Pour cet étudiant de 33 ans qui a reçu, à 25 ans, un diagnostic du syndrome Gilles-de-la-Tourette associé à un trouble du spectre de l’autisme, le fait de canaliser ses efforts dans cette discipline a changé beaucoup de choses dans sa vie: «Ça améliore ma façon de vivre, parce qu’avec mes tics et crises d’angoisses, des fois j’ai tendance à ne pas vivre le moment présent. Avec le karaté, ça me permet de focaliser sur le moment présent en faisant quelque chose, et je m’en inspire dans ma vie», explique le jeune homme qui poursuit à la fois des études de maîtrise en physique et une formation en informatique.
Un karatéka atypique et inspirant
Selon son sensei André Pronovost, Guillaume est un élève qui sort de l’ordinaire: il se démarque notamment par son assiduité aux cours, par sa persévérance et par la passion qu’il voue à son sport. «Toutes les activités qu’on fait, il est là, que ce soit des soupers, des ateliers, des séminaires. Tous les samedis matin, 9 heures, il est là, sauf s’il y a tempête de neige ou verglas», décrit l’entraîneur qui le côtoie depuis ses débuts en karaté. En cas d’absence, il avise. «C’est un gentleman», n’hésite pas à dire son entraîneur.
En plus de ses entraînements supervisés au dojo, Guillaume Gervais intègre à son quotidien une discipline d’entraînement à la maison, notamment à l’aide de vidéos d’entraînement sur YouTube. Il peut compter sur le soutien de sa famille, qui lui prodigue beaucoup d’encouragements, en particulier sa marraine, Guylaine Gervais: «Elle trouve que j’ai changé, depuis...», dit-il.
«Depuis», c’est depuis 2014, l’année où il a reçu son diagnostic et où il a été guidé, peu de temps après, vers le karaté. Avant cela, il s’était adonné au tennis de table, mais le karaté a fait changer son centre d’intérêt. Outre la fierté de sa famille, Guillaume Gervais apprécie le fait d’avoir son sensei comme modèle: «Il m’apporte de remettre en question ce que je fais comme performance, de me poser des questions et corriger mes erreurs», affirme-t-il.
Guillaume Gervais n’est pas facile d’approche pour une personne neurotypique qui ne serait pas sensibilisée à sa condition. Il parle peu, mais toujours avec des mots bien choisis après mûre réflexion. La médication qu’il reçoit restreint l’expression de tics et manies qu’il aurait sans ce soutien, de sorte que ces symptômes ressortent seulement tard en soirée. Il présente aussi une certaine rigidité corporelle, ce qui a été un premier défi dans son apprentissage des arts martiaux.
«Au début, c’était lourd», décrit M. Pronovost. Guillaume a été initié au karaté par un karatéka de sa parenté, Claude Préfontaine, avec qui il venait s’entraîner au dojo Shito-Ryu du secteur Cap-de-la-Madeleine. «Guillaume arrivait ici et il restait figé sur place, en attendant que le cours commence. Alors Claude lui a fait comprendre que quand il arrive, il faut qu’il s’échauffe, qu’il coure autour de la salle, qu’il s’étire les muscles, etc. Ça a pris un certain temps et ça a fait son effet», se rappelle le sensei.
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C’est pour mieux accompagner cet élève et, éventuellement, d’autres jeunes présentant des limitations physiques ou intellectuelles, qu’André Pronovost est allé se perfectionner à Blois, en France. Aujourd’hui, il accueille des élèves en parakaraté qui présentent des handicaps visuels, auditifs, de mobilité ou des troubles envahissants du développement, TDAH et troubles du spectre de l’autisme.
«Les premières fois, j’étais novice moi aussi là-dedans. Là, j’ai compris un paquet de choses! Au début, c’était le néant pour leur enseigner. Tu sais, quand tu leur demandes de tourner à gauche et qu’ils tournent à droite!...», raconte sensei Pronovost, qui avoue avoir eu sa patience mise à l’épreuve. Quelques années avant la pandémie, André Pronovost a donc constitué un programme spécifique de parakaraté qui a réuni de nombreux élèves avec différents handicaps.
Mais après deux ans de restrictions liées à la COVID-19, il ne voit pas le jour où cette clientèle s’entraînera de nouveau sur le tatami. «Depuis 2008 qu’on est ici», raconte celui qui a introduit au Québec le karaté de style Shito-ryu. «On recommence tranquillement. On était 24 avant les Fêtes. On est rendus à 34-35...» Avant la COVID, jusqu’à 150 personnes, toutes catégories confondues, s’entraînaient à son club, dont 68 ceintures noires.
Des objectifs immédiats
En parakaraté, le jeune Guillaume Gervais performe. En compétition lors de précédentes éditions de l’Open international de Montréal, il a remporté deux médailles d’or dans sa catégorie. Pour un jeune atteint d’un trouble qui peut le mener à la crise d’angoisse, la compétition ne semble pas être un problème. «Ça m’apporte la reconnaissance et ça encourage à bien s’appliquer», dit-il à ce sujet.
Comme tous les samedis matin ces derniers temps, Guillaume s’entraîne aujourd’hui pour obtenir son troisième dan de karaté ceinture noire. Il s’efforce de maîtriser sans fautes les deux katas déjà appris, avant d’y ajouter le troisième et dernier requis pour ce niveau. L’examen aura lieu en 2023.
«Quand je pratique, c’est avec des adversaires de ma catégorie; en compétition, je suis toujours en parakaraté, à cause de ma condition», explique le karatéka. Celui qui aime bien réfléchir aux mouvements des katas comme à une chorégraphie apprécie aussi le défoulement des coups de pied et des coups de poing qui font partie de l’entraînement. «On a repris un peu, depuis le début de la pandémie, mais on a pratiqué les combats seulement dans un atelier le dimanche. Mais on va peut-être recommencer tranquillement pas vite à pratiquer avec d’autres», espère-t-il. «Les autres années, on pratiquait les deux, on pratiquait les katas et les combats.»
Bien déterminé à s’améliorer dans sa discipline tout comme dans son autonomie quotidienne, Guillaume Gervais ne se permet toutefois pas de viser trop loin, au-delà de ses objectifs immédiats: trouver un appartement où emménager et obtenir son troisième dan. «Pour tout de suite, je me concentre pas mal sur le troisième dan. J’y vais un dan à la fois... Le troisième dan c’est important», conclut-il.