Depuis le début de l’année 2021, trois travailleurs du CHSLD Cloutier-du Rivage, dont deux préposés aux bénéficiaires de l’hébergement, sont décédés soudainement ou bien dans des circonstances troublantes. Un ancien préposé aux bénéficiaires qui n’étaient plus à l’emploi de ce centre depuis quelques mois est aussi décédé depuis le début de l’année 2021. Certaines de ces personnes ont malheureusement commis des gestes volontaires.
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Au front de la pandémie depuis près d’un an, les travailleurs de la santé vivent plus de stress que jamais. Lorsque plus rien ne va, des intervenants de la Ligne québécoise de prévention du suicide 1 866 APPELLE (277-3553) sont là en tout temps. Dans la région, le Centre de prévention du suicide Accalmie offre aussi du soutien. La ligue Info-Social du 811, option 2, permet aussi d’obtenir de l’écoute, du soutien et de l’aide.
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Avec les décès de collègues qui s’accumulent, la tension est vive au Centre Cloutier-du Rivage, ont témoigné des travailleurs de l’endroit qui tenaient à préserver leur identité par crainte de représailles de la part de leur employeur. Ces personnes mentionnent que les travailleurs de l’hébergement sont très inquiets et troublés par les récents événements.
Le cri du coeur d’une travailleuse
Une employée du CIUSSS MCQ a envoyé en quelque sorte une bouteille à la mer pour éveiller les consciences. Elle a écrit le 3 février une lettre adressée à la direction et à des gestionnaires du CIUSSS MCQ ainsi qu’aux médias qui témoignait de la grande détresse de certains travailleurs de Cloutier-du Rivage.
«Une grande détresse, dans les yeux de tous ceux que je croise, jour après jour, qui n’en peuvent plus de voir la mort. La mort de leurs résidents, de qui ils prennent soin depuis si longtemps déjà, qu’ils connaissent le nom de leurs proches, comme s’ils étaient de leur famille», a écrit une travailleuse des lieux dans une lettre envoyée à la direction et des gestionnaires du CIUSSS MCQ.
«Mais pire encore, récemment, nous devons tous vivre avec ces noms de collègues, d’amis, partis trop vite, parce qu’ils n’en pouvaient plus de cet isolement, de ces conditions de travail, de ces heures interminables, des vacances annulées, plus de travail et moins de ressources. Malheureusement cette triste réalité qui nous rattrape tous.»
La surcharge de travail des derniers mois engendrée par la pandémie et le stress constant des éclosions pèsent lourd sur tous les travailleurs de la santé actuellement. «Désinfection des mains, changer de masque, un à la fois dans l’escalier, désinfecter, laver, mais rien de tout ça ne fait du sens maintenant, car ce n’est pas la COVID-19 qui les emporte, c’est la détresse, les dommages collatéraux nous diront-ils. Je suis maintenant incapable de dormir paisiblement, me questionnant sans cesse de qui sera le prochain sur la liste», a poursuivi la professionnelle dans sa lettre.
«Quand on me disait que l’espérance de vie en CHSLD était maintenant de moins d’un an, j’étais loin de me douter que cette triste réalité s’appliquerait également à mes collègues. Serait-ce trop demander que de vouloir un ‘‘merci pour votre bon travail’’, ‘‘j’apprécie tes heures supplémentaires’’, ‘‘félicitations, vous avez fait des miracles avec ce résident’’?».
Manque de soutien des employés?
Les travailleurs de ce CHSLD de Trois-Rivières mentionnent qu’ils ne sentent pas l’appui de la part de certains de leurs gestionnaires dans ces moments difficiles. «On ne sent pas que les gestionnaires sont présents pour nous soutenir. Ils ont envoyé deux employés du psychosocial pendant deux jours après le décès d’une collègue pour que les gens qui en ressentent le besoin puissent parler, mais nous ne sommes pas libérés de nos tâches et personne ne veut lâcher son plan de travail pour une rencontre individuel», a témoigné ce week-end un autre professionnel de la santé de l’endroit avant que la direction annonce la tenue de rencontres de groupe.
«Quelque temps après, quand un autre collègue s’est enlevé la vie, il n’y a pas eu de tournée des étages pour annoncer la terrible nouvelle. Il n’y a eu qu’un communiqué écrit vendredi soir dernier.»
Les événements tragiques des dernières semaines soulèvent de nombreuses questions, estiment les représentants syndicaux.
«Il y avait de la détresse avant la pandémie. De plus en plus de personnes sonnent l’alarme dans de plus en plus de centres», soutient le président du Syndicat du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers du CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec (SPPSAM-CSN), Pascal Bastarache.
«Malheureusement, les employés ne se sentent pas soutenus. On doit pourtant faire preuve de solidarité à l’endroit des travailleurs de la santé.»
Le moral des travailleurs des CHSLD durement touchés lors de la première vague de la pandémie est particulièrement affecté, ajoute Pascal Bastarache. «Dans des endroits comme Cloutier ou Laflèche, les travailleurs ont vu plusieurs résidents qu’ils connaissaient bien décéder», précise Pascal Bastarache.
«On voit de plus en plus les répercussions de la première vague.»
Des voix s’élèvent également au sein des travailleurs aussi pour dénoncer «un climat de travail toxique» au CHSLD Cloutier-du Rivage. «On doit creuser plus loin pour le climat de travail avec les gestionnaires», affirme de son côté Nathalie Perron, présidente du Syndicat des professionnels en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec qui regroupe les infirmières, les infirmières auxiliaires et les inhalothérapeutes.
«On sait que les suicides c’est multifactoriel, mais il faut prendre ça au sérieux. Il faut enquêter davantage.»
Des services offerts rapidement, assure la direction
La direction du CIUSSS MCQ se dit très préoccupée par les récents événements, mais ne souhaite pas commenter précisément les décès des travailleurs pour des raisons de confidentialité.
«Il s’agit d’événements très malheureux et nous sommes de tout cœur avec les familles, les proches et avec nos employés à qui nous offrons toutes nos sympathies. Ce sont des moments difficiles qui se succèdent pour les équipes et c’est pourquoi nous assurons une présence constante et nous déployons toutes les ressources d’aide destinées à soutenir le personnel», affirme Geneviève Jauron, chef de service aux communications externes au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec
«Dès qu’un événement survient, nous déployons très rapidement plusieurs moyens afin de soutenir nos équipes, comme par la présence sur place d’intervenants psychosociaux, approche plus spécifique pour certains travailleurs, offre du programme d’aide aux employés, soutien des gestionnaires auprès des équipes.»
La direction du CIUSSS tenait aussi à rappeler que «des ressources existent et il ne faut jamais hésiter ni tarder à les utiliser».
«Ces services, accentués au cours de la dernière année, visent à agir en prévention, afin de favoriser le mieux-être de chacun. L’objectif est aussi de détecter et d’identifier précocement les personnes qui vivent de la détresse et d’intervenir promptement si une situation se présente», ajoute Geneviève Jauron.
«Ces services sont disponibles également pour les proches ou pour les soutenir dans la manière d’agir auprès d’une personne vivant des difficultés.»
En terminant, les employés du Centre Cloutier-du Rivage sont conviés à des rencontres «postventions» le mercredi 10 février en après-midi afin de permettre aux travailleurs d’exprimer leurs émotions.