Il y a quelques mois à peine, il lui fallait faire un effort pour sortir de la maison et marcher lentement dans les rues du quartier. Le prix était chèrement payé au retour. Florence avait tout juste l’énergie de regagner sa chambre pour le reste de la journée.
Gravir une montagne, c’est long, ardu et sinueux, mais aujourd’hui, elle s’offre le cadeau d’une route à perte de vue.
Le 18 mai dernier, Florence est partie seule pour l’Ouest canadien afin de voir du pays et à l’intérieur d’elle-même.
«J’ai besoin de me réapproprier mon corps et ma tête», m’a-t-elle dit plus tôt cette semaine, en direct de Kelowna. Sa mère, Mélanie Gélinas, était aussi de la conversation vidéo, aussi radieuse. Vivement la magie d’Internet pour observer sa fille en train de voler de ses propres ailes. Il n’y a pas si longtemps encore, elle la voyait souffrante et dans sa coquille.
Le choc est survenu le 17 octobre 2021. L’étudiante en sciences de la nature au Cégep de Shawinigan portait les couleurs des Électriks durant un match de flag-football disputé à Drummondville. Un peu avant la fin de la rencontre, Florence et une coéquipière ont été appelées à faire un jeu qu’elles n’avaient encore jamais pratiqué. Dans le feu de l’action, les filles n’ont pas pu éviter la collision, tête contre tête. Les deux joueuses se sont effondrées sur le sol.
«J’avais mal partout, mais pas particulièrement à la tête», se souvient Florence qui, sonnée, s’est relevée pour gagner le banc.
«Un mauvais coup», a pensé sa mère, quelque peu rassurée. Contrairement à sa partenaire de jeu, sa fille n’avait pas perdu conscience. Pas de nausées non plus.
Mélanie en a conclu que Florence l’avait échappé belle. Ce n’était pas une commotion cérébrale.
«C’est mon plus grand regret... Je n’avais pas les connaissances assez grandes pour bien réagir», laisse tomber Mélanie qui ignorait que les premières heures suivant un impact sont cruciales. Même sans symptômes.
«Tout part de là. L’éducation des gens...», poursuit la femme qui soutient que les entraîneurs, les jeunes athlètes et les parents devraient être mieux informés. Ce jour-là, personne n’a réagi sur le terrain. La joueuse était debout, elle était donc «correcte». Plus de peur que de mal, s’est sans doute dit un peu tout le monde.
Or, Florence aurait dû être mise au repos le plus complet durant les 48 premières heures suivant le choc, et ce, afin de prévenir des contrecoups qui, discrets au début, peuvent apparaître plus tard.
Le lendemain du match, Florence s’est présentée à son cours d’algèbre où, d’ordinaire, elle aurait rempli la feuille de calculs sans difficulté. Sauf que là... «Je ne comprenais absolument rien de ce qui était écrit.»
Le surlendemain, c’est un cours de français que la brillante étudiante confuse a dû quitter avant la fin.
«Je n’avais aucune idée de ce que je lisais.»
Il s’est écoulé un peu plus de trois jours avant que Florence soit examinée par un médecin qui lui a diagnostiqué un syndrome post-commotionnel. Pour l’heure, il n’y avait rien d’autre à faire que de rentrer à la maison, d’éviter les écrans et de s’accorder une pause de deux semaines. Pas d’école, pas de sport, pas d’emploi à temps partiel. Rien.
Même si la blessure était invisible, elle n’était pas moins présente et invalidante.
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Deux semaines après ce repos forcé, Florence conjuguait toujours son quotidien avec de sérieux maux de tête, le vertige, un trouble de la vue, des étourdissements, une fatigue extrême, de l’insomnie, des problèmes de concentration, des changements d’humeur...
«J’étais triste sans savoir pourquoi», décrit Florence qui pouvait également se réveiller au milieu de la nuit en ressentant une colère tout aussi inexplicable.
«Les émotions sont exacerbées par une commotion cérébrale», a appris Mélanie dont le télétravail lui permettait d’être auprès de sa fille qui avait besoin d’elle.
Incapable de conduire sa voiture, Florence ne pouvait pas se divertir avec un livre, en écoutant un film ou de la musique. La moindre source de stimulation amplifiait ses symptômes. Elle n’avait pas la force non plus de rencontrer des amis qui poursuivaient leur vie tandis que la sienne était en suspens.
Les semaines de congé sont devenues des mois.
«Jusqu’en février, j’avais comme un bébé à la maison», raconte Mélanie Gélinas dont la jeune adulte avait de la difficulté à se sortir du lit pour prendre une douche, se préparer un petit déjeuner, décider quoi manger.
Florence s’est tournée vers la physiothérapie pour l’aider à traiter la commotion cérébrale, notamment en s’attardant sur les muscles entourant les yeux.
«On a commencé à voir une progression. Lente, mais constante», souligne sa mère qui, deux fois par jour, disait à sa grande: «Va t’habiller. On s’en va marcher».
Moins de dix minutes plus tard, la jeune femme active de nature était de retour dans son lit, étourdie, épuisée, mais prête à recommencer le lendemain, avec persévérance.
Petit à petit, elle a franchi un pas de plus avant d’être dirigée vers un orthoptiste, spécialiste de la rééducation des troubles de la vision déclenchés dans ce cas-ci par la commotion cérébrale.
Lunettes aidant, Florence a graduellement retrouvé son équilibre, de l’énergie et le goût de réaliser son rêve: partir à l’aventure avec la fourgonnette qu’elle s’était procurée avant d’être ébranlée par une puissante secousse.
Cette «van de feu», comme dirait sa mère, Florence l’a transformée à son rythme, sans rien forcer, le plus possible du moins.
«Certaines journées, j’en faisais trop. Des symptômes revenaient», avoue celle qui a pris la décision de traverser le pays, sans date de retour, pour répondre à son besoin combien légitime de se réapproprier son corps et sa tête, nous a-t-elle dit précédemment.
Sa mère Mélanie et son père, Francis Trudel, ne pouvaient pas s’opposer à un tel projet. Au contraire. Faisant preuve d’une grande maturité, Florence n’avait pas à leur demander la permission pour vivre cette aventure faisant appel à une belle dose de confiance en soi.
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Au cours des deux dernières semaines, la randonneuse a accumulé plusieurs kilomètres dans les sentiers, à marcher avec une vigueur retrouvée. «Je recommence à bouger. Je n’ai tellement rien fait au cours des derniers mois.»
Certes, ce n’est pas tous les jours facile. Faire des recherches sur Internet pour planifier ses déplacements et des activités demeure un exercice complexe, qui fait appel à la lecture et à la compréhension. Tout n’est pas réglé. Le temps de récupération est long après une commotion.
Pour le moment, la courageuse profite du décor qui s’offre à elle, comme en fait foi sa photo dans l’immensité des montagnes.
«Je vois beaucoup de beau autour de moi!»
Florence se réconcilie avec la lumière. Elle peut enfin ouvrir grand les yeux.