Cette semaine, c’est avec courage et résilience que l’homme de 58 ans a repris le bâton du pèlerin afin de faire de ces pertes un plaidoyer pour de meilleures pratiques en soins pour les personnes atteintes de troubles de santé mentale et pour la prévention du suicide. À l’occasion de l’enquête publique du coroner sur la thématique du suicide, qui se déroule en ce moment au palais de justice de Trois-Rivières, il est venu témoigner de son histoire, mais également de l’histoire de tant d’autres personnes qui se sont confiées à lui depuis qu’il s’implique en prévention du suicide, quelque temps après la mort de Sylvie.
À travers diverses thématiques et recommandations, Daniel Lepage a plaidé pour l’amélioration des soins prodigués aux personnes souffrant de troubles de santé mentale, et a voulu semer l’espoir à travers le pire drame qu’un homme puisse vivre.
J’ai connu Daniel il y a de nombreuses années, alors qu’il venait de fonder la toute première association d’endeuillés du suicide au Québec. Ce soir-là, nous tenions chacun une chandelle lors d'une vigile en mémoire de ceux qui se sont enlevés la vie. Lui, pour se souvenir de Sylvie, moi pour ne pas oublier une amie, Séverine, partie elle aussi quelques années auparavant.
Après le décès de Sylvie, Daniel Lepage a fait de la cause de la prévention du suicide la cause de sa vie. Il a créé l’Association des endeuillés du suicide De La Traverse, en plus d’introduire le programme Sentinelles à l’UQTR, là où il travaille. Pendant dix ans, il a animé des ateliers de discussions pour les endeuillés par suicide. Il a joint le conseil d’administration du Centre de prévention suicide Accalmie il y a trois ans.
Il n’était pas pour autant protégé de revivre un tel drame, il le réalise aujourd’hui avec le départ d’Audrey-Ann. C’est malgré tout convaincu que ce combat n’aura pas été vain qu’il souhaite encore aujourd’hui élever sa voix pour susciter l’espoir et faire en sorte qu’on apprenne et qu’on s’améliore constamment.
«Quelques jours avant son suicide, ma fille s’était rendue de son propre chef à l’hôpital. À ce moment, j’étais soulagé. Intérieurement, je me disais qu’elle avançait dans sa prise en charge, qu’elle recevrait les soins requis et surtout la surveillance adéquate. Pour un certain temps, elle serait en sécurité. Toutefois, tôt le matin du 9 avril 2021, l’appel du psychiatre m’annonçait que j’avais eu tort. Ma fille n’était plus de ce monde. Je m’en suis voulu d’avoir fait confiance à ce système de santé. Néanmoins, avec un peu de recul, j’aime croire que si tous ensemble on y met les efforts, il est possible d’améliorer les choses pour éviter de tels drames», croit Daniel Lepage.
Sans parler du moyen utilisé par sa fille pour passer à l’acte, le papa précisera simplement qu’elle a pu poser le geste à l’aide de matériel qui était à sa disposition à l’hôpital. À ce jour, rien ne lui laisse croire que ce matériel ne soit plus à la disposition des personnes hospitalisées au département de psychiatrie.
À travers son témoignage et celui de plusieurs autres endeuillés cette semaine, la coroner Me Julie-Kim Godin a pu entendre des plaidoyers pour une meilleure inclusion des proches aidants dans le continuum de soins des personnes souffrant de troubles de santé mentale, mais également d’une plus grande formation sur les meilleures pratiques en prévention du suicide donnée au personnel médical oeuvrant auprès de ces personnes. En outre, Daniel Lepage aimerait tant que la législation soit adaptée pour mieux aider les personnes en détresse, législation qui bien souvent ne tient pas compte de leur réel besoin d'être aidées.
En date d’avril 2022, la liste d’attente pour un suivi en santé mentale au Québec était de plus de 19 000 personnes, relate Daniel Lepage, et la pandémie n’a aidé en rien la plupart de ces personnes qui cherchent aujourd’hui à aller mieux. «La pandémie de COVID-19 a provoqué une vague de solitude et d’isolement qui a grandement affecté la population. D’ailleurs, pour ma fille, cet événement a été comme l’étincelle qui a allumé sa détresse», souligne celui qui a aussi plaidé pour un plus grand financement aux organismes communautaires qui assurent un filet social auprès des personnes en détresse et de leurs proches.
Au Québec, chaque jour, trois personnes s’enlèvent la vie. Ce sont plus de 1000 suicides par année qui sont malheureusement répertoriés. Dans plusieurs de ces cas, des rapports de coroner et des enquêtes publiques en sont venus à l’émission de recommandations pour améliorer le continuum de soins. Or, une enquête menée en 2018 par le Journal de Québec révélait que sur 1340 rapports de coroner rendus publics entre 2012 et 2017, plus de la moitié des recommandations destinées à divers organismes n’avaient pas été appliquées. Par ailleurs, il n’existe pas de veille à uniformiser ces recommandations, qui généralement sont destinées à un seul établissement, sans que les autres puissent en être informés et voir si la recommandation pourrait aussi s’appliquer dans leur milieu.
À ce sujet, une autre Trifluvienne, Élyse Granger dont la mère est également décédée par suicide au CHAUR en octobre 2013, a témoigné de sa déception face à ces constats, et surtout de sa grande volonté de voir le travail des coroners et les témoignages des familles être davantage pris en compte dans l’amélioration des bonnes pratiques. Elle a également plaidé pour de plus grands investissements en recherche sur les soins en santé mentale et en prévention du suicide, mais surtout l’implantation d’un mécanisme de transfert rapide de ces connaissances vers les milieux de soins.
«Au ministère des Transports, il y a une unité qui veille à l’application de certaines recommandations formulées par le Bureau du coroner. Pourquoi n’en serait-il pas de même au ministère de la Santé et des Services sociaux», s’est questionné Daniel Lepage.
Cette enquête publique du Bureau du coroner, elle était attendue depuis plusieurs années par les familles de personnes ayant commis l’irréparable, et qui sont aujourd’hui représentées dans le cadre de ces travaux d’une importance capitale. Partout, on souhaite d’abord voir des recommandations être émises pour améliorer les soins prodigués aux personnes aux prises avec des troubles de santé mentale, mais aussi améliorer continuellement les interventions de chaque intervenant oeuvrant auprès de ces personnes qui veulent avant tout arrêter de souffrir.
Au printemps dernier, le ministre de la Santé Christian Dubé annonçait la mise en place de la Stratégie nationale de prévention du suicide, qui était accompagnée d’une enveloppe de 65M$. Dans les corridors du palais de justice de Trois-Rivières, ces jours-ci, bien qu’on se réjouisse de cette annonce, on se demande surtout pourquoi le ministre n’a pas attendu les conclusions de cette importante enquête publique avant de mettre en place cette stratégie.
Mais pour Daniel Lepage, l’heure n’est pas aux reproches, non plus à la recherche de coupables. Elle ne l’a jamais été. L’heure est aux solutions, qu’il espère voir jaillir de cette intervention que lui aura inspirée sa belle Audrey-Ann.
L’heure est à semer l’espoir, tout simplement.
***
Si vous ou un proche vivez des moments difficiles: Ligne de prévention du suicide au 1-866-APPELLE (277-3553)