N’en déplaise à ceux qui ont toujours tenu le discours inverse, avec les responsabilités qui incombent aux conseillers municipaux, la charge de travail des conseillers municipaux trifluviens en est une à temps plein présentement. C’est aussi ce que démontrent les chiffres qui ont été recueillis par un comité de travail qui s’était penché sur la question de la rémunération des élus municipaux, avant la pandémie.
Le constat, c’est que les conseillers trifluviens travaillent en moyenne 41,7 heures par semaine pour des tâches relatives à leurs fonctions politiques. Certains cumulent même jusqu’à 52 heures par semaine. D’autres, qui ont conservé des activités professionnelles avec des charges de travail réduites, en sont quittes pour 30 heures par semaine.
Des heures qui se répartissent entre les séances préparatoires au conseil, les séances du conseil municipal, les réunions de l’exécutif pour certains, les divers comités de travail et les organismes paramunicipaux où les élus siègent, les rencontres bimensuelles avec les hauts fonctionnaires, les séances extraordinaires. Des réunions qui, à la très grande majorité, se déroulent entièrement de jour, et non de soir ou de fin de semaine. On y ajoute les représentations dans les événements, les suivis de dossiers auprès des citoyens, sans compter qu’en 2017, on a rayé de la carte deux districts et réparti un nombre supplémentaire de citoyens à la responsabilité de chacun des 14 conseillers.
C’est beaucoup, et ça peut rebuter le moindre professionnel qui aurait envie de se lancer en politique présentement sans pour autant laisser de côté sa carrière. Pour la conseillère municipale Ginette Bellemare, qui a piloté les travaux du comité de travail avec ses collègues François Bélisle et Maryse Bellemare, le prochain conseil n’aura d’autre choix que de se pencher sur la question de la rémunération des élus, qu’elle souhaite être revue à la hausse pour favoriser un recrutement qui sera représentatif de la société, et non réservé à ceux qui sont à la retraite ou sans emploi.
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«Lorsque j’étais mairesse suppléante, j’aurais voulu faire passer un règlement pour ça. Mais on m’a convaincue d’attendre le nouveau maire. Aujourd’hui, je peux dire que c’est un de mes grands regrets, de ne pas être allée de l’avant avec le rehaussement des salaires», confie Mme Bellemare.
En 2019, le conseil municipal avait procédé à une révision salariale afin de répartir de façon équitable l’ensemble des primes versées aux élus qui siégeaient sur divers comités. Certains ont connu une hausse de salaire, d’autres une baisse. Les nouvelles règles en matière de fiscalité ont aussi joué sur le portefeuille des conseillers municipaux et du maire, alors que l’allocation annuelle de dépenses de 16 767 $ est, depuis deux ans, imposable.
Cette année, à Trois-Rivières, un conseiller municipal gagnera un salaire de base de 36 346 $, auquel s’ajoute une allocation de dépenses de 16 767 $. Autrement dit, pour un élu qui travaille plus de 50 heures par semaine sur ses fonctions, c’est environ 19 $ de l’heure, imposable.
À titre comparatif, à Gatineau, en 2018, les conseillers municipaux ont obtenu un salaire de base variant entre 56 240 $ et 66 460 $ selon leurs fonctions, un montant auquel on ajoutait une allocation de dépenses de 16 595 $. À Saguenay, en 2019, les conseillers ont gagné entre 52 64 $ et 69 814 $, en plus d’une allocation de dépenses de 16 813 $.
Il y a clairement un grand ménage à faire. Mais lequel? Doit-on augmenter le salaire des élus municipaux? Doit-on diminuer leurs tâches? De quel genre de conseil municipal veut-on se doter? C’est là que les avis divergent. Et c’est là aussi qu’il faut dès maintenant donner l’heure juste aux candidats qui voudront faire le saut en politique municipale.
«Je vois des candidats qui s’annoncent et qui pensent qu’ils vont pouvoir accomplir la tâche en gardant leur travail à temps plein. Ils vont vite faire le saut et le problème, c’est que c’est le citoyen qui va en payer le prix, parce que la personne ne sera pas aussi disponible qu’on le voudrait. Il ne faudrait pas que ça mène à des démissions en cours de mandat, car la population serait vraiment perdante», croit Ginette Bellemare.
Pour le maire Jean Lamarche, il faudra assurément revoir le mode de fonctionnement, mais qui ne passera pas par une augmentation salariale selon lui. «Je souhaite que le conseiller municipal retrouve un peu le rôle que les chargés de cours ont en enseignement. Ils sont dans les institutions, mais également sur le terrain. Là, il y a une lourdeur administrative, une surcharge de comités qui met beaucoup de pression sur l’appareil. Il va falloir revoir le mode de fonctionnement, quitte même à revoir le mode de gouvernance», croit-il.
Recrutement difficile
Au nouveau parti Action civique Trois-Rivières, on ne le cache plus: le recrutement de candidats est difficile, en grande partie en raison de la lourdeur de la tâche. Parmi les candidats potentiels, plusieurs ont refusé parce qu’ils ne voulaient pas «lâcher leu job actuelle».
Le parti souhaite maintenant proposer de revoir les structures afin de ramener cette tâche à environ 20 heures par semaine, selon le cofondateur Jean-Claude Ayotte. «Il y a vraiment une réflexion à y avoir, et on va proposer des choses pour alléger cette tâche. Les principales fonctions d’un conseiller sont de représenter ses citoyens et de faire avancer ses dossiers», croit M. Ayotte, qui clame qu’il y a une surreprésentation des élus sur tous les comités de travail, ce qui n’aide pas à alléger la tâche.
«Le politicien n’est pas au service de l’administration publique, mais c’est l’administration publique qui doit se mettre au service du politicien. On va proposer des mesures pour assurer une meilleure organisation du travail, parce que présentement, ce n’est pas du tout adapté à la nouvelle réalité», ajoute celui qui souhaite offrir à de futurs candidats la garantie d’une «conciliation travail-politique-famille».
Est-ce là une proposition réaliste? L’actuel conseiller municipal de Pointe-du-Lac François Bélisle, qui a siégé sur le comité pour étudier la rémunération des élus, se le demande. Les élus actuels ont voulu s’impliquer davantage dans les dossiers et la dynamique amenée par cette nouvelle génération de politiciens apporte aussi son lot de réussites.
«Ce qui m’inquiète davantage, c’est la valorisation que l’on donne au rôle du conseiller municipal, et pas forcément en lien avec le salaire. On a parfois l’impression qu’on est rendu dans une gouvernance où on ne dirige plus rien, une gouvernance de bureaucrates. L’arbre décisionnel est trop gros. Nous, on veut sentir qu’on a le pouvoir d’agir, qu’on sente qu’on fait la différence. J’aimerais que l’on sente qu’on a davantage de pouvoir discrétionnaire. Mais sincèrement, je ne vois pas présentement comment on pourrait réduire notre tâche sans complètement dénaturer le vrai rôle d’un conseiller municipal», signale-t-il.
Sa collègue Maryse Bellemare a pris l’habitude d’aller à la rencontre des citoyens de son secteur une fois par mois pour continuer de prendre le pouls du terrain. «Quand on assiste à tous ces comités, on est de toutes les discussions et on peut ensuite aller valider auprès de nos électeurs s’ils adhèrent aux projets et aux orientations. Moi personnellement, j’ai besoin d’être là au moins 40 heures par semaine pour sentir que je fais mon travail et que je réponds adéquatement à mes citoyens», remarque-t-elle.
Là-dessus, l’administration municipale a de sérieuses questions à se poser, et ce, dès maintenant, si elle souhaite pouvoir attirer des gens qui accepteront de poser leur candidature sur le prochain bulletin de vote. La société évolue, le citoyen est de plus en plus engagé, impliqué et exigeant envers le conseil municipal. On parle de préservation de boisés urbains, de développement du transport actif, de bacs bruns, d’amélioration continue des services. On veut avoir accès aux élus, sortir la politique de l’hôtel de ville. Tout ça a un coût, parfois monétaire, parfois humain.
À plus de 40 heures par semaine, tôt ou tard, on devra en arriver au constat qu’il faut augmenter le salaire des élus. Si, au contraire, on en arrive à diminuer leurs tâches, il faudra aussi trouver un juste équilibre pour ne pas faire des conseillers municipaux de simple «rubber stamper», qui seront là uniquement pour approuver les projets, sans que ces derniers ne s’inscrivent dans une vision que les élus souhaitent défendre à la demande de leurs citoyens.