Chronique|

Courage et résilience d’une famille en quête de justice

Carol Dubé, conjoint de Joyce Echaquan et père de leurs sept enfants, avait pris part aux danses traditionnelles lors du Pow-wow de Manawan en septembre dernier. À son cou était accroché le médaillon à l’effigie de Joyce.

CHRONIQUE / Des audiences publiques de l’enquête du coroner pour faire la lumière sur la mort de Joyce Echaquan jusqu’aux célébrations entourant le premier anniversaire de son décès, en passant par les nombreuses sorties publiques afin de faire avancer la cause de l’égalité et de l’équité envers les nations autochtones, les proches de Joyce Echaquan ont choisi, en 2021, de se tenir debout. Par leurs voix, ils ont continué de porter le débat à travers toute la province, mais également tout le pays, dans une quête de justice qui se poursuit et qui a touché au cœur une nation entière. Pour leur courage et leur résilience, Le Nouvelliste estime qu’il est tout naturel de décerner à son conjoint Carol Dubé, à ses enfants et à tous leurs proches le titre de Personnalité de l’année - Actualité.


«Je m’en voudrai toute ma vie de ne pas l’avoir détachée moi-même.» Les mots prononcés par Marie Wasianna Echaquan Dubé, la fille de Joyce Echaquan, lors des audiences de l’enquête publique de la coroner résonneront longtemps dans le cœur de Géhane Kamel. La coroner qui a présidé cette audience ne donne jamais d’entrevue. Or, lorsque je l’ai interpellée pour savoir si elle aimerait participer à ce reportage, elle s’est empressée de donner son accord. Cette enquête, elle l’avoue d’emblée, aura marqué sa vie.

«J’ai côtoyé énormément de familles au cours de toutes mes enquêtes, mais j’ai rarement vu des gens avec une aussi grande résilience. Quelle belle nomination que celle que vous venez de faire! Chacun des événements que l’on fait pour cette famille ne ramènera jamais Joyce, mais chaque petit pas qu’on fait vers eux, c’est un baume qu’on met sur leur cœur, une façon de célébrer la vie au-delà de son départ. C’est incroyable le legs que cette femme a laissé. Au travers de la mort, c’est la vie qu’elle a pu créer», commente Mme Kamel.



Au-delà des rapports d’experts et de la reconstitution du fil des événements, le témoignage des familles lors d’enquêtes publiques est ce qui vient donner du sens au travail que font les coroners, estime Géhane Kamel. Et l’apport de cette famille à l’enquête publique qui s’est tenue au printemps 2021 à Trois-Rivières a été inestimable pour faire avancer l’enquête, mais aussi ouvrir les yeux sur les réalités qui sont vécues par les nations autochtones.

Me Géhane Kamel a présidé l’enquête publique du coroner pour faire la lumière sur la mort de Joyce Echaquan.

«Cette enquête-là, dans toutes les enquêtes que j’ai pu faire, c’est celle qui m’a fait casser les genoux. Il faut être extrêmement courageux pour être capable de dire devant des milliers de personnes: ‘‘j’ai le sentiment d’avoir abandonné ma mère’’. J’ai voulu rassurer cette enfant en lui disant: tu ne l’as pas abandonnée, tu l’as accompagnée jusqu’à son dernier souffle. Ce qu’elle te lègue ta maman, c’est le courage de te tenir debout. Et c’est ce que tu fais aujourd’hui en témoignant», confie Géhane Kamel.

Lors des audiences publiques, une immense manifestation en soutien aux proches de Joyce Echaquan a rassemblé des milliers de personnes dans les rues de Trois-Rivières. Bon nombre de ces personnes arboraient également des macarons sur le cœur, évoquant le nombre 215, ce qui symbolisait le nombre de dépouilles anonymes qui ont été retrouvées cette année enterrées derrière le pensionnat de Kamloops en Colombie-Britannique. On le sait, depuis, ce sont des milliers d’autres dépouilles qui ont été retrouvées partout au pays, et d’autres malheureusement qui le seront encore. Désastreux vestiges des dizaines d’années d’assimilation autochtone, que plusieurs n’hésitent même plus à qualifier de génocide culturel.

Lors de la tenue des audiences publiques à Trois-Rivières, au printemps dernier, une grande manifestation s’est tenue dans les rues de Trois-Rivières, réclamant justice pour Joyce mais aussi pour l’ensemble des peuples autochtones.

Pour le Grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw, Constant Awashish, l’apport des proches de Joyce Echaquan au débat public cette année aura permis encore plus d’ouvrir les yeux et le cœur des Québécois et des Canadiens aux réalités autochtones.



«Ça a marqué l’année, mais à mon avis ce sont des événements qui marqueront la décennie. C’est important de souligner le courage qu’a eu la famille de Joyce en acceptant de prendre cette place, de continuer d’en parler. Vous savez, au Canada, tout le monde connaît la cause de Joyce Echaquan, et les femmes autochtones de partout au pays s’identifient à elle. Et à travers ça, sa famille continue à servir cette mémoire collective afin d’améliorer l’aspect des relations humaines entre les autochtones et les non-autochtones», indique Constant Awashish.

À travers toutes les démarches entourant notamment la tenue de l’enquête publique, la famille a continué de recevoir énormément de soutien de la population, note Constant Awashish. «Le fait d’en parler encore nous aide à continuer de faire des pas en avant. Dans la population, on l’a senti cette année, les gens en parlent de plus en plus. Ils sont scandalisés de ce qu’ils apprennent. Il y a eu une sorte de réveil, quelque chose qui s’est passé», ajoute Constant Awashish, qui dit continuer de plaider pour un vivre ensemble entre les autochtones et les allochtones, comme un grand projet de société où la contribution des autochtones à créer une société meilleure sera toujours encouragée.

Constant Awashish, Grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw.

En septembre dernier, la communauté de Manawan a tenu son premier Pow-wow depuis la pandémie. Parmi les invités, on notait la présence de Maryse Poupart, la nouvelle PDG du CISSS de Lanaudière, qui fut nommée au printemps 2021, en remplacement de Daniel Castonguay, démis de ses fonctions dans la foulée des événements entourant la mort de Joyce Echaquan. La communauté et le chef Paul-Émile Ottawa avaient souhaité l’inviter pour poser un geste d’ouverture et une main tendue dans cette longue quête afin de rebâtir les ponts entre les Atikamekw de Manawan et le CISSS de Lanaudière.

«C’est une famille qui a été lourdement éprouvée, mais qui a aussi fait preuve d’un courage qui ne se décrit pas. Nous avons le devoir de se souvenir, de se rappeler, et cette nomination comme personnalité de l’année fait en sorte de perpétuer aussi cette mémoire qui nous aide à avancer, à apprendre», mentionne Maryse Poupart.

Cette dernière souligne la grande ouverture manifestée par la communauté de Manawan et la volonté d’établir un dialogue. «Je crois à la théorie des petits pas, celle qui fait que l’on avance ensemble, doucement. Il faut maintenir des actions concrètes, savoir reconnaître et nommer les erreurs, et maintenir des liens réguliers», évoque-t-elle, rappelant que plusieurs actions ont été posées depuis les tristes événements. On parle notamment de la nomination du PDG adjoint, Guy Niquay, lui-même Atikamekw et qui est devenu un conseiller très important pour Mme Poupart, mais également de la nomination de deux agents de sécurisation culturelle, d’un commissaire adjoint aux plaintes pour les peuples autochtones, de même que des formations qui se poursuivent pour l’ensemble du personnel et des gestionnaires.

La mort de Joyce Echaquan a continué de marquer l’actualité en 2021 au Québec.

C’est également au CISSS de Lanaudière, en septembre dernier, que la famille de Joyce Echaquan, les gestionnaires du CISSS et le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, se sont rencontrés pour les cérémonies de commémoration entourant le premier anniversaire du décès de Joyce. Le ministre a d’ailleurs pu rencontrer le conjoint de celle-ci, Carol Dubé, à plus d’une reprise depuis les événements.



«C’est un événement marquant du point de vue humain. Je pense très souvent à lui, qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité malgré lui, mais également seul avec ses sept enfants. Il a fait preuve d’une grande résilience, c’est un grand homme», considère Ian Lafrenière.

Lors de la commémoration du premier anniversaire du décès de Joyce, en septembre dernier à Joliette, Carol Dubé et sa fille ont pris la parole devant la foule venue pour les soutenir.

Bien que le gouvernement n’ait pas adopté le Principe de Joyce, qui souhaite faire reconnaître l’existence du racisme systémique, Ian Lafrenière demeure convaincu que la cause de l’égalité et de l’équité dans toutes les sphères de la société continue d’avancer, notamment grâce à l’intervention de la famille de Joyce Echaquan.

«J’ai entrepris une tournée du Québec pour aller à la rencontre de toutes les communautés, et j’ai vu à quel point les Québécois s’intéressent de plus en plus à la question. Ils vont dans les communautés, ils parlent des réalités autochtones comme jamais. Ça ne sert à rien de perdre notre énergie à s’accrocher sur des termes. Oui, il y a de l’intolérance, du racisme et de la méconnaissance. Mais c’est en continuant de développer notre curiosité, en allant vers l’autre et en voulant en connaître davantage que nous allons avancer», signale M. Lafrenière.

Lors de la publication de son rapport d’enquête, la coroner Géhane Kamel s’est rendue à Manawan, afin de pouvoir d’abord présenter le rapport à la famille. Elle se souvient de ce moment, au site traditionnel sous le tipi, où elle a terminé la lecture, livrant ce qu’elle estimait pouvoir être la voix de Joyce, à sa famille.

Le public a manifesté énormément d’appui envers les proches de Joyce Echaquan, lors des audiences publiques.

«Le réflexe de Carol Dubé, son conjoint, a été de se lever et de me serrer dans ses bras. Ce sont des images qui vont me rester longtemps. J’avais l’impression de leur remettre mon rapport en disant: je vous rends Joyce, sa voix, et prenez-en soin, elle a des ailes maintenant», évoque-t-elle.

En rendant ainsi hommage à la famille, Géhane Kamel croit qu’on rend du même souffle hommage à Joyce, qu’elle continue de vivre à travers eux. «Au travers de ce tragique événement, elle a légué le plus beau et le plus grand. Elle a ouvert les portes de l’histoire en léguant à ses enfants la résilience, mais aussi le courage de se lever pour leurs convictions Ses enfants ne pourront jamais tourner le dos à ça. Ils vont porter Joyce en eux. Elle est devenue un symbole d’amour avant tout et ça, il ne faut jamais l’oublier», conclut Géhane Kamel.