Chronique|

Le guitariste vagabond [VIDÉO]

Le guitariste et chansonnier Martin Hamel.

CHRONIQUE / Chaque fois que l’occasion se présente, Martin Hamel prend le temps d’échanger quelques mots avec les personnes en situation d’itinérance qu’il croise dans le parc situé à deux pas de son lieu de travail. «On le sait que ce n’est pas ton linge», lui a dit l’autre jour une femme en voyant son veston bon chic bon genre.


Est-ce en raison du regard bienveillant que cet homme pose sur eux? Ou encore à sa façon de s’asseoir avec eux, sur le même banc? «Tu n’es pas comme les autres», s’est contentée de répondre la femme lorsque Martin lui a dit de prendre soin d’elle.

«Je suis un guitariste vagabond. C’est comme cela que je me décris.»



Martin Hamel était âgé de 14 ans la première fois qu’il est parti pour une station de métro avec sa guitare en bandoulière.

«Tu vas faire un fou de toi», lui a lancé sa mère, peu convaincue que son fils avait eu une bonne idée: improviser des accords devant des passants qui allaient l’écouter d’une oreille distraite, le pas pressé. Deux heures plus tard, l’adolescent était plus riche de 80 $ dans son étui à guitare.

«Je sais ce que je veux faire plus tard dans la vie. Un fou de moi!», a-t-il annoncé de retour chez lui.

À l’époque, au début des années 80, Martin fréquentait l’école une journée sur deux. Le garçon en quête de liberté avait la fâcheuse manie de partir sur un coup de tête et sur le pouce, toujours avec sa guitare accrochée à lui.



On lui a même raconté que sa photo s’est déjà retrouvée sur des cartons de lait. «On me cherchait partout, j’étais rendu en Floride.»

À 16 ans, Martin a quitté définitivement la maison familiale et les bancs d’école avec un 2e secondaire complété.

«Je voulais voler de mes propres ailes. Je me sentais capable d’être autonome.»

C’est par choix qu’il s’est donc retrouvé dans la rue où la drogue lui était facilement accessible. Il ne s’en est pas privé.

«Mes décisions étaient un peu farfelues, mais l’avantage que j’avais par rapport aux autres qui faisaient des méfaits, moi, je jouais de la musique.»

Sa guitare était son gagne-pain et tout ce qu’il avait.



L’été, Martin dormait dans les parcs. L’hiver, il se réchauffait à proximité des systèmes de ventilation des stations de métro où rôdaient les gardiens de sécurité.

«Il fallait être doué et savoir se déplacer», admet Martin avant d’ajouter, au sujet de cette période de turbulence: «J’ai passé plus de beaux que de mauvais moments, mais c’est certain que de dormir dehors, en plein hiver, ce n’est jamais facile...»

Le jeune homme a mis fin à sa consommation de drogues en quittant les rues de Montréal. Martin est parti pour Québec, a ensuite pris la direction de l’Île-du-Prince-Édouard, a traversé le Canada dans l’autre sens pour s’arrêter à Toronto et à Vancouver, est descendu aux États-Unis, s’est rendu à San Francisco, à Los Angeles a atteint le Mexique, a fait un saut à Paris...

J’ai sûrement oublié des endroits qu’il m’a énumérés dans l’ordre et dans le désordre, mais peu importe la ville, la province ou le pays, retenons que l’auteur, compositeur et interprète avait toujours pour seul bagage sa guitare.

Martin Hamel, 55 ans, estime avoir vécu l’équivalent de sept années d’itinérance entrecoupées par la naissance de ses quatre enfants, trois gars et une fille. L’aîné a 35 ans, le plus jeune, 13 ans.

Son parcours n’a rien d’un fleuve tranquille. Il s’est posé à Québec au milieu des années 80. Il y est resté une dizaine d’années. Le musicien de rue est rapidement devenu un habitué de la Terrasse Dufferin et de la rue du Trésor où il a attiré l’attention des propriétaires de bars de chansonniers qui l’ont engagé.

Arrivant à faire lever la foule, Martin a vu son salaire augmenter puis il a décroché un contrat au restaurant-pub Le D’Orsay.

«J’ai été là pendant sept ans. J’étais partie du plus profond tunnel de métro, à Longueuil, et j’avais maintenant mon abonnement à la piscine du Château Frontenac avec Robert Bourassa. Il faisait des longueurs pendant que je barbotais!»



Régulièrement aussi, Martin se retrouvait dans une calèche, embauché par des touristes qui l’écoutaient chanter tout en découvrant le Vieux-Québec.

Martin baignait dans l’argent qui lui brûlait les doigts. Vêtements, voiture neuve, location de maison, achats de meubles, il s’est gâté... jusqu’à la faillite à la fin des années 90.

«Le succès m’a amené à l’échec.»

Retour à la case départ, encore une fois.

Martin est allé habiter chez les parents d’une copine, à Shawinigan. De là, il se rendait, toujours sur le pouce, à Montréal. Il y demeurait pendant dix jours, le temps de chanter dans le métro et de revenir avec de quoi survivre jusqu’au prochain aller-retour.

«C’était ça ma vie.»

Malgré les remous, Martin Hamel a su se composer une existence saupoudrée de cours au cégep et à l’université, mais surtout d’expériences de travail diversifiées comme en fait foi le document d’une douzaine de pages qu’il m’a remis en prévision de notre entretien.

Sur sa route, il a rencontré des personnes qui ont fait confiance à ce gars doué pour vendre ses idées. À Shawinigan, on se souvient de lui pour avoir produit au début des années 2000 les «Samedis Shows» et le «Centre-Ville en Blues».

Peu de gens le savent, mais à cette époque, Martin n’avait pas de bureau ni de logement. Un ami lui avait installé une ligne téléphonique au sous-sol de son café où le producteur sans toit pouvait se brancher sur Internet et passer la nuit.

L’homme réinvestissait le peu qu’il gagnait dans ses projets. Pour se doucher, Martin allait à gauche et à droite, chez des gens de son entourage qui ne lui posaient pas vraiment de questions sur son mode de vie.

«J’étais redevenue un itinérant. Le deuxième été, j’ai dormi dans le parc Saint-Maurice», dit-il, fier du chemin parcouru malgré les nombreux détours empruntés.

Aujourd’hui établi à Nicolet, Martin Hamel est depuis quelques mois à l’emploi de Culture Trois-Rivières. Un trousseau de clés à la main, le gérant de salle se sent chez lui, parmi les producteurs, artistes et spectateurs. Il les reçoit avec chaleur et sincérité, comme il sourit à cette femme croisée l’autre jour dans le parc, seule sur son banc.

«Quand tu as vécu sept ans d’itinérance, que tu as couché dehors, tu sais comment bien accueillir les gens», rappelle le musicien dont les yeux s’illuminent comme les projecteurs autour de lui et, bientôt, sur lui.

Martin s’apprête à renouer avec la scène, notamment avec son ami Francis Pelletier des Pelleteurs de nuages. Sa guitare n’est jamais très loin, en bandoulière ou au bout de ses doigts, prête à l’accompagner en chansons, comme dans cette vidéo où il chante «Que c’est beau la vie».

Parce que oui, elle est belle sa vie de guitariste vagabond.