Mais pourquoi diable ça intéresse tant les gens?
Avant d’être amputée aux quatre membres, jamais personne ne nous avait abordés de cette façon! En vingt ans de vie commune, c’était bien la première fois qu’un inconnu me posait cette question sans contexte.
Malheureusement pour moi, c’est loin d’avoir été la dernière.
Et je ne suis pas la seule personne handicapée qui doit vivre cet embarrassant malaise face à la curiosité des plus indiscrets. Plusieurs l’ont déjà exprimé sur différents médias sociaux. La question de la sexualité revient sans cesse, qu’on soit amputé, paralysé ou même non-voyant. Lors de la première saison de l’émission «Ça ne se demande pas», des participants à qui il manque un ou plusieurs membres sont appelés à réagir devant la caméra. Ils doivent lire des questions portant sur leur handicap écrites anonymement par le public tel que «Est-ce que vous faites pitié?», «Est-ce que les gens ont peur de toucher votre membre amputé?» Et bien évidemment «Est-ce que ça change quelque chose à votre vie sexuelle?»
Pourquoi est-ce qu’on en revient toujours là?
Si vous êtes de ceux et celles qui se sont déjà interrogés à ce sujet, une chose est certaine, vous n’êtes pas seuls. Alors que tous les autres segments de «Ça ne se demande pas» publiés sur le compte YouTube du diffuseur AMI-télé sont allés chercher au mieux jusqu’à 4000 vues, celui sur la sexualité des amputées a généré plus de 30 000 visionnements. Dans ce cas-ci, répondre à des questions qu’on n’ose pas poser est justement le concept de l’émission qui contribue à démystifier le handicap. Reste que tous les participants sont quand même gênés de répondre, sans être surpris pour autant par la question.
La curiosité, ça peut toujours aller. Même si personnellement, j’ai toujours pensé qu’avec un peu d’imagination, on pouvait facilement satisfaire sa soif de connaissances très nichées sans avoir à déranger autrui. Je suis beaucoup plus choquée par une réalité à laquelle la majorité des femmes n’auront jamais à s’y heurter. Je parle ici du fétichisme d’amputée.
Oui, oui, vous m’avez bien lu. Chaque jour ou presque, je bloque les comptes de ces fanatiques à la perversion affichée au grand jour. C’est principalement sur Instagram que je vois de nombreuses personnes s’abonner à moi seulement parce que je suis une femme amputée. On déteste toutes les «Allo coucou» provenant d’hommes désespérés ou les photos indésirables de leur organe sexuel sur Twitter ou Facebook… car les femmes ne sont pas sur les réseaux sociaux pour se faire aborder de la sorte par de parfaits étrangers. Je suis aussi confrontée à ce genre d’approche qui me donne qu’une envie, leur crier qu’il y a des applications de rencontres comme Tinder pour assouvir leurs besoins. Mais constater que des hommes ont une attirance sexuelle envers des femmes handicapées me perturbe encore plus.
Certains utilisent eux-mêmes les termes anglais «Devotee», «Amputees admirer» ou «Amputee Fetish » pour se définir. D’autres sont plus discrets. Mais une caractéristique les unit tous: ils ne s’abonnent qu’à des femmes amputées ou en fauteuil roulant. Ils ne partagent que des photos de femmes handicapées presque nues ou même habillées jusqu’au cou, tant qu’on voit leur moignon. C’est extrêmement dérangeant. Un terme français a vu le jour sur Wikipédia et n’est toujours pas officialisé dans les dictionnaires; il s’agit d’acrotomophilie qui signifie: paraphilie dans laquelle un individu est sexuellement attiré par un partenaire amputé.
Le sexe est-il trop présent dans notre société d’aujourd’hui pour que des gens en soient ainsi obsédés? Car il faut le dire, la sexualité est partout. On parle de masturbation féminine dans un talk-show, on s’interroge à savoir comment rendre la politique municipale «plus sexy» pour attirer les électeurs dans une émission de radio, on nous vend de la gomme à mâcher comme si c’était des condoms dans une publicité à la télé… Tout est ramené au sexe. Les humoristes s’en donnent à coeur joie, les chefs cuisiniers préparent des plats sexy, les enfants peuvent tomber facilement sur de la pornographie sur Internet sans même la chercher…
Sexe, sexe et re-sexe.
Et si l’on regarde les bulletins de nouvelles, rares sont les journées qui passent sans qu’on apprenne qu’une nouvelle agression sexuelle s’est produite. Viol, inconduite sexuelle, pédophilie, harcèlement, inceste… Ce n’est pas un indice que la sexualité est peut-être trop omniprésente? Alors que l’accessibilité aux jouets sexuels et à la pornographie n’aura jamais été aussi facile, une quantité de gens sont frustrés au point de franchir les limites de l’acceptable. Sans revenir en arrière avec des propos ridicules comme la masturbation peut rendre sourd, ou que les filles doivent rester vierges jusqu’au mariage, n’y aurait-il pas moyen de rééquilibrer le tout en gardant certaines discussions dans l’intimité?
Pour ma part, je suis plus qu’exaspérée d’être ciblée par des pervers qui fantasment sur mon handicap. On vient à se demander ce qui les attire dans cette condition. Des psychologues ont décelé que cette forme de fétichisme pouvait être considérée comme un abus, puisque les personnes invalides sont dans un état de vulnérabilité. Et ce qui m’a toujours inquiétée, c’est que des hommes mal intentionnés en soient persuadés.
Mais attention, toutes les femmes handicapées ne sont pas nécessairement des proies faciles. À Grenville dans les Laurentides, une femme avec un handicap qui la rend partiellement aveugle et sourde a poignardé à mort un dangereux criminel qui la harcelait. Au début du mois de novembre, l’homme s’est introduit chez elle et l’a attaqué en cherchant à l’agresser sexuellement. L’histoire s’est heureusement bien terminée pour elle, quoique... elle devra apprendre à vivre avec cette affreuse expérience violente.