Tout le monde, mais absolument tout le monde, peut à l’occasion «se faire avoir», comme on dit, et prêter foi à des faussetés — qu’elles portent sur les vaccins ou sur quoi que ce soit d’autre. Aucun diplôme, aucun niveau de connaissances, aucun degré d’intelligence ne peut immuniser complètement contre cela. Il n’existe littéralement personne qui ne croit qu’à des vérités.
En fait, un sondage réalisé aux États-Unis en 2019 a trouvé au moins une fausse croyance chez 80 % des Américains : les deux tiers adhéraient à des mythes en santé comme le pouvoir guérisseur des cristaux, le tiers croyaient à au moins une théorie de la conspiration (Illumitani, présence d’extraterrestres, etc.), et presque autant (31 %) croyaient aux fantômes. D’une culture à l’autre, le niveau d’adhésion à ces théories peut varier, mais cela montre qu’il n’est pas besoin d’avoir quoi que ce soit de très spécial pour tomber dans le panneau.
Cela dit, il est indéniable que certaines personnes sont plus attirées par ces idées que la moyenne. C’est un fait bien établi en psychologie que les gens qui croient en une théorie de la conspiration ont plus de chance d’adhérer à d’autres de ces théories. Et oui, il y a une part de psychologie dans tout cela.
Par exemple, il est nettement plus difficile d’admettre ses torts pour les personnalités narcissiques (ayant une estime de soi démesurée et qui cherchent à maintenir cette image grandiose d’eux-mêmes) que pour les autres. Lorsque contredit par des experts, un narcissique peut très bien conclure qu’il comprend mieux que lesdits experts au lieu de se raviser.
De même, certains traits cognitifs peuvent rendre plus susceptible à la désinformation. Les gens qui sont plus portés sur la pensée intuitive (plus rapide, plus facile que le raisonnement analytique) ont généralement plus de misère à discerner le vrai du faux et à réviser leurs croyances erronées, lisait-on en janvier dernier dans une revue de la littérature scientifique à ce sujet parue dans Nature Reviews – Psychology.
Par exemple, dans une étude qui mesurait ce penchant pour l’intuition en demandant aux participants «si vous faites une course et que vous dépassez le concurrent en 2e place, en quelle position êtes-vous ?» ceux qui ont répondu correctement (2e place) se sont avérés plus à même de reconnaître des fausses manchettes.
De la même manière, on a plus tendance à croire ce qui est cohérent avec notre vision du monde ou notre idéologie, et plus de difficulté à accepter ce qui la contredit. Mais «ultimement, la raison pour laquelle les gens ne corrigent pas leurs croyances n’est pas toujours claire, dit Sephan Lewandowsky, chercheur en psychologie à l’Université de Bristol et co-auteur de la revue de Nature Reviews.
«Pour certaines personnes, c’est la pensée intuitive. Mais en bout de ligne, je pense que l’idéologie pèse souvent plus lourd, en particulier le libertarisme. […] C’est vrai pour les vaccins comme pour les changements climatiques et pas mal tout rejet de la science. C’est ce que mes recherches ont montré, en tout cas.»
(Transparence totale : M. Lewandsky et moi-même siégeons tous les deux sur un panel au sujet des conséquences socio-économiques de la désinformation en science et santé.)
Mais on aurait tort, cependant, de croire que les caractéristiques individuelles expliquent entièrement la susceptibilité à la désinformation. Premièrement, soulignait l’article de Nature Reviews, plusieurs des réflexes cognitifs qui font croire à des faussetés sont en fait les mêmes qui nous mènent, souvent, à des vérités.
En effet, ce qui est intuitif est souvent vrai. De même, il arrive que la réalité s’aligne avec notre idéologie. La tendance que nous avons tous d’accorder plus de crédibilité aux gens que nous connaissons qu’aux étrangers peut elle aussi jouer dans les deux sens : elle peut aider si un vieil ami nous dit une vérité alors qu’un inconnu raconte un mythe, mais elle peut nuire si c’est l’inverse. Et la même chose vaut pour la charge émotive d’un message, qui favorise sa rétention peu importe qu’il soit vrai ou faux. Notons à cet égard que certains désinformateurs sont particulièrement bons à donner à leurs messages la forme idéale pour convaincre.
Deuxièmement, l’environnement peut jouer pour beaucoup, aussi. «Bien évidemment, tout commence avec l’exposition à la désinformation, dit M. Lewandowsky. On ne peut pas refuser de croire à une chose dont on n’a jamais eu connaissance. C’est aussi simple que ça.»
Quand la désinformation abonde, il y a plus de gens qui y croient, indépendamment des caractéristiques des individus — d’autant plus que la répétition d’une fausseté augmente ses chances de convaincre.
Dans la même veine, il faut mentionner que la désinformation a clairement une dimension sociologique. Il existe une méfiance envers les autorités publiques dans certains groupes défavorisés, qui a tendance à se transposer aux autorités scientifiques.
Aux États-Unis, par exemple, les Afro-Américains étaient moins nombreux à vouloir se faire vacciner contre la COVID en 2021 (60 % vs 70 % dans le reste de la population) selon un sondage Pew et ce, même s’ils étaient plus nombreux à considérer la COVID comme une «menace majeure» pour leur santé (49 % vs 31 %).
Ce n’est pas une règle absolue, remarquez. À preuve, au Canada la vaccination des Premières Nations semble s’être bien déroulée, au point où dans leurs communautés, 89 % des 12 ans et plus ont reçu au moins deux doses du vaccin. Mais il y a néanmoins une tendance générale qui rend certains groupes plus vulnérables à la désinformation.
Bref, si les caractéristiques cognitives d’un individu ou sa personnalité peuvent jouer un rôle, il faut garder à l’esprit qu’il y a aussi beaucoup d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte.
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