confiance; puis sous l’angle environnemental, ce geste permet de réduire la consommation et les déchets enfouis.
Le partage est un geste simple et accessible. Il suffit de se dégêner, puis de le demander ou de l’offrir aux gens près de nous.