Conversation nationale et alarmes municipales

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, s’était rendue à Saint-Élie-de-Caxton le 20 août 2020 pour y rencontrer le maire Robert Gauthier.

OPINIONS / Lettre ouverte à Madame Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation.


Madame la Ministre,

Vous menez présentement une Conversation nationale avec des acteurs du monde municipal sur le développement durable, la qualité des milieux, l’urbanisme et l’aménagement du territoire agricole, le patrimoine: des éléments qui impactent la vie des citoyens. Cet exercice touche inévitablement la dimension de l’éthique des élus et des fonctionnaires. La présente voudrait vous alerter à une problématique qui semble sérieusement négligée.



De votre démarche sortiront des idées et des plans d’action. Pour la majorité des corps municipaux du Québec, où les choses vont bien, vous faciliterez de nouvelles avancées. Chez ceux-là, les conditions préalables à une plus grande autonomie sont favorables.

Mais qu’en sera-t-il des petites municipalités où le fonctionnement s’enraye anormalement? Des sagas comme celles que le Bureau d’enquête du Journal de Montréal a mises en lumière, trop nombreuses, seront-elles contrées quand des élus «hors normes» auront plus de pouvoirs administratifs?

Madame la Ministre, vous savez comme nous tous que les communautés de taille modeste se conservent et se développent sur un fondement essentiel: une conversation municipale saine. Pensons à Saint-Camille (Estrie), qui a réussi une revitalisation exemplaire. Dans une petite municipalité où «ça va bien», on est à l’aise de parler avec une mairesse ou un directeur général. Juste après les assemblées du conseil municipal, les questions libres permettent des échanges sains et rassurants.

Or, il y a régulièrement des endroits au Québec où cette conversation municipale devient inopérante, pandémie ou pas. La COVID-19 est néanmoins un facteur aggravant, un paravent commode pour des élus déjà peu soucieux des échanges ouverts. Pourtant, votre ministère a permis en 2020 des moyens de rencontre et de dialogue accommodants.



J’ai suivi de près l’affaire effarante de Saint-Élie-de-Caxton. La population, déclarée «mal voyante», ne comprendrait ni les méthodes de monsieur Gauthier ni celles de votre ministère? Perceptions embrouillées? Allons donc...

Voyons un autre cas, où là j’ai été directement dans le maelström.

À Sainte-Élisabeth (Lanaudière), en tant qu’historien du patrimoine, j’ai appuyé (via L’Action D’Autray, 4 décembre 2019) le controversé projet d’achat de l’église par la Municipalité, sous réserve d’un processus adéquat. Or, le 19 août 2020, cette acquisition a été votée en conseil municipal extraordinaire, à 4 contre 2, en faisant fi d’une pétition de 326 personnes dénonçant un sondage insuffisant et un sérieux vacuum d’informations. La conseillère Leclair annoncera même sur YouTube que seulement une trentaine de personnes étaient contre ce processus. C’est tout simplement ahurissant. La pétition, remise à la mairie le 14 août, avait même été renforcée par une manifestation citoyenne, facilitée par la surveillance de la SQ.

Ce projet devait être rassembleur. Un «coup de force» malhabile a produit le contraire. Outré, le citoyen Raymond Charlebois apostrophait le maire Bérard (L’Action D’Autray, 31 août 2020; extraits): «...le texte que vous avez publié pour justifier votre non-respect de la population [...] votre conseillère (José Leclair) s’est fait élire en promettant le référendum [et] l’amélioration des communications...».

Un sérieux avertissement avait été lancé, avant le 19 août, par une lettre au maire Bérard signée Guy Lavallée, familier des risques pérennes de l’église, soulignant que l’avis des ingénieurs était essentiel. Ces rapports d’experts, produits et payés, n’ont pas été examinés en assemblée du conseil municipal. Pourquoi? On ne sait pas si un seul conseiller les a vus, ni comment.

Voilà des dissonances extrêmement troublantes avec la Loi 122 et les codes d’éthique. La population locale a questionné, à bon droit, la transparence et la véracité des informations, la prudence face à l’intérêt public, un possible lobbyisme auprès des organismes, et plus encore. Des divulgations sur manquements à des règles précises ont été transmises, début septembre, à votre ministère. Résultats? Hormis l’audit sur la formation des élus (est-ce même relié?), silence total à Québec.



Le Protecteur du citoyen est intervenu. Il en ressort deux constats. Primo, quand la CMQ juge risqué de mener une longue bataille au Tribunal administratif, elle peut ne pas donner suite. Sans même aviser les plaignants! Cette frilosité peut teinter indirectement la jurisprudence, par défaut d’agir. Secundo, le CIME se bute à un pénible casse-tête, et ça s’étire beaucoup trop.

De ce mal des élus «qui n’ont rien compris» (dixit Journal de Montréal), il y a pourtant des symptômes clairs: mauvaise interprétation des règles d’éthique, communications obscures, informations contestables, voire de l’«intimidation sociale» (définition: ministère de la Famille).

Or, que dit le site internet de votre ministère sur les devoirs d’un maire?

«...représenter l’ensemble de la population... agir en collégialité avec les autres membres du conseil... être à l’écoute des citoyens et disponible pour écouter leurs représentations...».

Au-delà du projet de loi 49, les conseillers en éthique municipale connaissent des remèdes, on m’en a montré (Le Nouvelliste, 12 mars 2021, Opinions). La solution «réglez ça aux élections» n’y est pas. Elle est insuffisante pour les petites communautés, qui n’ont pas les outils des villes (ombudsman, spécialistes en communications, conseillers en éthique, etc.). Les villes bénéficient aussi de la force du nombre, qui facilite la création d’associations de citoyens.

Mais dans les petites municipalités en perte de vitalité comme Sainte-Élisabeth, le maintien d’un groupement militant est complexe, lourd à porter. Fait exception Saint-Élie-de-Caxton, où auparavant la conversation municipale était vibrante. Les citoyens ont vaillamment misé sur cet appui pour réagir, en créant un Comité de développement capable d’agir quelque soit le soutien des élus. Gilbert Guérin et ses résistants se battent pour garder allumé le flambeau de Fred Pellerin.

Madame la ministre, la Conversation nationale vous offre une opportunité unique pour protéger davantage nos municipalités vulnérables, et les aider à grandir. Le système de gouvernance des Affaires municipales doit être revu attentivement, avant de décentraliser davantage. Je me place humblement et bénévolement à votre disposition pour vous aider à cette fin.

Claude Ferland

Chercheur en patrimoine

Lanaudière