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Boissons énergisantes: à quand l’interdiction de vente aux mineurs?

Des voix s’élèvent pour que les boissons énergisantes contenant de la caféine ne puissent plus être vendues aux personnes mineures.

CHRONIQUE / Lorsque le jeune Edward s’est assis à la table ce soir-là, à sa résidence de Shawinigan, il avait les mains qui tremblaient. Son coeur battait à toute vitesse. Le jeune homme de 12 ans avait envie de vomir. Ses parents, Karolyne Leclerc et Dany Langevin ont rapidement compris ce qui était arrivé: il avait consommé une boisson énergisante contenant de la caféine qu’il avait pu se procurer avec ses amis au dépanneur. Les deux parents sont encore estomaqués, deux semaines plus tard, de constater que ces enfants de 5e et 6e années ont pu s’acheter de tels produits aussi nocifs pour leur santé sans aucun problème au dépanneur.


Depuis les derniers jours, les parents d’Edward mènent ainsi une campagne afin de sensibiliser les différents paliers de gouvernement à l’importance de légiférer pour empêcher la vente de ces boissons aux mineurs de moins de 16 ans. Une pétition a été mise en ligne, et ils entendent la déposer tant à l’Assemblée nationale qu’à la Chambre des communes pour que les choses bougent.

«Ce n’est pas normal que des produits aussi mauvais pour la santé et le développement des jeunes puissent être vendus sans aucun problème, sans que personne ne pose de questions», indique la maman, qui travaille dans cette même école primaire. Elle indique d’ailleurs que la directrice de l’école, mise au fait de l’incident, a été très proactive et est allée à la rencontre du propriétaire du dépanneur en question afin de le sensibiliser aux dangers de ces produits pour les enfants.



Mais au final, leur vente est légale. Et à en croire un propriétaire de dépanneur contacté par Le Nouvelliste, elle est également très lucrative. Dans les produits sans alcool, il indique en effet que c’est le produit le plus vendu en magasin, bien avant les boissons gazeuses et le Gatorade, par exemple.

Karolyne Leclerc et Dany Langevin réclament que le gouvernement légifère pour empêcher la vente de boissons énergisantes aux personnes mineures.

Intéressant donc pour les compagnies de poursuivre la vente de ces produits qui rapportent beaucoup aux commerces. Et ce, même si l’avis de la Société canadienne de pédiatrie plaide depuis des années pour l’interdiction complète de leur vente aux moins de 18 ans. Dans un avis publié en octobre 2017, les pédiatres indiquent préconiser «d’élargir la législation pour interdire la commercialisation des boissons énergisantes contenant de la caféine auprès des enfants et des adolescents». Un avis partagé par la pédiatre Karina Poliquin, qui pratique au CHAUR de Trois-Rivières.

«C’est complètement à proscrire et oui, il faut légiférer pour en interdire la vente aux mineurs. Déjà, on sait que la promotion de ces produits n’est pas autorisée auprès des mineurs, mais certaines compagnies qui produisent ces boissons continuent quand même de commanditer de très jeunes athlètes. C’est déplorable. Il y a des effets non négligeables sur la santé des enfants et des adolescents», considère la Dre Poliquin.

Parmi les effets que l’on peut observer, on note la tachycardie, l’augmentation de la tension artérielle, l’arythmie cardiaque, des vomissements, de la diarrhée, de l’impulsivité, de l’agitation psychomotrice, des hallucinations et parfois même des décès si le patient a une prédisposition cardiaque.



Selon l’avis publié par la Société canadienne de pédiatrie, la concentration en caféine de ces boissons est limitée à 400 mg par litre ou à un maximum de 180 mg par contenant à portion unique, soit un contenant de moins de 750 ml qui ne peut être refermé, comme une cannette par exemple. Cette concentration est toutefois considérée comme plus du double de l’apport quotidien maximal de caféine recommandé par Santé Canada pour les enfants de 10 à 12 ans, et plus du quadruple quand on parle des enfants de 4 à 6 ans.

«Pour les jeunes ayant un diagnostic de TDAH, ça ce fait qu’accentuer les effets. Ça mime le comportement d’un débalancement hormonal, ça n’a rien de banal. Et comme ce sont des produits qui créent une dépendance, on peut aussi ressentir les effets du sevrage, comme une baisse d’énergie, de la somnolence, une perte de vigilance, des maux de tête, une humeur dépressive», énumère Karina Poliquin.

Dre Karina Poliquin, pédiatre au CHAUR de Trois-Rivières.

Il y a près de dix ans, un autre Shawiniganais avait porté ce combat. Yves Plourde avait perdu son fils Maxime, 24 ans, le 16 février 2013. Le jeune homme avait été terrassé par un arrêt cardiaque. L’autopsie avait révélé une malformation cardiaque jusque-là inconnue de sa famille, appelée le syndrome de Wolf-Parkinson-White. Or, il consommait également environ une cannette de boisson énergisante par jour ce qui, selon son père, avait contribué à son décès.

Yves Plourde avait déposé une pétition de plus de 1550 signatures à l’Assemblée nationale quelques mois après le décès de son fils, afin de réclamer du gouvernement qu’il interdise la vente de ces produits aux personnes mineures. Malheureusement, une telle loi n’a finalement jamais été proposée par les parlementaires. Yves Plourde est décédé en 2017, sans que son action n’ait donné le résultat qu’il attendait.

Une mince victoire pour lui, cependant, la Ville de Shawinigan avait accepté à l’époque de bannir ces boissons de tous les édifices municipaux. Contacté à ce sujet lundi, le maire Michel Angers a assuré que cette directive était toujours en vigueur.

La Ville contrôle toutefois ce sur quoi elle a autorité. Et ni la Ville, ni le Centre de services scolaires ne pourront légiférer sur le droit ou non de vendre ces produits sur le marché aux mineurs.



Le papa d’Edward, Dany, a connu Maxime Plourde avant qu’il ne décède, il y aura bientôt dix ans. Son décès avait fait grand bruit partout dans la région. Il espérait tant que cette perte ait pu faire bouger les choses. Aujourd’hui, il constate que c’est son fils qui se retrouve devant les mêmes dangers. Et bien que les parents estiment avoir suffisamment sensibilisé leurs enfants aux effets néfastes de ces produits, l’enjeu doit être porté à plus grande échelle.

«Ce n’est pas juste une question d’éducation. On leur en parle, on les sensibilise. Mais je ne pourrai pas suivre partout mes enfants chaque minute 24 heures sur 24. Si c’est si néfaste pour la santé, ça ne devrait pas juste reposer sur la responsabilité des parents. Ça devrait juste être interdit», est d’avis Karolyne Leclerc.

C’est aussi l’avis de la pédiatre Karina Poliquin. «On se retrouve à une période de la vie où il y a encore une certaine immaturité cérébrale, une absence de conscience des choix. Ce n’est pas pour rien qu’on interdit la vente d’alcool aux mineurs, autant que la vente de cannabis à la SQDC», considère la spécialiste, qui rappelle par ailleurs que les pédiatres plaident même pour que l’âge minimum pour la vente légale du cannabis soit rehaussé à 25 ans, moment où le cerveau humain est considéré comme arrivé à maturité.

«On dit que ça prend tout un village pour élever un enfant. Moi je crois que ce serait une belle façon de le démontrer», considère Karolyne Leclerc.