La Commission Laurent propose la création d'une charte des droits de l'enfant

Parmi ses nombreuses recommandations, la Commission Laurent propose d'adopter une Charte des droits de l'enfant et d'y reconnaître que l'enfant a le droit d'évoluer dans une famille et un environnement bienveillants.

La Commission Laurent sur les droits de l’enfant donne tout un mandat au gouvernement Legault, dont l’adoption d’une charte des droits de l’enfant, un meilleur financement de plusieurs organismes communautaires et un allègement de la tâche des intervenantes jeunesse.


Le rapport final de la commission, présidée par l’ancienne syndicaliste Régine Laurent, a été rendu public lundi, près de deux ans après le lancement de la commission.

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse avait été créée après l’onde de choc causée par le décès d’une fillette de 7 ans à Granby, le 30 avril 2019.

La commission propose un «virage prévention» obligatoire pour tout le système. Il faut plus d’interventions à l’école, auprès des familles, dans les services psychosociaux, soit avant que l’enfant se rende dans le système de protection de la jeunesse, a expliqué la présidente de la commission, Régine Laurent, en conférence de presse.

Une charte des droits

Parmi ses nombreuses recommandations, la Commission Laurent propose d’adopter une Charte des droits de l’enfant et d’y reconnaître que l’enfant a le droit d’évoluer dans une famille et un environnement bienveillants.

Dans la même veine, elle propose de modifier la Loi sur la protection de la jeunesse, afin d’y créer une obligation plus forte d’assurer la continuité des soins et la stabilité pour l’enfant lorsque «le retour dans son milieu familial n’est pas possible».

«La famille biologique doit être accompagnée et soutenue», a rappelé Mme Laurent.

«Par contre, si la famille biologique ne peut répondre aux besoins de l’enfant, sachant que le temps est primordial pour lui, l’enfant doit pouvoir s’enraciner rapidement dans une famille prête à s’engager envers lui pour la vie», a-t-elle plaidé.

Commissaire

Aussi, la Commission propose de créer un poste de Commissaire au bien-être et aux droits de l’enfant. Celui-ci s’ajouterait au poste de Directrice nationale de la protection de la jeunesse, qui a déjà été créé et dont la détentrice a été nommée en mars dernier.

De même, il y aurait un commissaire adjoint pour les enfants autochtones. Et le système devrait voir à ce qu’ils préservent leur identité culturelle, insiste-t-on dans le rapport.

Organismes communautaires

Aussi, la Commission demande de voir à couvrir les frais de fonctionnement de plusieurs groupes communautaires, au minimum 200 000 $ par an, pour les Organismes communautaires famille.

Elle cite également les organismes qui oeuvrent en violence conjugale, en sécurité alimentaire, auprès des jeunes en transition vers l’âge adulte, auprès des familles immigrantes, des hommes en difficulté et autres.

Ces organismes doivent non seulement être mieux financés, ils doivent aussi être «reconnus comme des partenaires», a insisté Mme Laurent en conférence de presse.

Intervenantes

De plus, la Commission Laurent recommande de réviser la charge de travail des intervenantes auprès des jeunes pour s’assurer d’un service de qualité. Elle demande de les dégager de tâches administratives, de leur offrir un meilleur soutien et encadrement et d’ajuster leur nombre en fonction des besoins.

«Il est important que les intervenantes soient mieux formées, mieux soutenues, mieux encadrées. Leur sécurité devrait être encadrée. Leur charge de travail devrait être moins lourde afin qu’elles puissent s’occuper adéquatement des enfants et des familles», a commenté Mme Laurent.

Comme la Commission recommande un «virage prévention» afin d’éviter que l’enfant se rende en centre jeunesse, elle recommande aussi de mieux dépister à l’école. Et, pour ce faire, il doit y avoir plus de psychologues, de psychoéducateurs et autres intervenants sociaux dans le milieu scolaire, affirme-t-elle.

Les services doivent être organisés autour de l’enfant et de la famille plutôt que de les obliger à cogner à plusieurs portes, explique-t-elle.

De façon générale, elle estime que les services psychosociaux ont été «noyés» dans les mégastructures que sont les CISSS et les CIUSSS (Centres intégrés universitaires de santé et services sociaux). Il faudrait donc y instituer une Direction psychosociale, afin de veiller à ce que cet aspect des soins et services soit mieux assuré.

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INTERVENANTES SOULAGÉES D'ÊTRE ENTENDUES

Les intervenantes en centres jeunesse ont été soulagées d’entendre la Commission Laurent répéter ce qu’elles disent depuis des années. Leur syndicat, l’APTS, a l’intention de «talonner» le gouvernement Legault pour veiller à ce que les recommandations les concernant soient appliquées.

La Commission Laurent sur les droits des enfants a reconnu que «les intervenantes souffrent», qu’elles sont surchargées de travail, a lancé en entrevue Andrée Poirier, présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

Cela fait des années que ces intervenantes martèlent qu’elles ont besoin d’aide, qu’elles n’ont pas le temps de s’occuper suffisamment des enfants, des familles, et qu’il faut embaucher, a souligné Mme Poirier.

«S’il y a une chose qu’on peut faire, c’est d’agir rapidement sur les conditions de travail des intervenantes, pour vraiment les attirer, les garder. II faut les former, il faut les soutenir, il faut les encadrer. Il faut assurer leur sécurité. Il faut diminuer leur charge de travail», a plaidé celle qui représente justement des travailleuses sociales, des psychologues et autres dans le système de protection de la jeunesse.

Elle se dit contente que la Commission Laurent l’ait aussi relevé et a l’intention de presser le gouvernement Legault pour qu’il aille au-delà des simples remerciements pour leur dévouement.

«On s’engage à talonner le premier ministre Legault, le ministre délégué Lionel Carmant et (la présidente du Conseil du trésor) Sonia LeBel pour que les recommandations avancées dans cette commission se concrétisent réellement. On veut agir rapidement», insiste Mme Poirier.

La Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ) applaudit les recommandations, parlant d’un «pas dans la bonne direction afin d’innover» pour le bien-être et la protection des enfants.

Elle se dit également rassurée de constater que les familles d’accueil ont été «entendues».

«Le rapport lance un signal fort : le virage nécessaire à venir en matière de protection de la jeunesse doit se faire ensemble, en collaboration avec tous les acteurs qui gravitent autour de l’univers des enfants. Et la FFARIQ répondra présente», affirme par communiqué la présidente de l’organisation, Geneviève Rioux.

La FP-CSN salue plusieurs des recommandations du rapport Laurent comme «la reconnaissance de l’importance de la première ligne, la reconnaissance de la surcharge de travail à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ainsi qu’en centres jeunesse et l’importance de la prévention et des déterminants sociaux».

Pour la fédération, la balle est dans le camp du gouvernement qui doit réinvestir en première ligne, en incluant le secteur communautaire ainsi que les Centres locaux de services communautaires (CLSC), et faire plus de prévention.

Les recommandations de la Commission Laurent sont malheureusement encore très loin de la réalité sur le terrain, fait valoir la FP-CSN.

À la DPJ et au Centre jeunesse de Québec, par exemple, on compte encore aujourd’hui une trentaine de postes vacants et 150 postes qui sont présentement affichés, selon le syndicat.

Premières Nations

Du côté de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, on se réjouit que la commission ait réservé un chapitre aux enfants et familles autochtones et qu’elle ait proposé des changements aux lois québécoises pour mieux refléter leur réalité.

Toutefois, les Premières Nations revendiquent une pleine compétence législative en matière de services à la famille et à l’enfance.

«L’heure est venue pour nos nations de décider de l’avenir et du mieux-être de nos familles et de nos enfants grâce à des services à l’enfance et à la famille conçus et administrés par nos propres gouvernements», écrit l’Assemblée dans un communiqué.

Richard O’Bomsawin, chef d’Odanak, va plus loin : «notre objectif premier, en tant que chefs des Premières Nations, est de continuer à porter nos efforts sur le soutien de la compétence des Premières Nations dans l’exercice de leurs droits inhérents en matière de services à l’enfance et à la famille, ce qui comprend la compétence législative en matière de tels services et l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative».

L’Ordre professionnel des criminologues, de son côté, s’est réjoui des recommandations de la Commission Laurent, parce qu’elle «place les jeunes au coeur des priorités».