Selon Mme Desroches, Mme Echaquan a dit clairement à de nombreuses reprises qu’elle souffrait, mais le personnel infirmier n’a pas fait grand-chose pour lui venir en aide, soutient-elle.
Dans sa déclaration qu’elle a lue au palais de justice de Trois-Rivières, Annie Desroches raconte que Joyce Echaquan est calme le matin du 28 septembre. Les douleurs se manifestent peu de temps après et Mme Echaquan indique au personnel qu’elle ne veut pas de morphine, car cela lui donne mal au ventre. Une infirmière lui dit qu’elle comprend que le sevrage peut être difficile, mais lui demande de se contrôler. Après avoir demandé d’être mise en contention, Mme Echaquan est tombée de sa civière. Les infirmières ont de nouveau refusé de l’attacher.
«J’ai aperçu quatre infirmières rire d’elle en se disant quelque chose que je ne pouvais pas entendre. Joyce a commencé à hurler. Elle a crié: ‘‘Je vais quitter mon corps’’», a dit Mme Desroches, qui s’explique mal la détérioration rapide de l’état de Joyce Echaquan.
Même après avoir pris un calmant, Joyce Echaquan demeure agitée et souffrante, selon Annie Desroches. Alors qu’elle continue à crier, une infirmière (qui serait la même qu’on entend sur la vidéo prise par Joyce Echaquan) a dit à Mme Echaquan, selon Annie Desroches : «Si tu continues, on va te shooter et tu vas dormir ben comme du monde.»
Annie Desroches a été troublée de voir le corps de Mme Echaquan sortir de la salle de réanimation.
«Le 28 septembre hantera mes pensées à jamais. Ils ne lui ont pas donné de l’aide, ils lui ont donné la mort.»
Des proches de Joyce Echaquan qui étaient au palais de justice de Trois-Rivières mardi ont écouté attentivement les propos de Mme Desroches tout en essuyant leurs larmes.
Propos dégradants
Deux citoyens de la région de Joliette qui étaient au même hôpital que Joyce Echaquan ont raconté avoir entendu des employés tenir des propos dégradants. Dans sa déclaration déposée à la Sûreté du Québec en janvier dernier, Stéphane Guilbault raconte avoir entendu de tels commentaires.
«Ils ont crié : ‘‘Les Indiennes aiment ça se plaindre pour rien et se faire fourrer pour des enfants’’. J’ai trouvé ça sauvage de voir la manière dont ils ont agi. Pourquoi ça travaille là?», se demande l’homme dans le document audio diffusé mardi.
Josiane Ulrich a fait une déposition le même jour et ses propos vont dans le même sens, selon le document audio diffusé mardi.
«On a entendu : ‘‘C’est encore la Joyce qui sonne’’, ‘‘On est tannés de l’entendre se plaindre’’, ‘‘Ça aime mieux se faire fourrer et avoir des enfants et se faire plaindre pour rien’’, ‘‘C’est une Indienne, c’est pas grave’’», a rapporté Mme Ulrich, en ajoutant avoir entendu une employée dire, après le décès de Joyce Echaquan: «Enfin on va avoir la paix avec elle, elle est morte.»
Mme Ulrich affirme avoir été témoin d’une trentaine de mauvais comportements du personnel infirmier envers des autochtones et des personnes de couleur noire au cours des 27 dernières années durant lesquelles elle a eu affaire à cet hôpital.
«C’est dégueulasse. Je souhaite que ça arrête.»
Une infirmière de l’hôpital de Joliette n’est pas tombée en bas de sa chaise lorsqu’elle a visionné la vidéo durant laquelle des employés font des commentaires désobligeants à l’endroit de Joyce Echaquan. Cette infirmière, qui a participé aux manoeuvres de réanimation de Mme Echaquan, estime que l’hôpital de Joliette n’est pas un lieu caractérisé par des comportements racistes à l’égard de certains patients, sauf pour une employée, soit l’infirmière congédiée à la suite des événements entourant la mort de Joyce Echaquan. Cette employée était reconnue pour son «franc-parler».
L’infirmière n’a pas été surprise d’entendre cette personne prononcer des paroles inappropriées à Mme Echaquan.
Selon cette infirmière, dont on doit taire le nom en raison d’un interdit de publication, la même collègue de travail aurait tenu des propos désobligeants, il y a quelques années, concernant une famille syrienne qui était venue consulter à l’hôpital. De plus, l’infirmière a raconté à la coroner Géhane Kamel que peu de temps après le décès de Joyce Echaquan, une adolescente atikamekw a craint de subir le même sort lorsqu’elle est arrivée à l’urgence de cet hôpital.
Me Patrick Martin Ménard, avocat de la famille de Mme Echaquan, n’est aucunement étonné par ce témoignage.
«Cette problématique est documentée par d’autres rapports ou des témoins de la communauté. Dire qu’il n’y a pas de problème est de repousser le problème.»
Une agente de liaison ignorée
Barbara Flamand, ex-agente de liaison affectée à l’hôpital de Joliette par le Centre de santé du conseil atikamekw, a raconté que ses deux ans passés à cette fonction ont été difficiles, car elle affirme avoir été ignorée par le personnel de l’hôpital. Elle a dû se faufiler par une porte arrière de l’établissement afin de tenter d’avoir des nouvelles de l’état de santé de Joyce Echaquan, car on lui refusait l’entrée par la porte principale. Selon Mme Flamand, les Atikamekw étaient devenus plus craintifs depuis la mort de Joyce Echaquan. Elle affirme qu’aucun patient autochtone ayant été soigné à cet hôpital ne lui a dit avoir été bien traité.
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«J’étais là pour aider et sécuriser les patients. J’étais vue comme une superprotectrice des Atikamekw. On m’évitait», a dit Mme Flamand, en ajoutant qu’elle ne pouvait imaginer la méchanceté de l’infirmière entendue dans la vidéo de Joyce Echaquan.
Mme Flamand a démissionné de son poste en février dernier, se sentant inutile.
Pas de commentaires racistes
Selon le témoignage de deux autres infirmières ayant participé aux manoeuvres de réanimation sur Joyce Echaquan, l’hôpital de Joliette n’est pas un endroit où on entend des commentaires racistes.
Ces deux infirmières, dont on doit aussi taire le nom en vertu d’un interdit de publication, ont raconté dans le détail les manoeuvres de réanimation pratiquées ce jour-là. Selon elles, les manoeuvres ont été faites selon les règles de l’art.
«Pour Mme Echaquan, on a tout essayé», a dit une infirmière.
Celle-ci a précisé que depuis les événements entourant le décès de Joyce Echaquan, un froid a surgi entre la communauté autochtone et les infirmières de l’hôpital de Joliette. Cette infirmière estime qu’il ne faut pas juger l’hôpital de Joliette en se basant sur quelques commentaires de patients disant que le personnel de cet hôpital est raciste.
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La coroner Géhane Kamel fait le point
«J"ai en tout temps respecté mon devoir d'indépendance et d'impartialité.» À l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan, la coroner Géhane Kamel s’est dite désolée si certains de ses propos tenus lors des audiences ont pu indisposer des citoyens, et assure qu’elle respectera son devoir d’impartialité.
Tout en reconnaissant avoir été impatiente durant les audiences de l'enquête sur la mort de Joyce Echaquan, la coroner Géhane Kamel indique qu'elle va continuer son travail afin de faire la lumière sur ce triste événement pour éviter qu'il se reproduise.
Me Kamel comprend que certains de ses propos aient pu faire réagir. Elle affirme en prendre acte et a présenté ses excuses. «Nous devons questionner et décortiquer les faits dans les menus détails», a ajouté Me Kamel, en rappelant que des réponses de témoins étaient évasives.
«Bien que certains de mes commentaires aient pu donner l’apparence d’une certaine partialité de ma part, j’affirme que j’ai en tout temps, depuis le premier jour de cette enquête, respecté mon important devoir d’impartialité et d’indépendance en tant que coroner et je peux vous assurer qu’il en sera ainsi jusqu’à la toute fin du processus», a-t-elle déclaré mardi matin avant le début des témoignages de la journée.
Cette déclaration était attendue: vendredi dernier, la coroner en chef du Québec, Me Pascale Descary, avait annoncé que Me Kamel ferait une «mise au point» sur diverses réactions de médias ou de citoyens survenues après le déroulement de la dernière semaine de témoignages.
Certaines de ses paroles ont fait sourciller, notamment lorsqu’elle a dit ouvertement à des témoins qu’elle ne les croyait pas et qu’ils n’étaient pas crédibles, et qu’elle en ait semoncé plus d’un.
À la préposée aux bénéficiaires que l’on entend dans la vidéo filmée par Mme Echaquan elle-même, et qui faisait valoir que ses propos envers sa patiente étaient «bienveillants», elle lui a lancé sur un ton dur: «c’est dit plein d’amour ça? C’est plein de jugement.»
«C’est tout sauf de la bienveillance, a-t-elle ajouté. N’essayez pas de me convaincre, je ne vous crois pas.»
Avant le témoignage de l’infirmière que l’on entend aussi insulter Mme Echaquan dans la vidéo, Me Kamel l’a avertie qu’elle serait peut-être «un peu plus vindicative» que la veille.
Me Kamel s’est aussi impatientée envers des membres du personnel médical quand ils disaient ne pas avoir été témoins de commentaires racistes ou dénigrants envers les Autochtones à l’hôpital de Joliette, là où est morte Joyce Echaquan le 28 septembre 2020.
La mère de famille autochtone a été insultée et dénigrée par deux employées de l’hôpital de Joliette. Peu avant sa mort, elle s’était filmée de son lit d’hôpital avec son téléphone cellulaire et avait diffusé en direct la vidéo. Cette vidéo a largement circulé dans les médias sociaux et a déclenché une onde de choc et d’indignation au Québec.
L’enquête du coroner se poursuit mercredi au palais de justice de Trois-Rivières.
Avec la Presse canadienne
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