À La Tuque, Adel Allal est un vrai phénomène. Le radiologiste qui a immigré de l’Algérie avec sa femme et ses quatre enfants pour venir travailler au centre hospitalier du Haut-Saint-Maurice est devenu un véritable agent mobilisateur de la communauté immigrante de la Haute-Mauricie. Un peu plus de deux ans et demi après son arrivée, le spécialiste multiplie les implications dans la communauté à la fois pour le bien-être de ses enfants, des nouveaux arrivants, mais aussi pour son propre bénéfice.
Il faut dire que ça ne se bouscule pas aux portes pour venir travailler dans le domaine de la santé à La Tuque. L’équipe du recrutement, dirigée par Chantal Guay, a beau participer à tous les congrès, toutes les activités de recrutement année après année, les médecins et les spécialistes québécois ont tendance à bouder cette portion de la Mauricie, où la pratique médicale est pourtant extrêmement variée et riche.
Résultat: c’est vers l’international qu’on se tourne bien souvent. Déjà, deux chirurgiens algériens y oeuvrent depuis douze ans, en plus de la médecine interne qui a recruté un spécialiste en Syrie. Le psychiatre recruté l’année dernière arrive de Tunisie, et un Égyptien sera bientôt en parrainage. Au département d’obstétrique, on s’apprête également à passer des entrevues pour un parrainage à l’international, alors que des candidats de la France et du Pérou ont levé la main. On a aussi recruté une médecin de famille en Belgique il y a quelques années.
«On n’a pas le choix, il faut pouvoir donner les services à notre population. Alors quand on n’arrive pas à trouver au Québec, on va à l’étranger», résume Chantal Guay.
C’est dans la boîte courriel de Mme Guay qu’est entré un jour une correspondance d’Adel Allal. Le jeune radiologiste cherchait déjà, à l’époque, à quitter les grandes villes avec sa femme afin de pouvoir s’installer dans une routine plus tranquille. Il venait de fonder une plateforme de téléradiologie pour lui permettre de faire du télétravail et ainsi s’installer à la campagne,en Algérie. Le couple avait l’intention de quitter la grande ville de Blida pour couler des jours un peu plus paisibles.
C’est là que l’idée d’aller travailler à l’étranger leur est venue. Ayant reçu sa formation médicale en français, Adel visait le Québec ou la France. Il a envoyé quelques courriels à des établissements où la spécialité de radiologiste était recherchée, dans l’espoir de pouvoir obtenir un parrainage, ce qui est un incontournable dans les pratiques de l’organisme Recrutement Santé Québec. Pour cinq ans, le spécialiste devait aller pratiquer dans une des régions désignées par l’organisme, dont La Tuque, avant de pouvoir obtenir son permis régulier et alors choisir le lieu qui lui convenait le mieux.
«Lorsque nous avons commencé à échanger, Chantal Guay et moi, le courant est tout de suite passé. Je me suis renseigné sur La Tuque et je voyais que c’était une ville qui correspondait à ce que nous recherchions, ma femme et moi. C’était une petite ville, mais où l’on pouvait retrouver tous les services dont on avait besoin. À partir de ce moment-là, je n’ai plus cherché ailleurs. Nous avons tout misé sur La Tuque», explique le Dr Allal.
Un examen d’évaluation des compétences médicales et trois mois de stage d’évaluation des compétences au CHUM de Montréal lui ont permis d’obtenir l’autorisation de pratiquer au Québec, en mode parrainage. Installé dans le Petit Maghreb, sur la rue Jean-Talon, l’Algérien a tôt fait de se lasser de ce lieu, lui qui rêvait de s’intégrer à la culture québécoise. «Au début, c’était réconfortant d’être avec des gens originaires du Maghreb. Mais à la longue, j’ai vite trouvé que ce n’était pas une bonne idée, que nous n’étions pas venus pour ça, mais bien pour s’imprégner de la culture d’ici», explique-t-il.
Dès qu’il a obtenu le feu vert, il est parti pour La Tuque avec sa famille, un soir de janvier, visiblement pressé de découvrir son nouveau lieu de résidence.
«Quand nous sommes arrivés, il faisait noir et tous les commerces étaient fermés. Ça nous a donné un choc, on s’est demandé si on avait fait le bon choix. Il aurait fallu venir le lendemain, nous étions probablement trop enthousiastes», s’esclaffe le radiologiste, qui assure que tout est rentré dans l’ordre très rapidement.
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La première journée de travail aura toutefois été très difficile pour Adel Allal, qui a commencé son nouvel emploi le 16 mars 2020, alors qu’on venait tout juste de décréter le confinement. Masqués, tous les médecins s’étaient réunis ce jour-là afin d’établir le plan de match et mettre en place les mesures exigées par le gouvernement. «C’était ça, mon intégration au travail. Bienvenue à La Tuque», indique-t-il en éclatant de rire.
Avec le recul, le Dr Allal constate que la pandémie et le confinement auront probablement aidé à l’intégration graduelle de la famille dans la communauté, alors que la plupart des gens n’étaient pas obnubilés par le tourbillon de la vie, qui venait de se mettre sur pause. Tranquillement, des amitiés sont nées, des liens se sont tissés.
Ils ont notamment pu compter sur la collaboration de Place aux jeunes avec le Carrefour Emploi Haut-Saint-Maurice de même que l’organisme Choisir La Tuque, qui ont multiplié les activités et les actions pour les aider à bien s’installer, à apprécier leur nouveau milieu de vie.
Au point où Adel a eu lui aussi l’envie de s’impliquer, de faire en sorte que l’expérience positive qu’il avait vécue, d’autres puissent la vivre également. L’an dernier, par le biais d’un groupe Facebook, il a réussi à rassembler pas moins de quinze personnes, dont la majorité sont issues de l’immigration, afin de fonder une équipe de soccer. Une fois par semaine, le groupe joue des parties amicales à l’extérieur. L’hiver, ça se passe dans un gymnase.
«C’est notre sport national, le soccer. Mais ça ne l’est pas tant au Québec. On a des gens qui viennent de l’Europe, de l’Afrique, de l’Amérique latine et deux ou trois Québécois», explique celui qui, par cette activité, a également choisi de s’impliquer comme coach bénévole pour une équipe U-10 de la ligue de soccer des Terreurs du Nord, où trois de ses quatre enfants évoluent désormais.
Et lors des soirées libres, il n’est pas rare que la petite famille invite quelques amis, autant issus de l’immigration que des gens originaires de La Tuque, au chalet pour faire un BBQ et continuer de tisser ces liens si précieux.
«C’est ce qu’on aime, être avec les gens. Il y en a de partout, et dans notre communauté on arrive à voyager partout dans le monde grâce à ces rencontres», se réjouit le radiologiste, qui a même débuté des cours de danse en ligne.
«J’étais sceptique au début, mais ma femme m’a convaincu. Dès le premier cours, j’ai adoré. Maintenant, on a un cours par semaine en plus de la soirée dansante la fin de semaine», résume-t-il. Un vrai saut dans la culture de chez nous!
«C’est ce qui est fantastique avec le Dr Allal et sa famille. Ils ne se sont pas assis en disant: tout va venir à moi. Ils ont choisi de s’impliquer, de s’intégrer et d’aller vers les autres. Ils sont devenus des agents mobilisateurs chez nous. C’est beau à voir», confirme Chantal Guay, qui espère que par ces exemples d’intégration, les médecins québécois verront également à quel point la pratique médicale peut être variée et enrichissante hors des grands centres urbains.
Pour Adel, il ne reste que deux ans et demi à être parrainé à La Tuque avant de pouvoir obtenir son permis de travail régulier comme médecin spécialiste et ainsi pouvoir pratiquer où il veut. Or, s’il devait déjà choisir, il ne bougerait pas de là. «Je n’ai aucune envie de quitter La Tuque. On se sent bien ici et les enfants aussi. Dans mon état d’esprit, je n’aurais pas envie de partir. C’est chez nous ici, maintenant».