Le fils de Pachamama [VIDÉO]

Javier Escamilla consacre sa vie à la défense de l’environnement et à la justice sociale.

Ils sont partis d’Europe, du continent africain, d’Amérique du Sud ou d’Asie pour venir se tailler, avec courage, une vie au Canada. Il leur a fallu apprendre une nouvelle langue et apprivoiser une nouvelle culture. Chaque lundi, Le Nouvelliste vous présente l’histoire de Betzayda, de Thomas, de Zhi Qiang, de Maad, et d’autres nouveaux arrivants qui ont choisi la Mauricie pour se faire de nouvelles racines en apportant avec eux toute la richesse de leur culture. Voici l’histoire de leur remarquable détermination.


Son tablier taché de 1001 couleurs de peinture, Javier Escamilla tient à nous faire faire le tour de la 11e exposition «Changer le monde une œuvre à la fois!» qui a été présentée au Musée POP il y a quelques jours.

Cet artiste d’origine colombienne, fier de s’impliquer dans ce genre d’activité de sensibilisation avec des écoles de la région, est l’artiste-médiateur culturel du Comité de Solidarité–Trois-Rivières. C’est aussi un semeur d’espoir malgré les drames extrêmement difficiles qui ont marqué sa vie au fer rouge et détruit ses efforts passés pour améliorer la société et l’environnement.

Après son divorce et le décès accidentel de sa fille de quatre ans lors d’une randonnée à cheval, en Colombie, sa vie s’est arrêtée pendant six mois, raconte-t-il. L’accident est survenu sur une propriété que ses parents avaient achetée, une belle terre où l’on trouvait de l’eau et de la forêt.

C’était une terre fertile de plus de 500 hectares située à l’intérieur d’un parc national dans une des régions du pays où se trouvait le plus de biodiversité. Cette acquisition visait à créer un héritage pour la famille, voire pour la planète puisque l’idée était d’en faire un lieu de démonstration de cohabitation harmonieuse entre l’humain et la nature.

Lorsque Javier Escamilla s’est relevé peu à peu du drame terrible qui l’avait frappé, il a décidé de créer un organisme appelé Pilar Verde avec des amis et sa famille. La terre familiale est devenue «un endroit pour la conservation, la recherche scientifique, la production agricole biologique et le réseautage d’éducation sur les pratiques vivantes. On a travaillé plus de dix ans dans ce projet et on était reconnu au niveau national et international», dit-il.

«On voulait en faire un laboratoire vivant, un lieu d’échange et surtout un lieu où apprendre de la Nature et faire de la recherche participative», dit-il. Beaucoup d’échanges se faisaient avec des paysans et des autochtones.

Le site comportait une vingtaine de terres en production et on y trouvait des élevages de moutons, de chèvres, de poissons, de poulets et de cochons «et tous étaient nourris d’après un cycle de nutriments à l’intérieur de la ferme. Pas besoin d’argent pour aller chercher de la nourriture industrialisée pour faire de l’élevage», explique-t-il. Là-bas, pas de cochon prêt à l’abattage en trois mois en échange d’une dette énorme aux fournisseurs de moulées. Le cochon n’était «pas une marchandise, mais un animal qui allait nous nourrir. Si ça prenait six mois, ça allait.»

Dans ce milieu, explique-t-il, les cochons devenaient des «biotracteurs», car ils étaient en liberté dans un espace délimité et jamais dans des cages. Après un certain temps, sous l’effet de la seule présence des porcs, cette parcelle de terrain devenait prête à cultiver, raconte-t-il. Pas besoin de machinerie lourde pour labourer et engraisser la terre. À la suite de ce genre de succès, «on a fait des projets à l’international avec l’ACDI.»

Les eaux usées domestiques étaient envoyées dans des piscines où des plantes aquatiques spécialisées purifiaient naturellement l’eau. «Ça prend quelques mois, mais au final, tu as une eau usée que tu peux utiliser pour l’arrosage des plantations. Le niveau de contamination était diminué de 90%», raconte-t-il.

Cette ferme de 500 hectares en pleine jungle a fait des adeptes parmi les voisins intéressés par cette manière de cohabiter avec la nature. En trois ans, le projet a fini par occuper 3000 hectares, car 50 familles se sont impliquées.

Cet endroit extraordinaire n’existe plus aujourd’hui.

«On est devenu des acteurs qui dérangeaient. L’armée, la guérilla et les narcotrafiquants sont passés par là. Ils ont pris toute cette nourriture pour pouvoir continuer de faire la guerre. Ce n’était pas ça, notre objectif. On cultivait la terre pour nourrir la vie, pas pour être leurs complices», dit-il.

Javier Escamilla raconte que ces personnes prenaient impunément des animaux de la ferme, «mais ce n’est rien», fait-il valoir, car ils prenaient aussi des enfants, des femmes et des hommes pour en faire des combattants, déplore-t-il, le tout «avec la complicité de l’État et de la corruption internationale. L’affaire de la drogue n’est pas qu’une affaire de Colombiens», plaide-t-il.

La situation en est venue à un stade où M. Escamilla, sa nouvelle conjointe et leurs deux enfants de même que ses parents (qui avaient 60 ans) et ses quatre frères ont été obligés de fuir le pays en 2002. «On avait reçu une enveloppe avec une invitation aux funérailles de toute la famille», raconte-t-il. Leur vie était en danger.

Ils ont dû abandonner leur forêt, leur ferme qui, au bout du compte, leur a carrément été volée sous le regard indifférent de l’État. «Ça fait mal», dit-il.

C’est quelqu’un de la Croix-Rouge internationale, un Québécois d’origine, qui a compris le mieux jusqu’à quel point cette famille était devenue une cible. Il les a exhortés à quitter leur pays tous ensemble dans les plus brefs délais.

«On a demandé l’asile politique au Canada», dit-il.

Ils sont arrivés à Trois-Rivières et la transition, avoue-t-il, a été difficile, surtout pour la langue. Avec son accent bien senti, malgré toutes ces années passées au Québec, Javier Escamilla aime dire avec humour qu’il parle maintenant le «fragnol.»

Malgré tout, il s’implique très vite dans son nouveau milieu. Lui et sa conjointe sont retournés aux études à l’UQTR. Elle a refait sa formation en biologie tandis que lui choisit les arts visuels. Ils ont complété tous deux leur bac en cinq ans plutôt qu’en trois, question de voir grandir leurs enfants.

L’homme de 37 ans retourne ainsi à ses amours de jeunesse alors qu’il faisait du théâtre et des marionnettes, des formes d’arts qui lui permettaient de sensibiliser les gens sur les droits de la personne et de l’environnement.

En 2003, peu après son arrivée, il découvre rapidement l’existence du Comité de solidarité–Trois-Rivières où il deviendra médiateur culturel, puis accompagnateur pour un projet de coopération internationale à Cuba avec 12 étudiants de maîtrise de l’UQTR.

Celui qui aime se décrire comme un artiste tropico-boréal démarre aussi l’organisme Piliers verts avec trois autres personnes. C’est la version francophone de Pilar Verde, la continuité du projet écologique qu’il faisait en Colombie dans la jungle. Ici, Piliers verts offre un programme d’éducation à l’environnement et des projets d’aménagement du territoire participatifs autour de la rivière Milette pour conserver des milieux forestiers urbains.

«Depuis 2012, on a sorti plus de 50 tonnes de déchets de cette rivière», dit-il, le tout avec des poussières au niveau financement. Ils sont maintenant une trentaine de membres. Des services de soutien pédagogique sont offerts afin de faire de l’échantillonnage d’indicateurs de la qualité de l’eau, des corvées et de l’aménagement. Des créations artistiques ont également été installées près de la rivière, «ce qui nous a valu le grand prix de la Fondation David Suzuki», dit-il.

Javier Escamilla refuse qu’on le décrive comme bénévole. «Je suis un militant», corrige-t-il. «Il y a une différence.» L’homme explique qu’il est «le fils de Pachamama», nom que porte traditionnellement la Terre Mère dans son pays. «Le vent, les oiseaux, l’eau... J’ai des frères qui ne sont pas des humains», dit-il à la manière de saint François d’Assise.

Impliqué dans plusieurs autres organismes, Javier Escamilla veut continuer ici à être le semeur d’espoir qu’il est depuis son enfance.