Chronique|

Les trois vies de Bryan Perro

CHRONIQUE / Oeuvrant tous les deux dans le milieu culturel en Mauricie depuis bientôt trois décennies, c’est à maintes reprises que nos chemins se sont croisés. Mais le Bryan que je côtoie à chacune de ces occasions, c’est le Perro ou le Perreault? Car les deux existent bel et bien. Cette dualité est-elle née du désir de distinguer deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre? J’en ai discuté avec lui au cours des derniers jours. Une rencontre qui fut à son image, franche et sincère, et qui a donné lieu à des confidences auxquelles j’étais loin de m’attendre.


«Garcia Marquez disait que les auteurs ont trois vies: une vie publique, une vie privée et une vie secrète», c’est ainsi qu’il a répondu sans détour à mon questionnement.

«J’ai une vie publique où c’est Bryan Perro. C’est l’auteur, le gars qui écrit, les salons du livre, l’artiste… C’est mon premier métier. C’est le personnage public.»

«J’ai ma vie privée. C’est Perreault. C’est mon travail à Culture Shawinigan. C’est la vie que je mène au quotidien.»

«Et la vie secrète, c’est Bryan. Ce n’est pas le même gars que dans la vie publique ou la vie privée. À part ma famille, très peu de personnes y ont accès. Ça se compte sur les doigts de la main. Mais ce sont eux qui ont accès au vrai gars.»

De son propre aveu, cette séparation est arrivée par nécessité. «Bryan Perro ne peut pas toujours exister, parce qu’il est insoutenable. Je ne peux pas toujours être fin et gentil. Je ne peux pas toujours être l’auteur que tout le monde aime et qui écrit de belles histoires. C’est insoutenable.»

Perro est apparu en 1995, avec sa première pièce de théâtre, Horresco Referens, présentée au Village d’Émilie de Grand-Mère. Il s’en est suivi l’extraordinaire carrière qu’on lui connaît et durant laquelle il a réalisé tout ce dont il rêvait. Absolument tout. Peut-être même, trop. «À 47 ans, je ne savais plus quoi faire de ma vie. J’avais fait les voyages que je voulais. J’avais écrit ce que je voulais et je n’avais plus envie d’écrire. Je voulais être éditeur et ouvrir une librairie. C’était fait. Je voulais être joué au TNM. Je l’ai fait avec Moby Dick. J’ai partagé la scène avec Nagano. J’ai tout fait.» L’auteur s’est alors retrouvé face au néant. Plus rien devant. Plus rien pour le faire rêver à nouveau.

À la même époque, le poste de directeur général de Culture Shawinigan était disponible. Une carrière qui ne lui avait jamais effleuré l’esprit, jusqu’à ce que son nom se mette à circuler à travers les rumeurs. Un jour, il a demandé à Josette Allard-Gignac, alors présidente de l’organisation: «Avez-vous besoin de moi?». Ce à quoi elle avait habilement répondu: «Et toi, as-tu besoin de nous?» Elle avait vu juste. «À l’époque, j’avais bien plus besoin de Culture Shawinigan que Culture Shawinigan avait besoin de moi.»

Ce nouveau chapitre a pour ainsi dire marqué la renaissance de Bryan Perreault. Outre quelques projets ici et là, l’écriture a été mise de côté. Dès son entrée en poste en 2015, il s’est engouffré dans le travail, avec excès et démesure, jusqu’à ce que la pandémie frappe. Une pause qui lui aura été salutaire, car elle lui aura permis de faire le point sur son organisation du temps. Du même coup, l’écrivain qu’il avait endormi s’est réveillé. Perro et Perreault ont appris à cohabiter. Cela aura finalement pris près de cinq ans, mais ses deux passions ont fini par se rejoindre.

L’introspection à laquelle il s’est livré était due à la pandémie, mais aussi à un événement survenu dans sa vie privée. Une expérience éprouvante qu’il n’avait jusqu’à maintenant jamais rendue publique. Il a d’ailleurs longuement hésité avant que le sujet ne soit retranscrit dans ce texte. «Je ne sais pas si je veux en parler publiquement. Ça donnerait quoi?» Après plusieurs minutes de questionnements, entrecoupées de silences, il a tranché: «Le médecin m’a dit: il faut que tu en parles. Alors, écris-le, je te fais confiance.»

C’est qu’en janvier dernier, il a été opéré pour un cancer, diagnostiqué six mois auparavant. «Ils m’ont ouvert. Ils sont allés chercher la bête et ils l’ont crissée dehors», m’a-t-il expliqué en mimant le geste de façon théâtrale. Il s’en est suivi six semaines de rétablissement et, surtout, de remises en question. «J’ai vécu beaucoup de noirceur quand j’ai été diagnostiqué. Pour la première fois, j’ai envisagé ma propre finalité. J’ai eu une frayeur terrible.»

Frayeur. Un mot sur lequel il insistera à plusieurs reprises. Un mot dont il prononcera chaque lettre avec fermeté, presque avec rage. «Si tu savais la frayeur que j’ai eue. Pas la peur. La frayeur. Je n’avais jamais connu la frayeur.» Une émotion qui l’a lourdement affecté et de laquelle il a dû se remettre psychologiquement.

Mais aujourd’hui, il va bien, physiquement et mentalement, et il entrevoit la suite avec optimisme et sérénité. «À la fin de la pandémie et avec ce qui m’est arrivé, je me suis dit: comment vas-tu gérer ces trois vies-là?» À la lumière de notre échange, sa décision est sans équivoque, il a choisi de les chérir toutes les trois, aussi longtemps qu’il le pourra.