Une légende qui s’est éteinte cette fin de semaine. À 91 ans, Joseph Comeau a déposé ses espadrilles et son sac à dos pour traverser la rivière, vers un nouveau sentier que lui seul, maintenant, peut connaître.
J’ai grandi dans le rang Saint-Malo. Depuis que je suis toute petite, Joseph a fait partie de ma vie, sans même que je le connaisse. Tout le monde à Sainte-Marthe savait qui il était. Tout le monde l'appelait Jo. On le voyait quitter sa maison de la rue Bon-Air pour prendre le rang vers le secteur Cap. Certains le croisaient au dépanneur 5 Étoiles, sur le boulevard Sainte-Madeleine. D’autres fois, il marchait tout le long de la rue Saint-Maurice et du boulevard des Prairies pour aller jusqu’au Métro Fournier ou au Tigre Géant. Aller-retour, ce n’était pas moins que 13 ou 14 kilomètres qu’il parcourait par jour.
Lors des belles journées d’été, il lui arrivait d’enfourcher son vélo pour parcourir la distance. C’était peut-être un peu moins long pour lui. Mais il avait tôt fait de revenir à la marche.
«Marcher, c’était toute sa vie», me confie Luc Landry, un voisin qui a veillé sur lui durant les dernières années de sa vie.
Qu’est-ce qui pouvait tant le motiver à marcher? Lorsque j’étais jeune, on entendait toutes sortes d’histoires, comme quoi son médecin lui aurait donné ce conseil pour garder la santé. Était-ce le cas? Était-ce des histoires de villages? Je ne saurai jamais.
À chaque fois qu’on le voyait marcher, papa me racontait toujours cette même histoire. Un jour d’été où il faisait une canicule épouvantable, nous l’avions croisé, en train de revenir de sa longue promenade. Papa avait ralenti et avait baissé la fenêtre de son vieux Bronco. «Montez, M. Comeau, je vais aller vous reconduire. Il fait beaucoup trop chaud», lui avait-il lancé.
Mais Jo n’avait pas voulu. Il devait marcher, disait-il.
Pas grand-monde ne l’aura su, mais Joseph Comeau était aussi un bon joueur de violon, de guitare, et était parfaitement bilingue. Né en Saskatchewan, le grand marcheur a déménagé très jeune dans la région avec sa famille. Grand érudit, Joseph Comeau était d’une rare intelligence, confie son voisin.
Heureusement, ses voisins des rues Bon-Air et Hinse avaient l’habitude de s’enquérir de sa santé et de son état. Jo n’était jamais seul, tous ces gens veillaient sur lui et savaient où il était. Vivant pratiquement en ermite, il aura eu la chance de pouvoir compter sur eux pour sa sécurité et son confort.
Durant les dernières années, son voisin, Luc Landry, a pris sur lui d’assurer une présence et de se porter garant de sa sécurité, ce qui lui a permis de rester dans sa demeure jusqu’à la fin.
Ces derniers temps, il n’allait plus jusqu’aux commerces du boulevard Thibeau. C’était un peu trop loin pour ses 91 ans. Mais il marchait encore. Jusqu’au dépanneur Stoycheff situé à l’angle des rues des Prairies et Saint-Maurice. Là-bas, il croisait le propriétaire, Gilles, et sa conjointe, celle qui lui offrait souvent le café. Il ne manquait pas de discuter avec Johanne, sa «caissière préférée».
Il y a quelques mois, l’artiste Sylvie La Manna a peint une toile de lui, pour immortaliser de son vivant le personnage qu’il était. Joseph était fier, malgré qu’il était quelqu’un de très réservé. Il avait accepté qu’on le prenne en photo avec l’œuvre.
C’est cette œuvre qui l’accompagnera à son dernier repos, dans les prochaines semaines, lorsque ses cendres seront déposées à la sépulture de ses parents, lorsque Luc Landry s’en sentira capable. Lorsque le temps aura apaisé la douleur du deuil, qu’un baume se sera fait sur l’absence du grand marcheur.
Jusqu’à il y a quelques semaines, lorsque je me rendais chez mes parents, je le croisais encore sur le bord de la route, marchant vers sa destination quotidienne. À chaque fois, je me disais: il faudrait que j’arrête et que je lui parle, parce que ça ferait une maudite bonne chronique!
Je ne sais pas s’il aurait accepté. Je ne le saurai jamais...
Mais le marcheur de Sainte-Marthe méritait bel et bien sa chronique. Je regrette simplement d’avoir pensé que j’avais encore du temps devant moi pour réaliser mon projet de son vivant.
Cette chronique, elle est pour vous, Jo! Bonne promenade, où que vous soyez!