Voilà un exemple typique de succès improbable élaboré à force de conviction, de travail et d’imagination faute de moyens financiers conséquents. Du travail guerilla style. «Tout ça a été fait à la mitaine, avec les moyens du bord mais avec des gens de talent et surtout, dans le plaisir. Il fallait que ce soit le cas parce qu’il aurait autrement été très ardu de convaincre tout ce monde de travailler gracieusement.»
Si le tout premier épisode a été fait avec trois fois rien si ce n’est de l’expertise et une tonne d’amitié, les deux suivants ont impliqué plus de monde, du beau monde: on pense notamment à Robert Lepage et à Ginette Reno comme interprètes. Bénévoles, toujours. Pour les cinq épisodes suivants dont les tournages ont eu lieu entre les mois de mars et octobre 2021 par blocs de deux jours, on parle de dizaines de collaborateurs dans l’équipe technique, notamment. «Les gens ont tous accepté de le faire parce que c’est du gros fun, que le canevas de création est libre et qu’on n’est pas assujettis à la pression des grosses productions télévisuelles ou cinématographiques. C’est de la liberté pure.»
Liberté créative peut-être, mais cela n’en implique pas moins énormément de boulot pour le réalisateur. «Ça m’a pris environ deux mois de travail à temps plein pour préparer chacun des cinq tournages. En plus d’écrire, j’ai dû tout organiser moi-même incluant la logistique, le logement, les repas, le transport, les contrats, etc. Comme on n’avait que peu de temps de tournage, il fallait que tout soit réglé minutieusement.»
Souplesse
Le tout premier épisode avait été tourné dans la maison même de grand-maman Imelda à Gentilly tout juste avant qu’elle ne la quitte définitivement. Le petit-fils est, depuis, demeuré fidèle au village qui l’a vu naître. «Comme chaque histoire est basée sur des évènements réels, je n’ai pas besoin d’inventer les décors qui sont toujours là, à Gentilly. De plus, il faut le mentionner, j’ai reçu beaucoup d’aide de la communauté.»
La générosité n’étant pas apanage gentillois, de l’aide lui est également tombée du ciel. Enfin presque. Il raconte: «À la recherche d’un lieu de culte où tourner, j’ai approché la communauté des Augustines à Québec. J’ai eu droit à un entretien de 20 minutes avec la Supérieure qui avait vu et apprécié les trois premiers épisodes de la série. Immense privilège, on a obtenu la permission spéciale de tourner dans des monastères qui n’avaient jamais vu une caméra.»
Ce n’est, cela dit, que devant des contraintes insurmontables qu’il a consenti à tourner ailleurs qu’à Gentilly. On en veut pour exemple le huitième et dernier épisode dans lequel Robert Lepage incarne le père du réalisateur, le notaire Jean Villeneuve. Si Lepage a de nouveau accepté de bonne grâce de retrouver la blanche chevelure du tabellion comme dans le deuxième court métrage de la série, l’équipe a dû aller à Québec parce que le jour du tournage, le comédien y jouait au théâtre en soirée.
«On n’avait pas le choix de s’adapter parce qu’on n’a pas réussi à lever de financement sauf un montant de prévente des droits pour la télévision. Pas assez pour payer des salaires. Pour le matériel, on a profité de généreuses commandites.»
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/UN46OQXVYNE3FDJZAZX4VMALPU.jpg)
«J’ai quand même tenu à réaliser les nouveaux épisodes dans ces conditions parce qu’il y a un momentum présentement autour de ce projet. Imelda m’a gardé créativement actif pendant une période de pandémie alors qu’il ne se passait pas grand-chose alors. C’est précieux.»
«C’est fantastique ce qu’on est arrivé à faire avec pratiquement rien. J’ai reçu beaucoup d’aide inattendue d’un peu partout grâce notamment aux réseaux sociaux. Quand je cherchais une voiture pour Imelda, je me suis fait offrir des véhicules par des collectionneurs et on a trouvé un Imperial 59 de Chrysler qui n’existe plus qu’en un seul exemplaire au Canada.»
Martin Villeneuve partage avec son frère Denis un goût immodéré pour la science-fiction ce qui a donné naissance à un film, Mars et Avril (2012) à la suite de la parution de deux romans graphiques du même titre et d’une bande dessinée, La voix du tonnerre. Or, conformément à une volonté affirmée il y a quelques années de diversifier son travail, il dit se plaire tout autant dans la comédie. «Je travaille à ce que chaque épisode soit différent des précédents et qu’il constitue une expérience en soi. J’essaie de prendre des risques dans le cadre de cette formule-là. Le plaisir demeure parce qu’en définitive, mon but premier, ça reste foncièrement de faire rire ma famille. J’essaie vraiment de garder ça simple et élégant avec une certaine authenticité parce que plus c’est près de la réalité, plus c’est drôle.»
Thérapie familiale
Garantie d’authenticité, il s’assure de faire participer ses proches au projet. «Dans un épisode, Antoine Bertrand va incarner un de mes cousins et j’ai voulu qu’il vienne assister au tournage. Pareil pour mon frère Claude. Ma blonde me sert même de doublure dans la peau d’Imelda.»
Vous aurez compris que c’est le réalisateur lui-même qui incarne la fameuse Imelda dans une hilarante interprétation teintée d’autant de tendresse que d’un redoutable sens de l’observation. «Imelda n’a pas de filtre et c’est ce qui fait que c’est jouissif à jouer. Elle a la répartie facile parce que dans sa tête, elle a toujours raison. L’avantage indéniable que j’ai, c’est que non seulement tous les personnages ont existé mais, à part Imelda, ils sont tous là pour consultation. Ça fait constamment ressortir de nouvelles anecdotes que je ne connaissais pas concernant ma grand-mère. Quelque part, on n’est pas loin de la thérapie familiale!»
Exercice qui trouve apparemment son universalité puisque plusieurs nouveaux interprètes, et pas des moindres, ont accepté d’incarner différents membres du clan Villeneuve dans les cinq épisodes à venir: Anne-Marie Cadieux, Yves Jacques, Lynda Beaulieu, Michel Barrette. Un certain Denis Villeneuve s’est même invité dans l’épisode ultime. «Chacun arrive avec son énergie et sa vision qui colorent les épisodes et relancent la dynamique. Il me faut écrire des personnages secondaires consistants parce que tu n’invites pas des acteurs de ce calibre à n’être que de banals faire-valoir pour Imelda. Ça a relevé le niveau de difficulté.»
«Ce n’est pas rien parce qu’en court métrage, il faut être extrêmement efficace dans l’écriture. On ne peut se permettre aucun élément superflu. C’est un art complexe et fragile que de ficeler solidement une histoire en peu de temps mais c’est un exercice particulièrement stimulant. Surtout que la comédie, c’est un genre qui n’est pas facile non plus.»
À inclure au chapitre des défis scénaristiques, la volonté de Martin Villeneuve de réunir un jour les huit épisodes pour en faire un éventuel long métrage. «J’essaie de tisser des liens entre les épisodes pour que le tout puisse faire un ensemble cohérent. Je vois ça comme un film à sketches, quelque chose de similaire à ce que Pierre Falardeau avait fait avec ses Elvis Gratton. L’ensemble des huit épisodes est cohérent du fait qu’il couvre une période de huit années, les dernières de la vie d’Imelda.» L’attachante dame est décédée en 2012.
«On rencontre régulièrement des distributeurs ces temps-ci mais je n’ai rien de garanti pour l’instant. Ils sont bien conscients de l’engouement que la série suscite (quelque 100 000 visionnements du tout premier épisode sur le site de la Fabrique culturelle, par exemple) et avec les acteurs qui sont au générique, ça les interpelle. Un long métrage permettrait de toucher un nouveau public qui n’a pas vu les courts. Une fois qu’on aura terminé le numéro 8, ça ne serait pas un très gros défi que de lier le tout.»
À l’heure actuelle, le boulot se fait en postproduction dans des studios montréalais et le quatrième opus devrait être prêt ce printemps. Les autres suivront d’ici l’automne. Le futur assuré du projet sous sa forme actuelle, c’est une diffusion sur le site web de UNIS.TV avec le souhait que les films soient présentés dans des festivals à travers le monde ou encore, destination insoupçonnée, comme divertissement sur les vols long-courriers. Les nouveaux épisodes seront notamment disponibles, comme les trois premiers le sont présentement, sur la chaîne VIMÉO de Martin Villeneuve. On peut notamment y accéder via la page Facebook ImeldaLeFilm.
*****************
Les Imelda de Martin Villeneuve
LA FABRIQUE CULTURELLE
Télé-Québec
Accompagné de Ginette Reno, le cinéaste de Bécancour Martin Villeneuve raconte à la Fabrique culturelle de Télé-Québec comment il a redonné vie à Imelda, sa grand-mère à la franchise décapante, qu’il incarne lui-même à l’écran.