Que faisiez-vous en Gaspésie, monsieur l’ours polaire? La saison touristique n’est même pas commencée.
Vous nous avez fait peur, vous savez. Peur, oui, car vous nous avez exposés à notre petitesse, à notre vulnérabilité. Et si trois ou quatre poules ne vous sustentent pas? Nous ne pouvions prendre le risque d’y laisser l’un des nôtres.
Nombre de fois avez-vous fait les manchettes, seul sur votre banquise fondante, pour nous convaincre qu’il est temps de revoir nos habitudes de consommation pour le bien de l’environnement. Ne faisant plus effet, vous avez choisi de revoir vos stratégies de relations publiques. Pourquoi pas. Quand le message ne passe pas, ça vaut parfois la peine de faire différent.
Avez-vous attendu la prochaine glace en direction de Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine, tendant ensuite votre ticket pour faire le trajet jusqu’à destination? Nous vous avons abattu sans vraiment le savoir.
Mais pardonnez-nous, monsieur l’ours polaire. Si nos voisins de Churchill au Manitoba ont les équipements, l’expertise et le territoire adapté pour vivre avec vos frères et sœurs, puis vous relocaliser lorsque nécessaire, ce n’est pas le cas pour nos agents de la faune gaspésiens.
Avec vos 650 livres, nous aurions pu vous endormir pendant, quoi, peut-être deux heures. Et pour vous amener où? Habitué à l’intermodalité dans vos déplacements – marche, nage et occasionnellement banquise à la dérive – votre cœur n’aurait sans doute pas apprécié un trajet en hélicoptère durant cinq à six heures avec des vents violents qui vous fouettent le museau.
Moi, je pense que nous aurions doublé nos torts d’un affront si nous avions pris ce risque de vous faire subir un voyage extrême auquel vous auriez fort probablement laissé votre peau, alors que vous veniez tout juste d’arriver.
Nous ne savons pas ce qui vous a amené en Gaspésie, mais nous savons par contre que les écosystèmes et la biodiversité sont grandement affectés par les changements climatiques. Les espèces se déplacent et migrent pour trouver des habitats et de la nourriture qui répondent à leurs besoins. Peut-être que ce n’était pas spécifiquement les motifs de votre expédition, mais pour d’autres ce le sera assurément.
Ce n’est qu’un début.
Certaines critiques virulentes ont été adressées au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour sa décision de vous «neutraliser». Mais souhaitons-nous que ce ministère adopte le rôle – et la responsabilité impossible – d’expulser et de relocaliser sains et saufs les réfugiés fauniques, à l’instar des agents frontaliers? Cette quête sera un puits sans fond pour les finances publiques.
Mais soyez assurés que vous avez un capital de sympathie énorme. C’est juste que vous nous avez mis devant la limite de nos capacités à vous protéger.
Et vous n’êtes pas le seul.
Rappelez-vous quand madame la baleine à bosse a décidé de venir visiter Montréal à l’été 2020 à plus de 500 km de son habitat naturel. Impuissant qu’on était, tout ce que l’on pouvait faire c’était de lui chanter en choeur à ses funérailles
Ça vaut pas la peine
De laisser ceux qu’on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez
Monsieur l’ours polaire, pardonnez-nous. Nous n’étions pas prêts, et peut-être ne le serons-nous jamais, pour vous accueillir en Gaspésie.