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Passeport vaccinal: quand la communauté se retrousse les manches

À l’église Saint-Sacrement de Trois-Rivières, l’équipe de Carpe Diem s’est installée jusqu’à vendredi pour aider la population qui a de la difficulté à se procurer le passeport vaccinal. Nicole Poirier et Marianne Daveluy, respectivement directrice et directrice adjointe de la ressource, aident Claudette Gallant et Michel Beauregard dans leurs démarches.

CHRONIQUE / L’implantation d’un passeport vaccinal, qui entre en vigueur ce mercredi matin partout au Québec, allait forcément soulever des enjeux éthiques. Ça, on s’en doutait bien. Mais à quelques heures de l’implantation officielle de cette mesure, force est de constater qu’il a aussi révélé un clivage important entre les Québécois qui ont accès à la technologie et ceux qui n’y ont pas accès. Que ce soit pour les personnes âgées, les immigrants qui ne parlent pas encore bien la langue ou même les personnes analphabètes qui ne maîtrisent pas toujours les dédales bureaucratiques, plusieurs organismes retroussent leurs manches pour leur venir en aide. Mais est-ce leur rôle?


C’est la question que pose Denise qui, insécure, n’a pas souhaité que je révèle son identité dans le journal. La dame âgée a tenté, lundi, de contacter la ligne Info-COVID du gouvernement, tel qu’on le lui recommandait, pour obtenir sa copie du passeport vaccinal. Elle n’a pas accès à un téléphone intelligent ou une imprimante, et n’avait pas l’intention de partager ses données confidentielles avec n’importe qui.

Or, il lui aura fallu plusieurs heures avant de pouvoir parler à quelqu’un, qui ne savait pas trop où la diriger, avant de lui demander de laisser toutes ses informations relatives à sa demande sur une boîte vocale. On allait la rappeler plus tard. Et une fois cette étape complétée, elle recevrait son passeport par la poste dans plusieurs semaines, voire quelques mois...

«On ne nous donne pas les moyens de nous plier à leurs exigences. Depuis le début de la pandémie, j’ai respecté toutes les règles, toutes! Mais c’est une utopie que de penser que tout le monde a accès à un cellulaire, à Internet ou à une imprimante. On dirait qu’on vient de faire deux classes de Québécois: les branchés et les non-branchés. Si c’est une exigence du gouvernement, c’est aussi la responsabilité du gouvernement de nous aider à respecter cette exigence. Mais là, on écope pour un manque d’organisation», confie-t-elle au bout du fil.

Des histoires comme celle-là, on en a entendu plusieurs depuis quelques jours dans les organismes de la région. Pour aider, on a mis en place des mesures pour venir en aide aux gens qui n’arrivaient pas à obtenir leur passeport vaccinal.

Au Centre d’action bénévole Trait d’union de Shawinigan, on a aidé plusieurs dizaines de personnes dans les dernières semaines, et les demandes continuent d’entrer. Le directeur général Mathieu Gélinas rappelle que c’est la mission de l’organisme que de venir en aide à la population, mais déplore que le milieu communautaire doive répondre à ce que le ministère de la Santé aurait pu pleinement assumer.

«Ça fait deux mois qu’on en parle, on avait le temps de le voir venir. Depuis le début de la pandémie, nous avons répondu présents à tout. On a fait du transport pour la vaccination, des inscriptions, là on fait de l’impression de passeport vaccinal. Le milieu communautaire, nous sommes la dernière ligne. Si on dit non, il n’y a plus personne après nous. Mais on n’obtient pas de rehaussement du financement pour autant. Alors on fait des miracles avec ce qu’on peut», considère celui qui invite tout de même la population à contacter son organisme, au 819-539-8844, si quelqu’un a besoin d’assistance pour obtenir le précieux passeport.

À la Maison Carpe Diem, ressource pour personnes vivant avec l’Alzheimer, la direction a ouvert les portes de l’église Saint-Sacrement de Trois-Rivières, dont la ressource a récemment fait l’acquisition. Là, jusqu’à vendredi après-midi, la population est invitée à se rendre pour faire imprimer sans frais son passeport vaccinal.

Loin d’être la mission de son organisme, la directrice de Carpe Diem, Nicole Poirier, estime qu’il s’agit d’un geste d’entraide à la communauté qui est apparu comme étant naturel, après que plusieurs membres de l’équipe eurent témoigné de la difficulté des gens de leur entourage à se procurer le passeport. On a vite compris qu’on avait les moyens d’aider ces gens, peu importe leur provenance.

«J’estime qu’il y a aussi une question de liberté là-dedans. Il y a des gens âgés qui ont du mal à se le procurer et qui vont rester isolés à cause de ça? Ça n’a pas de sens pour nous. Hier, une dame âgée est arrivée, anxieuse de ne pas pouvoir avoir son passeport et pouvoir aller au restaurant ou au cinéma. On l’a aidée, c’est bien certain», mentionne Nicole Poirier, qui ajoute que l’achat de l’église Saint-Sacrement devait aussi servir à de pareilles missions, soit d’en faire un lieu qui servirait à la communauté.

«Et nos gens qui résident à Carpe Diem assistent à ça, ils sont en contact avec la population. Ça fait de la vie et ça répond à nos valeurs d’inclusion. Je suis d’accord que le gouvernement doit prévoir ce qui est à prévoir, mais nous sommes dans une situation exceptionnelle. On se retrousse les manches et on fait notre part. On a ce qu’il faut pour le faire, et ça nous fait plaisir de le faire», ajoute Nicole Poirier.

Chez COMSEP à Trois-Rivières, on a déjà commencé à dépanner certains membres qui avaient de la difficulté à se procurer le passeport vaccinal. Devant la demande, des initiatives seront prises dès le début de la semaine prochaine pour s’assurer que tous les membres qui sont pleinement vaccinés aient accès au passeport.

«On avait fait pareil lors de la campagne de vaccination. On s’assurait que nos membres s’inscrivent, qu’ils aient un transport pour s’y rendre. On a parfois même payé le taxi», explique la coordonnatrice Sylvie Tardif, qui défait le mythe voulant que ce soient uniquement les personnes âgées qui ont de la difficulté avec cette nouvelle exigence en ce moment.

«On voit aussi des immigrants qui ne parlent pas bien la langue. Des personnes analphabètes ou très peu scolarisées, ou encore dans une situation de pauvreté qui n’ont pas accès à un téléphone ou un ordinateur», ajoute Mme Tardif, qui signale que le service sera offert uniquement aux membres de COMSEP. «Ça fait un peu partie de nos services. Quand des gens ont du mal à remplir un formulaire, on les aide. On considère que c’est la même chose avec le passeport vaccinal», indique-t-elle.

Au CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec, on salue les initiatives mises en place par les divers organismes, et on rappelle que les gens ayant besoin d’assistance peuvent composer le 1-877-644-4545 pour obtenir une impression du passeport envoyée par la poste.

Or, c’est ce que plusieurs personnes comme Denise ont fait, sans grand résultat. La porte-parole du CIUSSS, Julie Michaud, reconnaît que le système téléphonique peut parfois être encombré puisque la ligne est dédiée à toutes les questions et aux services entourant la COVID-19, et propose de rappeler à différents moments de la journée pour éviter les heures de pointe. «Évidemment, dans un monde idéal, on demande aux proches des personnes qui pourraient avoir de la difficulté de les aider à installer l’application ou à imprimer le code QR», ajoute-t-elle.

«Ça demeure la responsabilité du gouvernement que de nous fournir les outils dans un délai opportun. Il ne faut pas toujours compter sur les organismes communautaires et ainsi décharger Québec de ses responsabilités», croit pour sa part Denise, qui ne sait toujours pas à quel moment elle recevra son passeport... et donc à quel moment elle aura droit de fréquenter les lieux publics jugés non essentiels.