Chronique|

La créativité pour garder ses employés

Louis-Philippe Poulin, directeur général de DSI à Trois-Rivières.

CHRONIQUE / Ça vous dirait de travailler seulement quatre jours par semaine, mais sans que votre salaire de cinq jours ne soit amputé? C’est la solution à laquelle vient d’arriver l’entreprise trifluvienne Diffusion Solutions Intégrées (DSI) afin de s’assurer d’être attractive et de garder ses employés qui sont sollicités par un marché toujours plus compétitif. La mesure qui vient d’être mise en place témoigne une fois de plus de l’absolue nécessité pour les employeurs de faire preuve d’une grande flexibilité, dans un monde où la pénurie de main-d’oeuvre redéfinit la totalité des habitudes des entreprises.


Chez DSI, les 35 employés auront donc désormais la possibilité de travailler 32 heures par semaine, mais continueront d’être payés 37,5 heures. Chaque employé pourra décider s’il souhaite profiter du lundi ou du vendredi comme journée supplémentaire de congé. Pour le directeur général de l’entreprise, c’était un pari audacieux, mais qui méritait d’être pris.

«Sur le plan budgétaire, ça ne fait pas de différence pour nous, mais ça change complètement la perspective du travail pour notre équipe. Et à ce compte-là, on fait le pari qu’en pouvant profiter davantage de temps pour eux, nos employés seront plus productifs, vont offrir une performance similaire et que les activités de l’entreprise vont continuer de progresser comme prévu», explique Louis-Philippe Poulin, qui a fondé DSI en 2006.



L’entreprise se spécialise dans la transformation numérique pour les PME, notamment par le biais d’un logiciel de répartition et de formulaires électroniques fonctionnant sur appareil mobile. Au cours des trois dernières années, elle a connu une fulgurante progression, faisant passer de 15 à 35 le nombre d’employés qui y travaillent.

Mais voilà: la concurrence est forte, spécialement dans l’univers des technologies de l’information, et il n’est pas rare que les employés soient sollicités par d’autres entreprises pour le recrutement. Dans de pareilles circonstances, l’employeur n’a plus le choix que de faire preuve d’une immense créativité afin de fidéliser ses employés. Et on ne peut plus seulement se fier sur la question salariale. C’est davantage la flexibilité et le temps que recherche désormais la nouvelle génération.

Dans le cas de DSI, la force de cette nouvelle mesure vient du fait qu’elle a été suggérée par les employés eux-mêmes. «La demande venait d’eux, mais nous étions aussi favorables à ça. On s’est mis à leur écoute et on a travaillé ensemble pour offrir des mesures qui leur conviennent», note Louis-Philippe Poulin, qui ajoute que la semaine de quatre jours s’ajoute à une panoplie d’autres mesures déjà implantées, comme un horaire d’été allégé, des assurances collectives, un régime de retraite, plus de semaines de vacances que la moyenne dans ce domaine, et même 5% de temps payé alloué à des projets personnels.

Pour la spécialiste en ressources humaines Marili Bordeleau-Desrochers, fondatrice de l’entreprise Coefficient RH, il s’agit là de la meilleure pratique que peuvent adopter les employeurs. «Le meilleur conseil que l’on peut donner, c’est de ne surtout pas se fier à notre instinct. Ne traitez pas les autres comme vous voudriez être traité. Il faut plutôt se mettre à l’écoute de ses employés et déterminer ce qui fera davantage de sens dans leurs valeurs et dans leurs priorités», explique-t-elle.



Au passage, elle cite en exemple cet employeur qui se faisait une fierté d’emmener chaque année tous ses employés à la cabane à sucre. «En creusant un peu, on a vite constaté que les employés, eux, n’avaient aucune envie d’aller à la cabane à sucre, que l’activité ne les intéressait pas du tout», signale-t-elle. En revanche, un autre employeur qui avait pris le temps de consulter son monde a pu constater que plusieurs de ses employés souhaitaient aller jouer au golf entre collègues. Il a décrété que dans le futur, la semaine de travail se terminerait le vendredi midi et que tout le monde irait jouer au golf le vendredi après-midi.

Marili Bordeleau-Desrochers, Coefficient RH.

«Ce qui a la cote, c’est vraiment la flexibilité, mais également toutes les mesures qui peuvent rendre le quotidien des employés plus facile. On a vu des entreprises offrir différents services, comme engager des gens pour s’occuper du changement de pneus des employés au printemps et à l’automne, de faire livrer des boîtes-repas au travail, de modifier les horaires pour faciliter la conciliation travail et vie personnelle. Quand on se met à l’écoute, on arrive à bien déterminer les bonnes solutions pour son entreprise», considère-t-elle.

Chez Soluce Fiscalité et Comptabilité, plusieurs mesures ont été mises en place au cours des dernières années pour assurer la rétention des quelque 70 employés qui travaillent dans les bureaux de Trois-Rivières et Bécancour. On préconise avant tout la culture d’entreprise forte, le sentiment d’appartenance et le plaisir au travail, explique l’associé chez Soluce, Patrick Massicotte.

«À l’interne, on a créé différents comités pour impliquer les employés, dont le comité de la responsabilité sociale et du développement durable. Récemment, on a participé au défi 24h Tremblant et on a pu amasser plus de 6000$. On participe à différentes causes, comme chez Moisson Mauricie, l’Opération Père-Noël, le Noël du Pauvre. Ça rassemble beaucoup l’équipe et les gens chez nous apprécient ce fort esprit de groupe», explique-t-il.

Ceci s’ajoute aux différentes mesures facilitant la vie des employés, comme la présence d’un gym au travail, des horaires estivaux réduits, un souci pour la conciliation travail et vie personnelle, un montant annuel remis à chaque employé pour investir dans l’activité physique, une gamme d’avantages sociaux et une politique rendant possible le télétravail. «Mais sur nos 70 employés, nous avons eu moins de dix demandes pour profiter du télétravail. Chez nous, les gens veulent venir au bureau, ils veulent être avec la gang du travail», constate Patrick Massicotte.

Des éléments qui deviennent des outils de persuasion lorsque vient le temps d’embaucher un nouvel employé. «On ne se fera pas de cachettes: depuis les derniers mois ce sont souvent les entreprises qui se font passer en entrevue par les candidats», fait-il remarquer en riant.



C’est aussi ce qui incite l’entreprise 1200 degrés, qui se spécialise dans les équipements de services incendies, à retravailler complètement ses façons de faire et à proposer un programme qui visera à offrir des bonus de loyauté à ses quelque 60 employés. Le président François Proulx entend en dévoiler les grandes lignes ce printemps.

«On n’a plus le choix d’aller là. Mon plus grand risque en affaires, c’est de ne pas être capable de faire de la croissance. Et on sait que cette pénurie de main-d’oeuvre, on en a encore pour des années à devoir composer avec. Alors il faut trouver des solutions qui font en sorte que mon offre est plus alléchante que celle de ceux qui pourraient chercher les mêmes employés que moi», considère François Proulx, qui a notamment déjà fait savoir à ses employés qu’ils seront payés temps double le jour de leur anniversaire. Une simple petite mesure qui fera partie d’un vaste plan sur lequel il travaille encore.

Pour Jean-Bernard Charette, associé au cabinet-conseil Concordia, spécialisé en capital humain, l’initiative prise par l’entreprise DSI demeure avant-gardiste, mais deviendra tôt ou tard la norme dans l’industrie. Or, selon lui, si les entreprises n’ont plus de doute quant à l’existence de la pénurie de main-d’oeuvre, elles tardent encore et toujours à adapter leurs façons de faire.

«Il y a encore beaucoup, beaucoup de sensibilisation et d’éducation à faire sur la pénurie de main-d’oeuvre auprès des employeurs. Plusieurs entreprises fonctionnent encore sur l’ancien modèle, et nous devons les inciter à faire preuve de créativité. Les gens recherchent davantage le temps, plus que l’argent, de nos jours. On essaie d’accompagner les employeurs là-dedans», signale M. Charette.

Semaines de quatre jours, augmentation du nombre de semaines de vacances, meilleure conciliation travail-famille ne sont maintenant plus du luxe, mais des incontournables si on veut devenir un employeur de choix, croit-il.

Jean-Bernard Charette, Concordia cabinet conseil.