Chronique|

Guy et Monic en renfort

Guy Lambert, 74 ans, et Monic Dallaire, 69 ans, ont décidé de retourner sur le marché du travail à temps partiel, une façon pour eux de sortir de la routine. En cette période de pénurie de main-d’oeuvre, les deux retraités font le bonheur de leur employeur et des collègues du restaurant Normandin du secteur Trois-Rivières-Ouest.

CHRONIQUE / L’idée lui est venue en février dernier, un dimanche midi particulièrement achalandé dans ce restaurant où il n’en était pas à sa première visite. Seul à sa table, Guy Lambert, 74 ans, avait tout le loisir d’observer le va-et-vient constant des serveuses occupées à tout faire en même temps.


«Je viendrais bien travailler deux ou trois jours par semaine. Je pourrais vous aider», a-t-il glissé à l’une d’elles. La femme s’est arrêtée net. Monik Pronovost avait la broue dans le toupet, mais cette proposition inattendue n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde.

«Attendez, je vais vous chercher le boss!»



En cette ère de pénurie de main-d’oeuvre généralisée, ce client est apparu comme un ange descendu du ciel.

Faute d’un nombre suffisant d’employés ce jour-là, le patron était justement en train de débarrasser et de nettoyer les tables à cette heure de grande affluence. Sans plus attendre, Étienne Normandeau est allé à la rencontre de l’homme qui n’a pas eu besoin de lui remettre son curriculum vitae ni de passer une entrevue d’embauche.

«Tu commences quand?», a plutôt demandé le jeune homme de 25 ans à celui qui a l’âge d’être son grand-père.

Depuis, Guy Lambert est fidèle au poste les jeudis et vendredis, entre 11h et 14h. Le septuagénaire se fait un devoir de faire briller les tables comme un sou neuf.



«Je ne viens pas travailler, je viens passer le temps et m’amuser avec eux autres», dit-il avant de m’énumérer chacun des membres du personnel par leur prénom, du directeur au plongeur en passant par le cuisinier et «les filles» sur le plancher.

«Je suis tellement heureux! Passer mes journées dans le condo, c’est démoralisant. Ici, je viens chercher de la vie. Tout le monde est fin!»

«Ici», c’est au restaurant Normandin du secteur Trois-Rivières-Ouest où on l’appelle affectueusement «Monsieur Guy».

Monic Dallaire le seconde. La retraite, c’est bien beau, mais à en croire la femme de 69 ans, on vieillit plus vite entre quatre murs, surtout lorsqu’une pandémie vient mettre un frein aux activités et sorties comme ce fut le cas pendant deux ans.

Entre deux confinements, Monic a reçu l’appel de Kim Gaudreault, serveuse au Normandin.

«Est-ce que ça te tente?»



La Trifluvienne a oeuvré pendant une quarantaine d’années dans le milieu de la restauration. Elle a débuté sa carrière à l’ancien Nirvana avant de la terminer avec la fermeture du Buffet sportif du Sieur (longtemps connu sous le nom Le Sieur de Laviolette).

Kim a déjà travaillé avec Monic qui a eu cette réponse à son invitation de reprendre du service...

«Qu’est-ce que tu veux que j’aille faire là?»

La retraitée n’avait pas envie de redevenir serveuse ou gérante. Déjà donné. À raison de 60 heures par semaine.

Pas de problème, l’a-t-on rassurée. On avait plutôt besoin d’elle pour son accueil irréprochable et, tant qu’à être sur place, pour vérifier le passeport vaccinal qui était alors imposé aux clients.

Monic a accepté, mais à ses conditions. Elle avait envie de renouer avec le public, mais pas à temps plein. Deux midis par semaine, pour un total de 6 ou 7 heures, pas plus.

Disponible les samedis et dimanches? Non. Dans son ancienne vie de femme active, Monic travaillait lorsque tout le monde était en congé. C’est à son tour de se la couler douce, de vivre du temps de qualité avec sa fille et ses petits-enfants.

«Lorsqu’il n’y a plus d’ouvrage, je m’en vais. Je suis là pour le rush», a-t-elle finalement indiqué au patron.



Marché conclu.

«On travaille quand on veut!»

Et cette liberté enchante également Guy Lambert qui a occupé divers emplois pendant quatre décennies, dont celui de camionneur. À sa retraite, vers l’âge de 60 ans, il est retourné s’amuser sur sa terre à bois, dans son Saint-Paulin d’origine, tout en effectuant à l’occasion de la livraison pour un commerce du coin.

L’homme réside maintenant à Bécancour où, dix minutes après avoir quitté son chez-soi et traversé le pont, il pousse la porte du Normandin avec entrain. Monsieur Guy aime la «gang» qui le lui rend bien.

«J’arrive ici toujours de bonne humeur. L’ambiance est bonne. Sinon madame, c’est sûr que je ne resterais pas!», affirme elle aussi Monic Dallaire.

La femme n’a rien perdu de son efficacité auprès des clients qui apprécient son amabilité à leur endroit. Elle ne se contente pas seulement de leur désigner une table. La dame s’assure à plus d’une reprise qu’ils passent un bon moment.

Monic et Guy se sentent utiles, l’antidote parfait contre la solitude et la dépression.

«Je ne viens pas ici pour travailler. Je viens pour mon mental. Je n’ai pas besoin de pilules ni de psychologue», affirme la femme qui encourage les retraités à offrir leurs services et les employeurs, à considérer les candidatures de ces gens d’expérience.

En autant que le gouvernement fasse, lui aussi, preuve d’ouverture...

Le tandem du Normandin connaît des retraités qui seraient prêts à faire leur part pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre, mais qui hésitent à venir à la rescousse. Le prix à payer peut être élevé pour ces contribuables de longue date.

«Je ne suis pas pour retourner travailler, je vais encore payer de l’impôt», les entendent penser Guy et Monic qui peuvent les comprendre.

S’il n’en tenait qu’à eux, on les croiserait plus souvent au resto, mais au-delà d’un certain nombre d’heures, ils n’ont plus intérêt à joindre l’utile à l’agréable.

Ces deux retraités insistent pour dire qu’ils travaillent avant tout pour se désennuyer, mais si je peux me permettre, l’épicerie, l’essence et le reste coûtent plus cher pour eux aussi.

«Il faut que le gouvernement fasse quelque chose pour les retraités», souligne Monic Dallaire qui souhaite l’instauration de mesures incitant ces derniers à répondre davantage «présent».

Une guenille à la main, Monsieur Guy n’a pas une table à son épreuve. Le sourire dans la voix, sa collègue à l’accueil nous accompagne jusqu’à la meilleure table.

«Prendriez-vous un bon café?»

Le duo fait preuve d’une productivité qui sert d’exemple. Guy et Monic font l’unanimité. Des employés du mois à l’année.

Et ils sont heureux.