Après l’amertume que cette démarche de fusions municipales aura laissée chez certains élus municipaux de l’époque, il y a eu, pour certains citoyens des municipalités en dehors des villes-centres, la nostalgie du «small is beautiful», le sentiment d’avoir été engloutis par un monstre municipal trop gros. Un malaise qui aura duré une dizaine d’années, tout au plus, avant de faire place à une résignation chez ceux qui n’y croyaient pas et à une fierté chez ceux qui défendaient cette idée.
Le 30 mai 2001, les décrets scellaient le portrait territorial et démographique des nouvelles villes. C’est plus de 70 % de la population de la Mauricie qui allait se retrouver à Trois-Rivières et à Shawinigan.
Parmi les facteurs qui devaient justifier ces fusions forcées, on a beaucoup parlé de la volonté de régler les questions de l’équité fiscale entre les villes-centres et les municipalités satellites. Mais Québec souhaitait aussi faire un ménage dans l’organisation municipale en réduisant le nombre d’entités avec lesquelles on faisait affaire. Le processus de fusions de 2001-2002 a permis de regrouper 212 municipalités en 42 nouvelles villes. C’est énorme.
Les regroupements municipaux visaient aussi à freiner une autre tendance: celle de l’étalement urbain. C’est une demi-réussite. On a peut-être éliminé la compétition qui existait entre des villes voisines pour développer de nouveaux secteurs résidentiels, mais on a favorisé un certain exode vers les plus petites municipalités limitrophes qui ont échappé aux fusions.
Dans la région, par exemple, la population de Trois-Rivières a augmenté de 10,4 % entre 2001 et 2021. Mais celle de ses voisines a crû de façon beaucoup plus marquée. À Notre-Dame-du-Mont-Carmel, la hausse est de 21 %, tout comme à Saint-Étienne-des-Grès. À Bécancour, la population a augmenté de 23,5 % en vingt ans. Et à Saint-Maurice, c’est un spectaculaire bond de 50,6 %. On est prêt à faire quelques kilomètres de plus pour payer moins cher de taxes, en somme.
C’est donc à se demander si les fusions de 2001-2002 n’auraient pas dû ratisser un peu plus large.
Face aux responsabilités sans cesse croissantes qu’on leur confiait, les municipalités avaient besoin de revenus plus importants. Regrouper certaines d’entre elles allait être une aventure ardue, mais qui a fini par porter ses fruits.
Peut-être pas sur le plan financier, comme on l’envisageait initialement. Les fusions, rappelons-nous, devaient entraîner des économies d’échelle importantes. Ce n’est pas toujours le cas. Dans bien des villes fusionnées, l’effectif municipal a même grossi compte tenu du menu de services municipaux offerts et du nombre plus élevé de citoyens à desservir. Au Québec, on dénombrait 68 000 fonctionnaires municipaux en 2001. Dix ans plus tard, on en comptait plus de 107 000.
Mais sur le plan de la cohésion territoriale, de l’élimination de la compétition malsaine et des dédoublements, de la bonification des services, de l’intégration des ressources humaines, on peut parler de réussite. Les fusions, enfin, sont surtout venues redonner un peu de fierté et une relative capacité de rêver plus grand à des milieux qu’on pouvait qualifier de moroses et dont le déclin démographique était déjà bien amorcé.
Il reste des défis pour les milieux fusionnés. Notamment celui d’atténuer l’impression de déficit démocratique qui subsiste chez plusieurs contribuables. Certains croient que la machine est trop grosse, que les voix des conseillers sont moins fortes, que les élus sont moins accessibles, qu’ils payent plus cher pour des services qu’ils n’utilisent pas toujours.
Il reste des défis, mais en vingt ans, les villes ont accompli un sacré boulot.