Haute démolition de Jean-Philippe Baril Guérard: «une tempête parfaite»

Jean-Philippe Baril Guérard présente son quatrième roman <em>Haute démolition</em>.

On le croit sur parole quand Jean-Philippe Baril Guérard dit qu’il ne s’attendait pas à toute l’attention, médiatique, entre autres, que provoque son dernier roman Haute démolition où il plonge, avec son personnage d’humoriste fraîchement sorti de l’École nationale de l’humour, dans des sillons sombres du milieu.


«Je ne pensais pas que ce serait intéressant pour le grand public. Je pensais que ce livre toucherait les humoristes, leurs cordes sensibles et les intéresserait eux mais je ne pensais pas que les gens allaient embarquer autant, confie l’auteur en entrevue téléphonique. Je pense aussi que c’est parce que tout le monde a un rapport avec l’humour au Québec. Soit les gens aiment, soit ils haïssent. D’autres disent que ça prend trop de place. Il y en a qui aiment beaucoup le milieu mais qui sont un peu déçus de tout ce qui est sorti l’an dernier», énumère-t-il en faisant référence à la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles.

Le roman traite d’ailleurs le sujet de front. Le personnage central du roman, Raphaël, verra son ami, un humoriste en pleine ascension, être la cible de dénonciations. Impossible de passer sous silence la résonnance avec l’actualité qui n’est pas étrangère au succès qu’il connaît. «Il y avait une tempête parfaite pour qu’on parle du livre», admet-il.



L’histoire plonge aussi dans les relations de pouvoir, la compétition, la consommation d’alcool et de drogue et un immense chagrin d’amour. Des sujets universels qui débordent amplement du milieu de l’humour.

«C’est ce qui est intéressant dans un livre, on peut aller dans l’extrêmement personnel, l’extrêmement intime, pour rejoindre l’universel. Une chose qui m’a été dite à propos de Haute démolition c’est: «oui, tu parles de pouvoir chez les humoristes et à quel point ça peut corrompre et que ça peut mener à des situations d’abus mais j’ai l’impression d’avoir vu mon milieu là-dedans.» Souvent les gens tracent des parallèles même quand ce n’est pas leur histoire à eux. Ça, c’est un super compliment que j’aime recevoir.»

Une démarche de recherche qui fait jaser

L’idée de ce petit dernier a germé alors qu’il rédigeait un article pour la revue Nouveau Projet - le texte est d’ailleurs en nomination au Prix du magazine canadien 2021- sur le monde de l’humour dans lequel il avait fait une incursion pour l’occasion. Cette expérience lui a permis de faire une substantielle collecte d’information. Comme pour tous les livres qu’il a écrits, Haute démolition étant son quatrième, Jean-Philippe Baril Guérard s’est toujours imposé un important travail de recherche. Cette fois, le processus retient l’attention parce qu’on y retrouve le nom de Rosalie Vaillancourt qui avait dénoncé, en compagnie de huit autres femmes, les comportements déplacés de Julien Lacroix dans un article du Devoir paru l’été dernier.



«Évidemment ça attirait plus l’attention mais c’est quelque chose que je fais toujours. Quand j’ai travaillé sur Manuel de la vie sauvage, j’ai parlé à des avocats et des gens qui travaillaient pour toutes sortes de compagnies à Montréal, même chose pour Royal où j’ai parlé avec plein d’étudiants en droit, des gens qui m’ont donné leur perspective. Ça fait toujours partie de ma démarche mais là j’ai vraiment poussé ça plus loin», raconte-t-il.

«Ce qui m’intéresse quand j’écris sur des milieux pointus, c’est de savoir comment le milieu parle de lui-même. Je vois les gens devenir autocritiques de leur milieu et j’ai l’impression que je vois ça dans tous les milieux. Les avocats sont critiques; ils ont des insides sur le milieu du droit et quand tu n’es pas là-dedans, tu ne peux pas le soupçonner.»

Plonger dans le milieu de l’humour c’est, évidemment, parler des humoristes mais aussi de tout l’écosystème qui gravite autour d’eux. Dans sa recherche, Jean-Philippe Baril Guérard a donc tenu à obtenir d’autres points de vue, dont celui de Sophi Carrier, gérante de l’Agence SPM, qui figure dans la liste des remerciements.

«C’était tellement intéressant d’avoir le regard d’une gérante sur ça. Un des enjeux c’est à quel point les humoristes deviennent des machines à cash et ce n’est pas dans l’intérêt d’un gérant ou d’un producteur de dire à un artiste de prendre un break», rapporte l’écrivain. «Sophi me disait qu’elle a dû gérer des artistes qui avaient des problèmes de santé mentale ou qui n’allaient pas bien ou encore quelqu’un qui vit un deuil ou une peine d’amour. Elle disait que ça fait partie de sa job d’accompagner l’artiste mais que ce ne sont pas tous les gérants qui font ça. L’aspect humain n’est pas une priorité pour tout le monde qui travaille dans ce milieu. Par contre, je tiens à le dire, j’ai parlé à des gens qui me disaient: ‘‘Si mon gérant ou ma gérante n’avait pas été là, je ne serais pas passé à travers une mauvaise passe.’’ Alors ça peut vraiment être quelqu’un qui est ultra important», mentionne-t-il avant d’y ajouter sa propre expérience. «Je pense juste à moi, la relation que j’ai avec mon agente, elle m’a vu dans tous mes états et des fois, sans elle, j’aurais implosé… Il y a du monde extraordinaire mais, comme je raconte une histoire, je me suis intéressé à ce qu’il y a de plus dark, de moins joli.»

Dans son histoire, il présente deux gérants qui ont des profils bien différents, ce qui lui permet également d’exploiter toute une gamme de situations.

«J’ai donné plusieurs versions d’un même personnage, d’un même cliché. J’avais l’idée du gérant mais le fait d’en avoir plus qu’un, on peut aller dans différentes directions et nuancer.»



Un impact négatif?

Bien que le récit de Jean-Philippe Baril Guérard soit fictif, il avoue lui-même s’appuyer sur une assise bien réelle. «Quand j’ai écrit Royal, beaucoup de gens disaient : ‘‘c’est un roman où il dénonce les avocats’’. Ce n’était vraiment pas ça! Je m’intéressais à une portion très fine de la réalité mais il faut dire, d’abord et avant tout, que c’est de la fiction, mais je ne nie pas que je me base sur quelque chose qui est vrai.»

En exposant les éléments moins reluisants du milieu de l’humour, n’a-t-il pas eu peur d’en subir certains contrecoups? De perdre certains contrats?

«J’avais envie de penser ça mais, le son de cloche que j’ai eu de personnes du milieu, c’est qu’ils trouvent ça cathartique. Ce n’est pas comme une histoire à prendre au premier degré mais comme une façon de purger le méchant et de crever l’abcès. Je pense que ça leur fait du bien de l’aborder. Les humoristes eux-mêmes sur scène se posent la question de comment en parler. Comment tu fais, par exemple, pour gérer le fait que quelqu’un avec qui tu as collaboré pendant plusieurs années, et qui était ton ami, est rendu cancelled et qu’il a eu des comportements problématiques ? C’est tough. Que ce soit fait par quelqu’un d’autre qui ne vient pas du milieu ça peut faire du bien de crever l’abcès autrement.»

Cette distance par rapport au sujet l’installait dans une position plus confortable pour se lancer dans l’écriture du récit.

«Je ne connais pas assez le milieu de l’humour pour avoir le nez trop collé dessus et en saisir toutes les nuances mais je le connais quand même assez pour avoir l’impression de comprendre un peu. Je suis dans la position où, un peu comme un journaliste, j’imagine, tu as l’impression de creuser un beat depuis assez longtemps pour bien connaître le sujet sans être dedans.»

Jean-Philippe Baril Guérard

Il a bien eu des réactions négatives mais elles sont venues d’ailleurs.

«Les pires réactions que j’ai eues ce sont des gens du milieu littéraire qui trouvaient que le livre avait trop d’exposure pour la qualité qu’il a. C’est une opinion. Je suis d’accord que l’attention que le livre a eue n’est pas proportionnelle à sa qualité artistique», lance sans amertume le Plessisvillois d’origine.



L’idée de la narratrice

Si toutes les réactions positives qu’il reçoit permettent de croire que l’auteur a visé dans le mile sur le fond, il a également fait des choix sur la forme qui amène une autre dimension à son histoire notamment en utilisant une narration à la deuxième personne et au futur. «C’est le genre d’idée qui peut être une fausse bonne idée», rigole celui qui avoue se poser la question à chacun des livres.

«Parfois, l’histoire est aussi importante que comment on la raconte.»

«La narration par Laurie (une script-éditrice de talent qui dévoilera au personnage principal, Raphaël, ce qui l’attend dans l’avenir s’il l’embrasse) donne un autre edge au récit et qui n’est pas simplement l’histoire de Raphaël. Ça change complètement le regard qu’on a et ça permet d’aller chercher une certaine profondeur émotionnelle qui est différente dans certaines scènes parce que le regard change, expose-t-il. Il y avait une ironie que j’essayais de développer puisque le personnage qui parle tout le long, c’est le personnage auquel on n’accorde pas de parole finalement. Elle raconte l’histoire mais son opinion, comment elle se sent, Raphaël ne lui donne pas l’espace pour l’exprimer. Je voulais créer un double jeu avec ça.»

Chose certaine, l’auteur a mis la barre haut pour son prochain ouvrage qui viendra avec un peu plus de stress conclut-il.