Décembre 2021. Un projet de porcherie est en train de voir la jour à Saint-Adelphe. Le conseil municipal a été saisi d’une demande de permis de construction. On comprend que trois porcheries de 3999 porcs chacune seront construites par l’entreprise Patates Dolbec et le Regroupement porcin Avantis-Olymel. Il aurait fallu 4000 porcs par installation pour obtenir la tenue d’un BAPE. Les citoyens ont plusieurs inquiétudes: impacts sur la qualité de l’eau potable des puits autour, préservation des cours d’eau environnants et des terres, impacts sur la qualité de vie des citoyens... Un noyau de citoyens forment alors le Comité pour la sauvegarde de l’environnement.
À peu près au même moment, à Saint-Mathieu-du-Parc, le gouvernement vient d’autoriser le Groupe Remabec à procéder à des coupes forestières sur des terres publiques limitrophes au Parc récréoforestier de Saint-Mathieu-du-Parc. Cette zone avait été identifiée pour faire partie d’une aire protégée sur laquelle on souhaitait étendre le développement récréoforestier de l’endroit, juste au sud du Parc national de la Mauricie. La Coalition pour la préservation du Parc récréoforestier de Saint-Mathieu-du-Parc se forme alors et le dialogue avec le ministère et les élus locaux s’intensifie.
Dans les deux cas, on le sait aujourd’hui, les projets ont été mis sur pause et bénéficient désormais d’un sursis. À Saint-Adelphe, Patates Dolbec a choisi de retarder la demande de permis, et un comité sera formé avec les citoyens, parce qu’on estime ne pas pouvoir mettre de côté l’acceptabilité sociale.
À Saint-Mathieu-du-Parc, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a accepté, le 21 janvier dernier, de renoncer à toute coupe forestière dans cette potentielle aire protégée et ce, jusqu’en 2025-2026. Un délai qui permet de poursuivre le travail pour aller recueillir les appuis politiques nécessaires à la désignation de cette aire protégée.
Dans un cas comme dans l’autre, si ce n’est pas une victoire complète pour les citoyens, c’est à tout le moins une manche de remportée, constate Nathalie Lefebvre, instigatrice avec son mari du Comité pour la sauvegarde de l’environnement à Saint-Adelphe. Pendant un mois et demi, Mme Lefebvre a tout mis de côté, ou presque, dans sa vie pour s’occuper de ce dossier avec d’autres citoyens, bénévolement.
«Quand on commence une telle implication, on ne sait jamais quand ça va finir. Mais il ne faut jamais baisser la garde, parce que sinon ça passe sous le radar. L’intervention citoyenne est nécessaire, car nos intérêts ne sont pas bien défendus. Si les citoyens ne s’en occupent pas, qui va le faire», se questionne Mme Lefebvre.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/YPBNCRWFW5FNVATTEAIDO6KJJ4.jpg)
À ses côtés, la citoyenne Véronique Bégin a aussi joué un rôle de premier plan, en prenant notamment la parole dans les médias, mais aussi en ouvrant un groupe Facebook pour informer et mobiliser les citoyens concernés.
«J’ai pu passer entre cinq et sept heures par jour à travailler sur ce dossier», se souvient celle qui a laissé passablement de côté son travail durant ce temps et qui jonglait aussi avec son rôle de maman de deux enfants. Mais pour elle, dont la résidence aurait été la plus proche des nouvelles installations de la mégaporcherie, pas question de baisser les bras.
«La véritable question à se poser, c’est: a-t-on vraiment besoin d’autres porcheries? Nous on pense que non. La très grande majorité de ces porcs sont exportés aux États-Unis. On vient endommager nos terres ici, la qualité de notre eau, et on subventionne à grands frais cette industrie pour nourrir les autres pays? Pourquoi ne pas plutôt prendre cet argent et investir dans de petites fermes locales, qui répondent à la demande locale et qui respectent l’environnement? Des exemples, il y en a plein», considère Mme Bégin.
À Saint-Mathieu-du-Parc, Éric Proulx ne cache pas que tous les membres de la Coalition à laquelle il siège ont pu investir plusieurs centaines d’heures de leur temps dans ce dossier. Bientôt, la Coalition se constituera en OBNL pour mieux structurer les prochaines étapes à venir.
«Si les citoyens ne s’en préoccupent pas, ça passe inaperçu. Mais ce sont les générations futures qui auraient à vivre avec la dégradation de nos milieux. On a parfois l’impression qu’on nous perçoit comme des adversaires, alors que nous sommes là pour aider les gouvernements à bien remplir leur mandat, soit celui d’offrir une qualité de vie et un plan d’action favorisant le bien commun. Nous n’avons aucun autre intérêt que celui du bien commun quand on se lance dans de telles luttes, qui sont souvent dignes de David contre Goliath», évoque-t-il.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/KTKGQPOXU5FALOV5XSELUJYWNU.jpg)
Dans l’histoire récente de la région, des luttes citoyennes ont aussi été menées, donnant raison à David. Au tournant des années 2010, on se souviendra des immenses luttes menées dans le dossier des gaz de schiste et de la pyrrhotite. Aujourd’hui constituée en OBNL, la Coalition d’aide aux victimes de la pyrrhotite est d’abord née d’un mouvement citoyen porté uniquement par des bénévoles. L’une des figures de proue de ce mouvement a été Yvon Boivin, qui fut le porte-parole du regroupement pendant plus de trois ans. Une implication qui lui prenait toutes ses soirées, ses fins de semaine et ses vacances, en même temps qu’il menait sa carrière et s’occupait de sa famille.
«On avait l’impression que les lois n’étaient pas faites pour nous, et on se battait contre d’immenses organisations bourrées de moyens et d’avocats alors que nous n’avions à peu près aucun moyen. Pendant ce temps, on supportait aussi la détresse psychologique des victimes. À terme, c’est sûr que ça use. Mais on a remporté des victoires majeures, à commencer par la révision des plans de garantie. Et notre mot d’ordre a toujours été de le faire dans l’ordre et le respect», considère M. Boivin, qui se réjouit aujourd’hui de voir que lors du premier procès, SNC-Lavalin a perdu sur toute la ligne. Une autre victoire de David...
«Quand on se lance dans une implication citoyenne comme ça, ça prend de la détermination, du courage et surtout beaucoup de résilience. Les médias ont été essentiels à notre action car ils ont été les porteurs du message. Ça n’aurait pas été pareil sans eux. J’ai la certitude aujourd’hui que sans l’implication citoyenne dans le dossier de la pyrrhotite, les victimes auraient tout perdu. Notre action a changé la donne complètement», ajoute Yvon Boivin.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/AE3IXHW6WRCNJHKZXQ2SQRX4D4.jpg)
À Trois-Rivières, lors de la réfection de l’usine de traitement des eaux, la Ville a cessé momentanément la fluoration de son eau potable le temps que les travaux se terminent. La Coalition trifluvienne pour une eau très saine, composée de citoyens qui remettaient depuis longtemps en question cette méthode incluse dans la Loi sur la santé publique a saisi l’opportunité pour faire en sorte que cette fluoration ne reprenne jamais.
Joan Hamel en a été la porte-parole pendant plusieurs années. À la retraite, la dame y a consacré 100% de son temps avec un noyau de bénévoles qui visaient tous le même objectif. Ils se sont adjoint le soutien de plusieurs scientifiques et d’autres regroupements comme la Coalition Eau Secours.
«On a fait du porte-à-porte pour faire signer une pétition demandant le retrait de la fluoration et on avait récolté près de 20 000 signatures. Ça avait été un énorme travail, qui démontrait clairement que l’acceptabilité sociale de cette mesure n’était pas là», se souvient la dame.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/TCPY75KG4NA4BEOUKGNVPAAEBM.jpg)
«Pour s’impliquer de la sorte, il faut vraiment croire en la cause. Ça n’a pas été facile tous les jours. On a vécu beaucoup de pression et on a aussi eu nos moments de découragement. Mais dans ce temps-là, il fallait toujours se recentrer sur notre objectif premier», évoque-t-elle.
La Ville de Trois-Rivières a abandonné la fluoration de son eau en 2018. La même année où un autre mouvement citoyen a vu le jour, cette fois pour préserver le boisé des Estacades, qui venait d’être mis en vente par son propriétaire et sur lequel on entrevoyait un développement domiciliaire de plusieurs immeubles à condos. Charles Fontaine et Valérie Deschamps avaient instauré une pétition en ligne qui aura permis d’amasser plus de 12 000 signatures.
«Ça a déboulé rapidement, et les médias ont repris le dossier. Le plan de développement qui était proposé avait inquiété de nombreuses personnes. Des gens d’autres municipalités qui avaient vécu des situations semblables nous écrivaient pour nous aider», se souvient celui qui se réjouit aujourd’hui de voir que le conseil municipal avait finalement choisi de ne pas procéder au changement de zonage nécessaire au développement. Le terrain est encore aujourd’hui un boisé où les citoyens vont profiter du plein air et de la nature.
Charles Fontaine sait toutefois qu’il faudra garder l’oeil ouvert, car le terrain est toujours privé, et qu’il suffirait d’un changement de vision politique pour que le boisé soit vendu et développé par un promoteur. «L’implication citoyenne, ce n’est pas un sprint, c’est un marathon», indique-t-il.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/4S62FOE7ZFAWDFRB2II4H62DYM.jpg)
C’est avec la même vigilance que les comités citoyens à Saint-Adelphe et Saint-Mathieu-du-Parc entendent poursuivre la lutte dans les prochains mois. «On dit souvent qu’on veut changer le monde. Mais changer le monde, ça commence par ce qui se passe à côté de chez toi. Si les gens commencent à ne plus croire en leur communauté, à ne plus s’y investir, c’est là que survient la démobilisation, et à mon avis c’est très dangereux pour les communautés», confie Éric Proulx à Saint-Mathieu-du-Parc.
Véronique Bégin, quant à elle, s’impliquera activement dans le comité qui sera formé pour la suite des choses à Saint-Adelphe.
Elle a bon espoir que les revendications que portent les citoyens seront entendues. «L’espoir c’est ce qui me porte. Si je n’avais pas espoir, je ne serais même pas là.»