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Les emmerdeurs

CHRONIQUE / Dernièrement, le président français Emmanuel Macron a suscité de vives réactions en affirmant qu’il souhaitait « emmerder » les non-vaccinés. À sa façon, même s’il ne le dit pas tout haut, on sent bien que François Legault pense ni plus ni moins la même chose et qu’il cherche divers moyens pour mener la vie dure à ceux-ci. Cela dit, la question se pose: dans toute cette histoire, les non-vaccinés sont-ils les emmerdeurs ou les emmerdés?


Pour ma part, pas de doute, les non-vaccinés sont bel et bien des emmerdeurs. Pourquoi? Essentiellement parce qu’ils retardent le groupe. En effet, ils représentent seulement 10 % de la population, mais ils sont néanmoins surreprésentés dans les cas de COVID-19 et les hospitalisations (près de 50 %). Ils ont donc plus que leur part de responsabilité dans la situation actuelle.

Dans le même ordre d’idées, les non-vaccinés nous coûtent collectivement 1 million de dollars par jour, sans parler des divers impacts qu’ils ont sur le système de santé. Présentement, le délestage bat son plein dans les hôpitaux, ce qui aura forcément des conséquences sur le moral et la santé de patients en attente d’une consultation ou d’un diagnostic. Ces « désagréments » sont difficiles à mesurer, mais ils n’en sont pas moins bien réels.



Les non-vaccinés nous emmerdent aussi depuis le début de la pandémie avec leurs théories fumeuses qu’ils répandent un peu partout sur les réseaux sociaux. De leur propre aveu, ils se méfient des vaccins, et plus encore des compagnies pharmaceutiques. Eux, contrairement aux « moutons » et aux « rats de laboratoire » qui acceptent de se faire vacciner sans poser de questions, ils ne se laissent pas berner par la rhétorique de la classe dominante. Eux, ils réclament des preuves. Eux, ils ont fait leurs recherches.

A priori, tout cela est parfaitement sain et légitime. Douter et user d’esprit critique est toujours une bonne chose, mais encore faut-il savoir comment le faire et se baser sur des informations fiables. Le savoir est une chose complexe et contrairement à un adage populaire, il ne suffit généralement pas de faire preuve de « gros bon sens ». Et surtout, il ne suffit pas de faire quelques recherches sur Internet pour se prétendre spécialiste d’un sujet. Volontairement ou non, les non-vaccinés deviennent ainsi des vecteurs de désinformation sur les vaccins, générant une méfiance qui n’a pas lieu d’être.

Pour toutes ces raisons, il ne fait aucun doute à mes yeux que les non-vaccinés sont des emmerdeurs et qu’ils représentent un fardeau pour toute la société. Mais est-ce à dire que nous devrions les emmerder à notre tour? J’en doute. Du moins, pas plus que nous ne les emmerdons déjà. Pas besoin d’être un grand psychologue pour comprendre que la technique du bâton et de la carotte a ses limites.

Qu’à cela ne tienne, avec la contribution santé, le gouvernement Legault semble résolu à sortir à nouveau le bâton pour s’attaquer aux non-vaccinés. Personnellement, je ne suis vraiment pas convaincu du bien-fondé de cette approche, mais devant l’exaspération populaire, je comprends l’intention. N’empêche que le gouvernement prend un gros risque avec une telle mesure, non seulement parce que celle-ci soulève des questions éthiques, mais aussi parce qu’elle pourrait provoquer un effet de ressac.



Depuis la mise en application du passeport vaccinal, les non-vaccinés n’ont effectivement eu de cesse d’utiliser l’argument de la discrimination. Ça m’a toujours semblé exagéré, mais avec la contribution santé, ça va devenir de plus en plus difficile de leur donner tort. Certaines personnes l’ont fait remarquer avant moi, mais tous les non-vaccinés ne sont pas issus du même milieu socio-économique. Tous ne refusent par ailleurs pas la vaccination pour les mêmes raisons. Concrètement, cette mesure pourrait donc avoir un effet délétère sur certaines catégories de la population. Et pour tout dire, elle n’aura probablement aucun impact sur les mieux nantis qui pourront pour ainsi dire s’acheter un droit à la non-vaccination.

Dans le fond, on dirait que le gouvernement Legault cherche à rendre la vaccination obligatoire, mais de manière détournée, par la porte d’en arrière. Si tel est le cas, alors pourquoi ne pas l’assumer? Pourquoi ne pas tout simplement instaurer l’obligation vaccinale? Une telle limitation de la liberté individuelle pourrait sembler abusive, mais dans la situation actuelle, elle serait probablement justifiée. Sur le plan juridique, du moins. Car sur le plan sociopolitique, je doute une fois de plus que la méthode dure soit la meilleure des approches. Le fait est qu’après près de deux ans de pandémie, la capacité des Québécois (vaccinés ou non) à accepter de nouvelles restrictions est de plus en plus limitée. Dans ce contexte, le gouvernement doit jouer ses cartes intelligemment.

Il n’existe probablement aucune solution parfaite, mais je crois qu’il serait maintenant temps d’adopter une approche plus positive, notamment en récompensant les bons citoyens (ceux qui se font emmerder depuis près de deux dans et qui ont rempli leur part du contrat) plutôt qu’en tapant sur les « méchants ». Oui, les non-vaccinés sont des emmerdeurs, mais les emmerder à notre tour ne réglera rien, bien au contraire. N’en faisons pas des martyrs, ils seraient bien trop contents.