C’est ce qu’on a eu la chance de faire lundi, dans le cadre de la Semaine de la presse et des médias qui se tient cette semaine. À l’invitation de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et du département de Communication sociale de l’UQTR, j’ai pu en discuter avec des collègues journalistes mais également des chercheurs qui se sont intéressés à la question des médias, et plus spécialement à la montée du discours conspirationniste sur la place publique depuis le début de la pandémie.
Car il faut vraiment avoir vécu sur une autre planète depuis deux ans pour ne pas voir que la pandémie elle-même a causé une fracture importante dans l’opinion publique, qu’elle a laissé aussi la place à un discours qui remet de plus en plus en question les institutions politiques, médiatiques, et parfois même la science elle-même et les chercheurs qui la nourrissent de connaissances. Et à travers cette montée, force est de constater l’importance de rebâtir un dialogue avec une partie de la population qui cherche à comprendre, qui remet en question le fonctionnement de ces institutions, qui a l’impression d’avoir été oubliée dans sa soif de connaissances.
Dans une étude menée par l’Université de Sherbrooke sur la propension des populations de huit pays différents à adhérer à des théories complotistes, la chercheuse Marie-Ève Carignan, professeure du Département de communication à l’Université de Sherbrooke, qui prenait part à ce panel, réalise que parmi les répondants à l’étude, 25% disaient adhérer de façon modérée à des théories conspirationnistes, et 6 à 8% y adhéraient très fortement. Une proportion qui se disait également légitimée d’avoir parfois recours à la violence pour se faire entendre, note celle qui est aussi directrice du Pôle Médias de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
Sa consoeur professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Mireille Lalancette, est d’avis qu’on se trouve présentement dans un contexte de répression des débats et qu’en partie, les médias sociaux sont venus bouleverser l’idéal démocratique que l’on se fait de pouvoir débattre dans le respect. La montée du populisme et de la «cancel culture» en témoigne notamment, où d’un côté on assiste à une aseptisation du langage, et de l’autre à l’utilisation de raccourcis pour présenter des enjeux politiques, sanitaires et sociaux. Pourtant, exprimer ses doutes et réfléchir dans un débat constructif fait partie du processus normal où l’on peut se forger une opinion et une réflexion.
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Une dérive qui n’a rien de surprenant, rien de soudain non plus, conçoit Vincent Raynauld, professeur agrégé au Département de communication d’Emerson College de Boston et professeur agrégé de l’UQTR. La transformation du paysage médiatique se trame depuis plusieurs années et a contribué à l’émergence de nouveaux acteurs, ce qui change le ton et la teneur du discours politique. On voit de plus en plus un rejet des élites au profit de l’information qui proviendra d’autres sources, des sources qui souvent viendront nous conforter dans notre propre opinion sans chercher à explorer les autres visions.
Au milieu de tout ça, il y a les médias traditionnels. Ceux qui ont, au début de la pandémie, été accusés par plusieurs de malmener le gouvernement parce que les journalistes «osaient» poser des questions serrées dans les points de presse, ce qui est pourtant leur mandat. Ces mêmes médias qui ont par la suite été targués de tous les qualificatifs, mais surtout de moutons et de «merdias», puisqu’ils relayaient le discours politique et scientifique tout en étant «largement subventionnés» par le gouvernement à coups de placements publicitaires.
Un discours qui, volontairement ou non, éludait complètement le fait que bien des journalistes ont aussi contribué à remettre en question plusieurs décisions gouvernementales, ont critiqué certaines positions, ont contribué à l’avancement de l’information par la vérification de données et la contribution scientifique. En éludant aussi ce principe fondamental qui exige l’érection d’un mur de béton armé entre l’information et la publicité.
Ce discours, il n’a rien de surprenant. Pour plusieurs citoyens, il est né d’une inquiétude, d’une incertitude face à cette crise mondiale que l’on vivait. Pour la première fois de l’histoire moderne, la science et l’information ont évolué au même rythme, presque en temps réel, devant les yeux de la population. Si une étude en remettait une autre en question, la couverture de la science devenait une contradiction aux yeux de certains. Et le besoin de certitude, il est humain. Alors humainement, plusieurs ont aussi cherché à se raccrocher à des discours qui ne bougeaient pas, qui pouvaient leur apporter une certaine sécurité dans la certitude.
Les médias ont-ils toujours été parfaits? Certainement pas, sont d’avis les trois spécialistes de la communication! Sans doute que d’accoler des étiquettes de «covidiots» ou de «touristatas» n’a aidé en rien l’ouverture du dialogue avec ceux et celles qui remettaient déjà en question leur confiance en ce quatrième pouvoir, pourtant tellement essentiel à la société.
Oui, les médias doivent aussi se regarder et en tirer des leçons.
Mais une chose est certaine: c’est dans la discussion et dans l’éducation qu’on pourra rebâtir la confiance que certains disent avoir perdue. D’abord en arrivant à mieux expliquer et mieux enseigner le rôle des médias et surtout celui des journalistes. En départageant une fois pour toutes le travail du journaliste factuel de celui du chroniqueur ou de l’éditorialiste. En déconstruisant le concept de «fake news» afin de faire comprendre qu’il ne s’agit pas qu’une nouvelle ne rejoigne pas notre opinion pour qu’elle soit automatiquement une fausse nouvelle.
En prenant conscience de l’existence des algorithmes des réseaux sociaux qui nous confortent très souvent dans nos positions sans pour autant nous permettre de s’ouvrir à d’autres idées, d’autres points de vue. Que ces algorithmes créeront une chambre d’écho où le débat n’est à peu près plus possible du fait qu’on ne fait plus qu’échanger avec ceux qui nous confortent dans nos opinions.
L’éducation à la démocratie et aux médias ne doit pas seulement devenir une compétence transversale laissée au bon vouloir des enseignants qui l’aborderont selon leur niveau d’aisance. Dans le contexte actuel, elle devrait faire partie intégrante du cursus scolaire très tôt dans la vie. Les médias eux-mêmes doivent aussi jouer un rôle dans cette éducation, en faisant ce que certains ont déjà commencé à faire, soit de prendre la plume et d’expliquer le fonctionnement, la démarche. De démystifier le processus de production de l’information, qui relève non pas de décisions prises sur le coin d’une table, mais bien d’un processus rigoureux soumis à des normes déontologiques sévères et qui sont scrutées à la loupe par le tribunal d’honneur de la profession, le Conseil de presse du Québec.
Bref, qu’on arrive à éduquer à l’importance du débat, du dialogue, le vrai!
Qu’on arrive à ne pas être d’accord sans se manquer de respect.