Passons sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) supplémentaires résultant directement du conflit. Ce sont les sanctions imposées sur les exportations d’énergie russes qui pourraient avoir un impact durable sur les engagements mondiaux de lutte aux changements climatiques. Voyons cela d’un peu plus près.
Les pays de la Communauté européenne ont pris des engagements fermes pour réduire collectivement leurs émissions de GES de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Mais pour y parvenir, il faut d’abord abandonner la production d’électricité avec des centrales au charbon. Or dans la stratégie de transition, le gaz naturel joue un rôle essentiel, car il permet de produire de l’électricité avec une moindre empreinte carbone. Et il en faudra beaucoup d’électricité pour sortir le pétrole de la mobilité des personnes et des marchandises. Mais l’Europe dépend à 40 % de la Russie pour son gaz naturel et lui achète aussi 2,5 millions de barils de pétrole par jour. Si ces exportations cessent, il sera impossible d’assurer un approvisionnement fiable et abordable pour satisfaire les besoins des citoyens et des entreprises tout en réduisant l’empreinte carbone de la production d’électricité et de chauffage. Il est peu vraisemblable que l’Europe puisse se libérer de cette dépendance aux carburants fossiles à très court terme.
Pour sortir de ce dilemme, deux écoles de pensée s’affrontent. Pour les uns, cette crise est une occasion pour accélérer la transition énergétique vers une décarbonisation de la fourniture d’énergie. Pour les autres, il faudrait chercher d’autres fournisseurs, comme l’Arabie Saoudite et le Venezuela, ou même faire renaître des projets d’exportation de carburants fossiles pour réduire la dépendance de l’Europe à l’approvisionnement russe.
Le remplacement de l’électricité thermique par des sources renouvelables ne peut se réaliser d’un coup de baguette magique, car il faut à la fois assurer les services énergétiques en énergie et en puissance. En effet, si on peut ajouter des éoliennes et des panneaux photovoltaïques pour produire plus d’électricité propre, cette électricité ne peut être efficacement stockée pour répondre aux besoins d’une demande aussi variée que celle du marché pour l’éclairage, le chauffage, l’industrie et le transport avec ses fluctuations de la demande. Dans l’état actuel des technologies, il reste beaucoup de progrès à accomplir dans le domaine des batteries, de la gestion des réseaux et des carburants alternatifs que sont le biogaz, l’ammoniac et l’hydrogène.
La transition, puisqu’il faut l’appeler par son nom, n’est pas une formule cabalistique. C’est un processus complexe et laborieux qui demande à la fois qu’on conserve des capacités conventionnelles (thermiques, nucléaires et hydroélectriques) pour produire de la puissance au moment voulu par les consommateurs et, en même temps, un système de gestion de la demande incluant des appareils plus efficaces et un changement des comportements. Il faudra minimalement quelques décennies pour y arriver. La conséquence la plus vraisemblable sera une prolongation de la vie des centrales au charbon et donc l’échec annoncé des cibles d’émissions.
L’autre proposition, qui consiste à pallier la fourniture de pétrole et de gaz de la Russie par d’autres fournisseurs, peut paraître séduisante à court terme, mais cache un piège pour la lutte aux changements climatiques. Si l’offre mondiale est plus grande, le prix de l’énergie fossile va baisser. Or, il est démontré que l’énergie peu chère est un frein à l’évolution technologique et l’efficacité énergétique. Pour les pays en voie de développement, la disponibilité de ressources fossiles abordables retardera l’adoption de sources d’énergie renouvelable, d’où un risque certain pour l’atteinte de la carboneutralité planétaire en 2050.
Bref, il n’y a pas de solution simple à un problème complexe. La crise actuelle aura un effet sur la lutte aux changements climatiques. Il reste à souhaiter que la crise se résorbe rapidement, car l’alternative, si Poutine « pèse sur le piton », ce sera peut-être l’hiver nucléaire. Et ça, mes amis, ça ferait vraiment mal à l’environnement !