Jean-Ross Dufour est immunosupprimé depuis qu'il a subi une greffe du rein. Depuis le début de la pandémie, il a donc été très compliqué pour lui de travailler, puisqu'il œuvre dans le domaine de la restauration.
Difficile pour lui, on l'imagine, de faire du télétravail. Il a donc eu droit à la Prestation canadienne d'urgence (PCU) pendant plusieurs mois, puisque sa condition médicale et la fermeture des salles à manger à plusieurs reprises l'an dernier ne lui auraient pas permis de continuer à vivre décemment.
«À l'été 2020, j'ai pu recommencer à travailler, mais sous certaines conditions établies par mes médecins, puisque je suis immunosupprimé. J'ai dû travailler à temps partiel. Mais en septembre, il y a eu la deuxième vague, et la PCU a arrêté. J'ai continué à remplir mes déclarations, ce n'était pas la première fois que je faisais une demande pour l'assurance-emploi. Tout se passe bien et je recommence à recevoir un montant par semaine. Je ne me suis pas posé plus de questions, j'ai imaginé que j'avais été migré vers la PCRE», raconte M. Dufour.
Ce dernier a donc continué à recevoir des prestations jusqu'au début de l'année 2021. En février, constatant que les prestations ne lui étaient plus versées, il contacte l'assurance-emploi, pour apprendre que ce n'était pas la PCRE qui lui était versée, mais de l'assurance-emploi pour maladie. Puis, en avril, M. Dufour se fait annoncer qu'il doit rembourser l'ensemble des prestations reçues entre septembre 2020 et février 2021, soit un montant de 8800 $.
«J'ai parlé avec quelqu'un en entrevue, je lui ai dit que je suis disponible pour travailler, puisque presque tous mes cours sont à distance, donc je peux les reprendre quand je veux. Par contre, à cause des contre-indications de mon médecin, il faut que je travaille de la maison. Mais comme je ne peux pas faire à manger pour les gens de chez moi, je ne peux pas travailler», explique-t-il.
M. Dufour ajoute avoir indiqué qu'il ne souhaitait pas cesser sa formation pour se retrouver un emploi, mais que ses cours ne l'empêchent aucunement de travailler. Il a toutefois indiqué au Nouvelliste qu'il n'a pas tenté de se trouver un emploi dans un autre domaine que celui de la restauration, ce qui lui aurait peut-être permis de faire du télétravail.
Il déplore cependant que l'assurance-emploi ne l'ait pas prévenu qu'il avait été transféré sur le programme de chômage pour maladie.
Ils m'ont dit qu'on a la responsabilité [de vérifier si on a droit aux prestations] en tant que demandeur d'assurance-emploi, et que les critères sont bien indiqués. Mais le problème, c'est que je n'étais pas au courant qu'on m'avait changé de régime.
«J'ai consulté un avocat et ce qu'il m'a dit, c'est qu'il y a un bien-fondé à ce niveau-là, qu'ils ont la responsabilité de bien informer les personnes de ces choses-là. Mais le problème, c'est que les lois de l'assurance-emploi sont différentes», ajoute-t-il.
L'étudiant n'a toutefois pas encore baissé les bras. Il indique avoir fait une demande pour être entendu par le Tribunal de la sécurité sociale. Il n'a toutefois pas encore reçu de date d'audience.
Il dit également avoir contacté Margot Auger, une étudiante à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), qui a vécu la même situation que lui, alors que l'assurance-emploi lui réclamait plus de 10 000 $. L'été dernier, Mme Auger avait dénoncé la situation qu'elle vivait sur la place publique. Elle a d'ailleurs indiqué au Nouvelliste avoir conseillé plusieurs autres étudiants qui s'étaient retrouvés dans le pétrin, les guidant sur les démarches à entreprendre. Dans son cas, toutefois, elle a été jugée indisponible à travailler à temps plein, puisque plusieurs de ses cours devaient absolument se faire en présentiel. Elle a indiqué au Nouvelliste avoir finalement perdu sa cause et commencé à rembourser sa dette en octobre.
Une «razzia» contre les étudiants
Des situations comme celle que vit M. Dufour, Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC), dit en avoir vu beaucoup cette année.
«À l'assurance-emploi, les fonctionnaires fonctionnent par directives, pour savoir quel groupe de personnes va être enquêté. Au début de l'année, ils ont fait une razzia contre les étudiants. Ça a commencé au mois de décembre [2020], avec des enquêtes ciblées. Il y a une quantité industrielle d'étudiants qui ont été mis sous enquête», indique-t-il.
Or, les enquêteurs de l'assurance-emploi ne laissent pas grande place à la nuance dans leurs démarches, ajoute-t-il.
Les enquêteurs sont formés pour faire tomber le monde, pour leur poser des questions déstabilisantes. Et ils ne laissent souvent pas de temps aux gens pour s'expliquer.
«Pour les étudiants, ils ont demandé: “si vous avez un conflit d'horaire entre votre emploi et vos études, allez-vous abandonner vos études pour travailler ou garder vos cours?” Et nombreux sont ceux qui sont tombés dans le panneau et qui ont dit qu'ils garderaient leurs cours, même si cette année, exceptionnellement, la plupart des cours se donnaient en virtuel et ça ne nuisait pas aux disponibilités des gens pour travailler», poursuit-il.
Après cette «razzia», un très grand nombre d'étudiants se sont donc retrouvés dans la même situation que M. Dufour. Et ce, même si nombre d'entre eux avaient pourtant fait les démarches nécessaires pour s'assurer qu'ils étaient admissibles à l'assurance-emploi.
«On a vu plein de cas d'étudiants qui appelaient régulièrement pour s'assurer que tout était correct, et à chaque fois, on les rassurait. Mais puisque les fonctionnaires sont soumis à ces directives, quand on leur a dit: on sort sur les étudiants, voici les questions qu'il faut poser, c'est ce qu'ils ont fait. Alors qu'on avait rassuré ces étudiants pendant trois ou quatre mois, ils se sont fait réclamer 6000 $, 8000 $; j'ai même vu quelqu'un à qui on réclamait 12 000 $. Mais les étudiants, ils ne gagnent pas de gros salaires, ils sont souvent au salaire minimum. Alors, se ramasser avec une réclamation comme ça, ça ne part pas bien la vie», reconnaît-il.
M. Céré invite donc les étudiants qui se sont retrouvés dans une telle situation à demander une révision de leur dossier.
La majorité des gens ne contestent pas, mais ça vaut la peine. Les employés qui travaillent à la révision ont une culture plus ouverte [que les enquêteurs].
Dans le cas de M. Dufour, Pierre Céré doute cependant que le Tribunal de la sécurité sociale tranche en sa faveur.
«S'il s'adresse au Tribunal, c'est probablement que ses demandes de révision n'ont rien donné. Et puisqu'il n'était pas prêt à changer de domaine, c'est comme s'il avait limité sa disponibilité à travailler», estime-t-il.
Il est possible de contacter le CNC pour obtenir de l'aide concernant un litige avec l'assurance-emploi. En Mauricie, on peut aussi contacter le Mouvement action-chômage (MAC) de Trois-Rivières et le Mouvement d'action solidaire des sans-emploi des Chenaux.