Marc Séguin à Trois-Rivières: le talent de la modestie

On a procédé au vernissage officiel de l’exposition Sublime noirceur de l’artiste Marc Séguin, dimanche, au Centre d’exposition Raymond-Lasnier. Plus tôt dans l’avant-midi, l’artiste a attiré 730 personnes dans le cadre d’une entrevue publique.

C’est armé d’une désarmante simplicité que l’artiste multidisciplinaire Marc Séguin s’est présenté au public trifluvien, dimanche matin, dans le cadre d’un entretien public en compagnie de Patricia Powers à la salle J.-Antonio-Thompson. Le côté très terre à terre de l’artiste s’accordait bizarrement avec l’intérêt exceptionnel qu’il suscite: quelque 730 personnes s’étaient déplacées simplement pour être témoins de cette entrevue qui a précédé le vernissage officiel de son exposition Sublime noirceur, au Centre d’exposition Raymond-Lasnier.


L’arrivée sur scène de l’artiste et de sa confidente a même été retardée d’une quinzaine de minutes, le temps que le personnel d’accueil parvienne à passer au balayage électronique passeports vaccinaux et billets des gens qui attendaient en file pour avoir le privilège d’écouter ses propos.

Ils ne sont pas restés sur leur appétit, cela dit, Séguin se montrant aussi généreux de propos que de sobre sincérité.

L’entretien de quelque 60 minutes a assurément démontré que l’artiste fait reposer son talent sur une pertinente réflexion, tant sur sa démarche personnelle que sur la place de l’artiste dans la société. Souvent rattrapé par sa modestie, il a rappelé nombre de fois qu’il ne fait, somme toute, que de l’art. Façon de dire qu’il ne sauve pas des vies. «Je suis un peu intimidé de voir autant de monde», a-t-il admis d’emblée. «Pour moi, faire de l’art, c’est poser des gestes que je ne comprends même pas entièrement. C’est très naïf comme démarche, finalement. Je veux donc dire merci aux gens de croire à mes patentes. Par l’art, j’essaie de bâtir un pont avec le spectateur, une communication, mais au moment de réaliser mes œuvres, je ne sais jamais s’il y a quelqu’un de l’autre côté.»

Dimanche matin, il a pu constater de visu qu’ils sont nombreux, de l’autre côté. «J’ai nettement plus de plaisir à poser les gestes artistiques qu’à tenter d’en mesurer les conséquences», a-t-il plaidé, malgré la pertinence de ses réflexions. «Je n’ai aucun plaisir à revisiter mes œuvres une fois qu’elles sont réalisées. Il y a des gens bien mieux outillés que moi pour porter un jugement sur mon travail», considère-t-il.

Simplement créer

«Dans ma démarche, je suis vraiment dans le geste sincère et je pense que les gens le sentent et l’apprécient. Très tôt dans ma carrière, j’ai appris à me couper de ce qu’on dit de mes œuvres. Si je crois ceux qui m’encensent, il y a le danger que je me vautre dans l’autosatisfaction. À l’inverse, en réaction à une mauvaise critique, je pourrais être paralysé et malheureux. Je me sens simplement dans une position très privilégiée qu’on me demande tout simplement de créer.»

L’activité de Marc Séguin est tentaculaire. Il est autant artiste visuel que romancier ou documentariste. Il est autant artiste que fermier. Les deux sont-ils distincts, du reste? «J’ai le privilège d’avoir le choix des activités auxquelles me consacrer, mais en même temps, il y a toujours du désherbage à faire. Si, par contre, je me prive de créer parce que je passe cinq jours à désherber, je ressens une urgence de m’y remettre. En tant qu’artiste, je suis témoin du temps présent et si je veux parler de la vie, il faut bien que je la vive.»

Un parcours

Pour ce qui est de l’exposition Sublime noirceur, présentée jusqu’au 16 janvier prochain, il dit qu’il a tenu à ce qu’on y retrouve des œuvres très récentes, toutes fraîches sorties de son atelier. «C’est un peu pour faire la démonstration aux gens, et sans doute à moi en premier lieu, que je ne suis pas has-been», rigole-t-il. «À travers cette exposition, je pense que les gens vont pouvoir comprendre une démarche d’ensemble qui nous mène jusqu’à aujourd’hui.»

Pour ce qui est du titre, qui n’est d’ailleurs pas de lui mais qu’il assume complètement, il le voit comme l’expression de la dualité constante qui l’habite. «C’est l’expression des deux pôles qui cohabitent au fond de moi. Vous savez, en arts, il n’y a pas mille sujets dont on peut parler: l’amour, le bien, le mal, l’ombre et la lumière qu’on porte tous au fond de soi... Il y a des journées où ça va moins bien que d’autres et des journées où ça va mieux. C’est un tiraillement que j’ai décidé d’assumer. Oui, il y a une contradiction qui est là et j’espère qu’on la sent dans l’exposition.»

Il ajoute, dans un même ordre d’idées: «Il n’y a pas une œuvre que vous rencontrerez dans votre vie qui n’a pas le droit de vous bouleverser. Parce que les artistes, c’est par là qu’on se nomme, qu’on se dit. C’est nous. Il n’y a pas qu’à travers des budgets gouvernementaux qu’on peut exprimer l’état de la société. Moi, quand je voyage, que je veux entrer en contact avec des gens, je ne suis pas si intéressé que ça par leur système de santé. Le plus souvent, c’est à travers l’art que j’entre en communication avec quelqu’un d’autre. Et c’est la raison pour laquelle je suis ému que des gens se déplacent pour voir une de mes expositions. Ce que j’ai exprimé dans mes tableaux, c’est très intime.»

«Sans prétention, j’estime qu’une œuvre d’art devrait survivre à son créateur. Donc, elle appartient au domaine public ou à la conscience sociale qu’elle représente. Je dis ça et en même temps, je sens le besoin de préciser que je ne fais que de l’art. Je sens toujours la nécessité de désacraliser ça.»

Aller vers l’autre
Plus important que l’art lui-même, peut-être, il y a la rencontre, le lien. «C’est important pour moi d’aller vers les gens, dit Marc Séguin, de faire une moitié du chemin. Il n’appartient pas aux artistes d’attendre que les gens viennent à eux par un quelconque tour de magie. Avant que le marché de l’art me favorise, mon premier salaire, ç’a été que des inconnus viennent voir une de mes œuvres et qu’ils me disent qu’ils l’ont aimée. Ça voulait dire que j’avais parlé à un autre humain. Ma définition parfaite de l’art, c’est d’aller vers l’autre.»

Cela dit, il ne fait pas de discrimination. «J’aimerais que les gens aient la réaction de s’arrêter une seconde dans leur vie grâce à un de mes tableaux. J’adore quand je vois un enfant le faire, sans qu’il sache pourquoi ou qu’il cherche à flatter les coyotes qu’on retrouve dans des tableaux. C’est beau parce que c’est vrai.»

Sachez, en terminant, que le romancier s’apprête à présenter un manuscrit à son éditeur en début d’année 2022 et que le peintre a entrepris une nouvelle série de tableaux à son atelier new-yorkais. Et qu’une exposition a présentement lieu à Trois-Rivières par laquelle il tente de construire des ponts avec des spectateurs.