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Le coin à Enzo

Les deux font la paire: Aurélie Genin et son fils Enzo, 13 mois.

CHRONIQUE / Les clients se présentent à la quincaillerie du village pour acheter un tournevis, de la peinture, un panneau de gypse et autres produits essentiels. Ils en ressortent avec tout cela et ce petit quelque chose d’inattendu qui ne leur coûte pas un sou de plus: la risette d’Enzo, 13 mois et (pas encore) toutes ses dents.


Situé à Charette, ce commerce de détail semble avoir trouvé une solution à la pénurie de main-d’œuvre et, de surcroît, à la rareté des places en garderie.

On a embauché Aurélie Genin qui travaille avec fiston porté en écharpe.

«Merci! Ça fait ma journée!», a lancé l’autre jour un homme avant de repartir avec ses achats et sa dose de bonne humeur.

Impossible de ne pas sourire en apercevant le bébé joufflu, les pieds dans le vide, mais solidement accroché comme un koala à une employée, et pas n’importe laquelle...

«Aurélie est une maman hors pair!»

C’est sa patronne qui la vante ainsi. Nathalie Bellerive est la propriétaire du magasin sous la bannière Home Hardware, également connu sous le nom de Matériaux Lavergne.

Aurélie y travaille depuis le mois de septembre, à l’invitation de Nathalie qui ne voit pas la présence de l’enfant comme un problème.

«Il est un rayon de soleil !», dit-elle avant de s’exclamer en apercevant le petit debout dans son parc: «Wow! Regarde! Il se tient sans appui!»

Qui sait, c’est peut-être ici que le bambin fera également ses premiers pas sous l’œil attendri de ses parents. Parce que oui, le père d’Enzo travaille aussi à la quincaillerie.

Aurélie Genin a la jeune trentaine et un léger accent. Elle a grandi en France avant de prendre racine au Québec il y a onze ans.

Cette amoureuse de la nature – et de Bobby Rivard – a toujours vécu en Mauricie et privilégié les petites municipalités entourées de lacs et de forêts. Elle coule des jours heureux à Saint-Élie-de-Caxton, à moins de dix kilomètres de Charette.

Aurélie vit au Québec depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’à la minute où une femme se sait enceinte, la prochaine étape consiste à inscrire bébé à naître sur la liste du guichet unique d’accès aux services de garde.

«La fameuse Place 0-5 ans... C’est pas mal plus une utopie que quelque chose qui fonctionne», constate Aurélie en poussant un long soupir de découragement.

Elle et son conjoint ont multiplié les appels téléphoniques en plus d’éplucher les réseaux sociaux. Désolé, rien pour le moment.

À cette difficulté s’ajoute l’absence de ses parents qui habitent en France. Quant à ses beaux-parents, ils sont toujours sur le marché du travail. Dépanner une journée de temps à autre, ça peut se faire, mais sinon…

Aurélie était agente de services financiers avant de donner naissance à Enzo. Sa grossesse s’est déroulée durant la pandémie et en mode télétravail. La jeune femme aurait aimé poursuivre l’expérience une fois terminé son congé de maternité.

On lui a répondu que le télétravail n’était plus une option. On avait besoin d’elle au bureau.

Aurélie a donc quitté cet emploi dans le but d’en trouver un autre qui, cette fois, lui permettrait de jongler avec sa réalité de parent qui cherche désespérément une place en garderie.

La Québécoise d’adoption parle d’un «adon» pour expliquer son embauche chez Matériaux Lavergne où son chum a été engagé le premier, au mois de juin dernier.

Enzo met de la bonne humeur dans le commerce de détail où travaillent ses parents, Aurélie Genin et Bobby Rivard. «C’est notre mascotte!», lance Nathalie Bellerive, propriétaire de Matériaux Lavergne, à Charette.

«Tous les midis, bonne comme elle est, Aurélie venait porter le dîner à Bobby et restait le temps qu’il mangeait. Je me suis dit: «Quelle perle! On ne peut pas laisser passer cela», raconte Nathalie Bellerive qui s’est prise d’affection pour cette jeune maman et amoureuse attentionnée.

De fil en aiguille, les deux femmes ont fait connaissance tout en se laissant interrompre avec ravissement par le babillage d’Enzo.

C’est comme ça qu’est venue tout naturellement la proposition pour le moins inusitée de Nathalie à Aurélie.

«Tu pourrais venir travailler avec nous et amener Enzo avec toi?»

Aurélie a demandé un temps de réflexion avant de tenter le coup.

«Travailler avec un enfant, ce n’est pas super évident. Il fallait trouver des solutions qui soient viables.»

Pour les besoins de la cause, le bureau à l’arrière du commerce a été réaménagé. C’est devenu «le coin à Enzo».

À l’intérieur, ça sent bon le bébé... ou la couche pleine. S’y trouvent son parc, son siège, sa doudou, son toutou, alouette. C’est également dans cette petite pièce à l’écart que sa mère tire discrètement son lait.

Aurélie n’a pas besoin de demander la permission pour prendre un temps d’arrêt avec son enfant lorsque celui-ci a besoin de se dégourdir les jambes, de s’amuser avec ses jouets ou d’être simplement cajolé avant de faire une sieste.

Que ça prenne dix ou vingt minutes, ce n’est pas Nathalie qui va faire pression sur cette maman hors pair qui est aussi une employée modèle.

«C’est sûr qu’il y a des moments dans la journée où c’est plus demandant, mais quand je travaille, j’essaie de donner mon 200 %», assure-t-elle, soulagée de pouvoir compter sur Nathalie au besoin.

Une dent qui pousse, ça fait mal. Vivement une paire de bras supplémentaire pour consoler Enzo qui ne manque pas de «coucou!» dans une journée.

Son père n’est jamais bien loin, sans compter les collègues de ses parents qui prennent un cinq minutes par-ci par-là pour s’amuser avec lui.

Cela dit, pas question de laisser le bambin qui marche à quatre pattes circuler dans les allées en toute liberté.

Ce n’est pas un magasin de jouets ici.

Ni un centre de la petite enfance...

On ne va pas se conter des histoires, travailler dans une quincaillerie avec un bébé accroché à soi, ce n’est pas l’idéal même si tout est mis en œuvre pour donner la priorité à l’enfant. Avec un peu de chance, cette solution bien intentionnée sera temporaire.

«Nous sommes toujours à la recherche d’une place en garderie», rappelle Aurélie qui, en attendant d’en trouver une, a élaboré la routine boulot-Enzo-dodo.

Entre des clients à servir, des étagères à remplir, une couche à changer et un biberon à donner, la maman trouve le temps et l’énergie pour s’asseoir avec son garçon, lui proposer des jeux et activités qui favorisent son développement psychomoteur.

«On essaie d’être un peu comme à la garderie... mais au travail!»

Un jour et une risette à la fois.