«Ma maman parle parfaitement espagnol. Vous comprendrez que dans une petite ville comme Plessisville, peu de gens peuvent s’exprimer dans cette langue.»
Valérie Blais est la fille de Claudette, 77 ans. Dans son courriel, la femme de Québec a piqué ma curiosité en précisant que depuis plusieurs années, sa mère consacre beaucoup de temps à aider des travailleurs latinos qui viennent s’établir ici dans l’espoir d’améliorer leur sort et celui de leur famille.
Wilfredo par exemple. J’y reviendrai plus loin, mais lorsque le Péruvien d’origine parle de Claudette, il l’appelle sa «maman du Canada»... C’est tout dire.
«Je suis profondément persuadée que c’est grâce à son grand coeur que plusieurs travailleurs étrangers sont restés dans la région, qu’ils se sont intégrés en contribuant à notre société et que ceux qui ont choisi de retourner dans leur pays ne l’oublieront jamais.»
Valérie a la plume pour se montrer convaincante.
Je me suis invitée chez Claudette où, à peine ai-je eu le temps d’entrer dans sa demeure que la femme m’a confié, un tantinet nerveuse: «J’ai dit à ma fille: mais qu’est-ce que tu as pensé? Je ne saurai pas quoi dire!»
Ça m’étonnerait.
Claudette est l’heureux mélange d’une femme chaleureuse et indépendante.
«J’aime faire à mon rythme ce que j’aime.»
En 1978, la mère au foyer de deux jeunes filles a ressenti l’appel du marché du travail. Elle s’est trouvé un emploi de secrétaire à la caisse populaire de sa municipalité.
La langue espagnole est entrée dans sa vie un an plus tard, lorsqu’un homme et une femme originaires du Guatemala sont débarqués à Plessisville afin d’en apprendre un peu plus sur le mouvement coopératif au Québec.
«Tu t’en occupes», l’a avisée son patron en lui présentant la stagiaire qui n’avait pas encore eu le temps d’apprendre le français.
«Manger?», lui a demandé Claudette avec des gestes, à défaut de savoir le dire en espagnol. «Comer», a traduit sa protégée.
Prononcé à voix haute, cela résonne comme «commère». N’étant jamais à court d’images, Claudette s’est fait cette drôle de réflexion: «La commère mange son prochain.»
La septuagénaire rit franchement avant de me partager ses autres trucs pour mémoriser des mots en espagnol, une langue qu’elle a aimée tout de suite.
Pendant deux étés consécutifs, Claudette est partie à l’aventure, plus précisément en Espagne pour y vivre un séjour linguistique de cinq semaines chaque fois. Âgée de 37 ans, la mère de famille était l’élève la plus vieille de la classe, mais sans aucun doute la plus motivée.
À son retour, Claudette a commencé à donner des leçons d’espagnol. Son nom s’est mis à circuler, parvenant jusqu’aux oreilles d’un propriétaire d’une porcherie qui venait d’embaucher un Péruvien. Il s’en allait justement le chercher à l’aéroport.
Sur le chemin du retour, les deux hommes se sont rendus directement chez cette femme qui allait leur être d’un grand secours. Ils ont sonné à sa porte qui s’est ouverte.
«Claudette, tu parles espagnol, explique-lui...», a demandé le producteur en lui présentant Wilfredo.
Au début, le jeune homme l’appelait chaque dimanche. Cette gentille dame est rapidement devenue une amie, une confidente, voire une maman de remplacement. Avec elle, il pouvait communiquer dans sa langue maternelle tout en commençant une nouvelle vie en français.
«Mamá Claudette, qu’est-ce que tu fais aujourd’hui?»
Wilfredo n’avait pas de voiture. Il trouvait le temps long, loin des siens. Son épouse et ses deux petits garçons étaient – et sont toujours – au Pérou.
Claudette faisait ni une ni deux et allait le chercher.
«Il venait passer l’après-midi à la maison. Parfois, je l’amenais manger au restaurant.»
Le bouche-à-oreille a fait son oeuvre, notamment parmi les travailleurs étrangers recrutés par les entreprises agricoles et manufacturières du secteur. Ils arrivent du Mexique, de la Colombie, du Nicaragua et d’ailleurs. Ils ont le coeur à l’ouvrage et régulièrement besoin de Claudette.
«Ça s’est su que j’étais capable de faire de la traduction.»
Le jour de notre rencontre, elle avait rendez-vous avec un Mexicain qui avait reçu le renouvellement de son assurance automobile. La hausse était beaucoup plus élevée que prévu. «Je ne comprends pas...», a-t-il dit à Claudette qui n’a pas hésité.
«Apporte-moi ça. Je vais appeler pour vérifier.»
La femme sait combien il peut être difficile de décoder des explications pointues dans une autre langue. Le débit de l’interlocuteur au bout du fil est souvent trop rapide pour l’hispanophone qui fait de son mieux pour déchiffrer les petits caractères qui sont incompréhensibles, même pour les francophones.
Depuis peu, Claudette s’implique auprès du Comité d’accueil international des Bois-Francs. Sa parfaite maîtrise de l’espagnol facilite les échanges entre les personnes immigrantes et les intervenants scolaires, de la santé et des services sociaux.
Pour la première fois, Claudette est rémunérée pour faire ce qu’elle continue aussi de faire bénévolement, sans jamais s’offusquer que des gens se partagent son numéro de téléphone ou qu’ils se pointent à l’improviste, comme ce fut récemment le cas avec une Nicaraguayenne.
«Son petit garçon avait été opéré en raison d’une appendicite. Elle devait rappeler à l’hôpital pour un rendez-vous de suivi. Elle m’a dit, je suis incapable au téléphone. Je ne sais pas par où passer. Je ne comprends pas.»
La veille de la fête des Mères, la jeune femme et son mari se sont présentés à sa porte, une bouteille de vin à la main pour la remercier.
Claudette a ouvert. «Entrez!»
Elle leur a présenté sa fille, en visite pour l’occasion. Les rires ont été nombreux durant cette soirée à consonance espagnole.
«On ne dirait pas que nous sommes à Plessisville!», a fait remarquer Valérie en écoutant sa mère parler cette langue qu’elle chérit en compagnie de gens qui lui sont grandement reconnaissants.
«Ça me fait plaisir de les aider.»
Son coeur de «mamá Claudette» est comblé en voyant Wilfredo et tous les autres se débrouiller un peu plus chaque jour en français.
Comment vont-ils?
Ils vont très bien, comme dans «Muy bien gracias!»