Chronique|

Les voix de Léane

Emmanuelle Seery est intervenante à la clinique «Premiers épisodes psychotiques» de Trois-Rivières. Il n’est pas rare que les rencontres avec des jeunes comme Léane se déroulent à l’extérieur des murs de son bureau.

CHRONIQUE / L’adolescente de 14 ans n’a pas su comment réagir sur le coup. Quelqu’un lui parlait alors qu’il n’y avait personne autour.


«Est-ce que j’entends des voix? Est-ce vraiment ça?», s’est-elle demandé sans oser partager ses questionnements et inquiétudes.

«J’étais capable de gérer ça toute seule. Ce n’était pas si pire...»

Au fil des semaines et des mois par contre, les hallucinations ont été plus fréquentes. Les voix étaient dénigrantes, voire menaçantes.

«Tu es grosse, tu ne devrais pas manger ça... Tu ne réussiras pas ton examen... Si tu ne fais pas ça, je vais tuer ton chien...»

Un jour, lors d’une dispute familiale, la jeune fille s’est montrée particulièrement agressive envers sa mère.

«J’ai été super bête...»

Son père s’est fâché. L’attitude de l’ado était inexcusable.

«Oui, mais j’entends des voix qui me disent de faire cela!»

C’est ainsi que ses parents ont appris que leur grande n’allait pas bien, qu’il lui fallait de l’aide.

«Quelque chose ne fonctionnait pas dans ma tête...», dit-elle timidement.

Nous l’appellerons Léane pour les besoins de cette chronique.

Âgée de 18 ans, elle préfère ne pas être identifiée, mais accepte de revenir sur un pan de sa jeune vie marqué par des épisodes psychotiques.

Au printemps 2017, Léane était une élève du secondaire, une fille studieuse et sportive, celle à qui l’école a déjà décerné des méritas pour son comportement exemplaire et l’excellence de ses résultats scolaires.

Rien à redire contre cette ado épanouie qui, soit dit en passant, ne consommait aucune drogue.

Je le mentionne parce qu’on associe fréquemment toxicomanie et troubles psychotiques. La consommation augmente les risques, certes, mais différents facteurs peuvent déclencher un premier épisode, dont un niveau de stress élevé.

L’adolescence et le début de l’âge adulte sont synonymes de changements et de bouleversements. Positifs et négatifs.

Des jeunes vivent plus difficilement que d’autres le passage du secondaire au cégep, un déménagement, une rupture amoureuse...

«J’ai connu des étudiants dont le stress de fin d’année a été suffisant pour générer une psychose.»

Emmanuelle Seery est chef d’équipe et ergothérapeute à la clinique «Premiers épisodes psychotiques» de Trois-Rivières, un programme qui relève du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Présente lors de l’entrevue en ligne avec Léane, elle a d’abord pris soin d’apporter cette précision.

On a tous une petite voix dans notre tête.

«C’est normal de se parler à soi-même. Ce n’est pas une pathologie. C’est notre dialogue intérieur», rappelle l’intervenante.

C’est différent lorsqu’il s’agit d’hallucinations auditives.

La personne est persuadée d’avoir réellement entendu une voix non pas dans sa tête, mais par ses oreilles. Quelqu’un a parlé contre elle dans l’autobus...

«À cela peuvent s’accompagner des interprétations diverses, de la paranoïa, de la méfiance ou des idées délirantes. La personne se construit une histoire pour essayer de donner du sens à ces voix. La police la surveille. On lui veut du mal. Les Hells ont mis sa tête à prix alors qu’elle n’a aucun lien avec le crime organisé...» donne Emmanuelle Seery en exemple.

La cause de la psychose demeure inconnue dans le cas de Léane. La schizophrénie n’est pas non plus à l’origine de ses pertes de contact avec la réalité.

À trois reprises, elle a dû être hospitalisée à Rivière-des-Prairies, un établissement spécialisé en santé mentale pour les enfants et adolescents. Léane a vécu des rechutes psychotiques suivies d’une dépression et de pensées suicidaires.

Sur ce, Emmanuelle Seery précise: «Les idées suicidaires sont fréquentes durant les cinq premières années suivant un premier épisode psychotique. C’est très perturbant au niveau de l’identité du jeune.»

Ses projets tombent au même rythme que ses repères. Une période de doute s’installe. Le soutien est crucial.

Depuis la fin de l’année 2017, quatre cliniques PEP (Premiers épisodes psychotiques) ont vu le jour en Mauricie et au Centre-du-Québec.

Ce programme, qui existe à l’échelle de la province, vise le rétablissement de jeunes de 12 à 35 ans qui ont déjà fait une psychose ou qui sont à risque d’en faire une. L’accès à ce service en santé mentale est direct.

«Il arrive qu’un parent appelle à la ligne 811 en disant «Je ne sais plus quoi faire avec mon jeune», raconte Emmanuelle Seery.

Lorsque la situation racontée au bout du fil s’apparente à de la psychose, elle analyse le cas avec la collaboration d’un psychiatre. S’il s’agit bel et bien d’une problématique psychotique, le gars ou la fille sera évalué en moins de deux semaines.

Plus la durée de la psychose non traitée est courte, meilleur est le pronostic, même lorsqu’on n’arrive pas à mettre le doigt sur la source du problème.

«Lorsqu’on a le nez qui coule, on ne sait pas toujours si c’est en raison d’un rhume ou d’une allergie, mais on sait une chose, il faut se moucher. Même chose pour la psychose. Il ne faut pas attendre de connaître la cause exacte pour la traiter», image Emmanuelle Seery.

Le programme PEP offre également des services de réinsertion sociale à ces jeunes qui ne sont pas différents des autres malgré les difficultés rencontrées.

«On favorise leur retour à une vie normale avec tout ce que ça implique. Vivre en appartement, retourner aux études, poursuivre sur le marché du travail, développer des relations, etc. C’est vraiment ça notre mandat.»

Lorsque la pandémie sera chose du passé, les participants pourront de nouveau se réunir pour socialiser et s’amuser entre eux. D’ordinaire, diverses activités leur sont proposées pour sortir de chez eux et de leur tête.

Léane a repris ses études collégiales. Elle va de mieux en mieux.

«La médication fait vraiment effet. Je vis bien ma vie.»

Les voix s’affaiblissent et lorsqu’elles osent se faire entendre, Léane arrive à les faire taire. Elle apprend à gérer son stress.

Si la jeune femme a accepté de raconter son histoire, c’est pour tendre la main à la personne qui se reconnaît à travers son récit.

«Non, tu n’es pas folle», lui dit-elle doucement.

De l’aide existe et Léane souhaite montrer la voie.

«C’est vraiment important d’en parler, de ne pas rester seul avec ça dans sa tête. Ça fait tellement du bien après.»