En 1996, Céline avait 33 ans et travaillait comme couturière à Saint-Tite. Un matin d’hiver, elle covoiturait avec des collègues pour aller au travail. Un camion lourd qui a dévié un peu de sa voie, une plaque de glace noire et voilà! La voiture a terminé dans le fossé sur le côté de la route, la portière du côté de Céline a pris tout le choc. Traumatisme crânien. Sa vie n’a plus jamais été la même.
Aux Ateliers de la Fondation TCC (pour traumatisés craniocérébraux), il existe des dizaines d’histoires comme celle-là. Il y a Jasmine Gagnon, belle grande femme de 28 ans qui vit avec de sévères limitations physiques et cognitives depuis un accident de VTT, à l’âge de 15 ans. Mais soyez avertis, elle n’a rien perdu de son humour, et c’est visiblement contagieux.
Il y a Sylvain, Michel, Alain, Nancy...
Et ce matin, ils sont tous au poste, pour produire ces petits sachets d’ustensiles. Vous savez, ceux qui se retrouvent dans vos boîtes de poulet lorsque vous commandez votre repas aux Rôtisseries Ti-Coq. Ou encore ceux qu’on vous livre quand vous appelez au restaurant Bravo du secteur Cap-de-la-Madeleine, ou à la Rôtisserie Fusey du boulevard Thibeau.
Ou alors quand vous achetez les Sels Warwick, fort possible que l’un de ces travailleurs ait étiqueté l’emballage que vous tenez dans vos mains.
Les plateaux de travail des Ateliers de la Fondation TCC permettent ainsi, chaque semaine, à plus d’une cinquantaine de traumatisés craniocérébraux de se valoriser dans le travail et d’arrondir un peu les fins de mois grâce à des allocations financées par la Fondation Martin-Matte. Mais surtout, on leur permet de pouvoir socialiser tout en donnant du répit aux familles qui en ont elles aussi besoin. Et la recette fonctionne.
«Ça fonctionne tellement que nous sommes un peu victimes de notre succès», résume en riant le directeur général, Hugo Robillard-Auger, qui explique que d’autres plateaux de travail ont été ouverts pour répondre aux besoins. En plus de celui de la rue Bellerive dans le secteur Cap-de-la-Madeleine, on en compte maintenant à Victoriaville, Drummondville et à la Maison Martin-Matte de Trois-Rivières, qui accueille dix usagers depuis son ouverture. Des partenariats qui ont aussi pu voir le jour au Centre-du-Québec grâce à la Fondation Jacques et Michel Auger.
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Que ce soit pour l’ensachage d’ustensiles, l’étiquetage de divers produits ou encore le déchiquetage de documents confidentiels, les membres des Ateliers de la Fondation TCC ont dépassé en production les besoins des clients actuels. Et on ne veut pas décourager cet élan.
«On cherche des clients, c’est quand même incroyable à dire. On veut développer de nouveaux partenariats avec des restaurants. Avec la pandémie, on sait que les commandes pour emporter et les livraisons sont importantes, et on espère pouvoir rejoindre les restaurateurs qui voudraient bien faire affaire avec nous. On cherche aussi des entreprises qui auraient besoin de faire de l’étiquetage ou des places d’affaires qui ont besoin de services de déchiquetage. On espère que les gens considèrent nos services, parce que quand ils font appel à nous, ils permettent à ces gens de s’accomplir, de se valoriser et de briser l’isolement», mentionne M. Robillard-Auger.
Il faut dire que les membres ont de quoi être fiers. Bon an mal an, ce sont tout près d’un demi-million de sachets d’ustensiles qui sont fabriqués entre ces murs. De ce nombre, 90 % iront dans les boîtes des Rôtisseries Ti-Coq, pour qui les ateliers ont aussi confectionné un sachet personnalisé de serviette humide. Quand le client développe son petit essuie-doigts, il en apprend un peu sur la provenance de ses ustensiles... et forcément sur tout le bonheur que cette chaîne de travail procure.
Car pour Céline Gélinas, son travail aux ateliers est beaucoup plus qu’un gagne-pain ou qu’une occupation. C’est l’équivalent d’avoir une vie normale, malgré sa condition.
Il n’existe pas deux TCC ayant les mêmes limitations, les mêmes séquelles. Pour Céline, ça s’est traduit en une difficulté à se concentrer longtemps et par une grande fatigabilité. Pour Jasmine, le côté droit de son corps ne répond pas bien, et elle a du mal avec sa mémoire à court terme. On pourrait passer la journée à énumérer les différentes difficultés cognitives ou physiques qui se vivent chez toutes ces personnes.
Impossible donc de poursuivre dans un travail normal, où l’on doit atteindre des objectifs quotidiens précis et où la grande performance prévaut. La tâche qu’on donne à Céline Gélinas aux ateliers est parfaite pour elle. Personne pour lui pousser dans le dos. Elle produira ce qu’elle arrive à produire, selon l’énergie qu’elle peut y consacrer.
«Moi j’ai toujours travaillé dans la vie. Après l’accident, la première fois que j’ai reçu l’indemnité de la SAAQ, je n’étais pas bien. On me donnait de l’argent mais je n’avais rien fait pour. Quel mérite j’avais de recevoir ces sous? C’était mon estime à moi qui baissait. Ici, on me donne une responsabilité, mais aussi de l’estime. On a tous une raison de se lever le matin, de préparer son petit lunch et d’avoir quelque chose à accomplir. C’est peut-être banal de faire ça, mais pour moi c’est une fierté», confie Céline.
À travers ses années aux ateliers, Céline a pu voir évoluer aussi ses camarades. «Je pense à Alain, il ne parlait presque pas. Mais en venant ici, il a appris à dire des mots. J’y pense et j’en ai la chair de poule. Il y a des petits miracles qui se font ici. Ça nous a donné une deuxième vie», ajoute-t-elle.
Une deuxième vie qui nous fait voir avec un tout autre regard cette petite fourchette de plastique au fond de son sachet.