Pour plusieurs, nous aurons appris à redécouvrir davantage notre intériorité. Nous avons mieux identifié et reconnu nos vulnérabilités et nos limites, mais aussi nos forces, nos ressources personnelles, développé notre résilience. Nous avons pu consacrer davantage de temps à la lecture, à visionner des documentaires, à réfléchir à certaines dimensions de notre existence, penser, méditer, jusque dans nos derniers retranchements psychologiques. Nous sommes plus présents, plus près de notre réalité humaine, de notre expérience, de nos besoins, de nos aspirations, de nos valeurs. Mais nous souffrons et nous pouvons avoir besoin d’aide.
Or, un moyen constructif de réagir envers le désespoir et les idées suicidaires éventuels, ainsi que pour aider les gens à intégrer des expériences difficiles, serait de soutenir bien davantage le réseau des organismes communautaires en santé mentale. Ces ressources sont bien impliquées dans leur milieu, ont la confiance de la population et connaissent ses besoins. Pourquoi sont-elles si souvent négligées par les autorités politiques? Certains dirigeants prétendent ces temps-ci se préoccuper des personnes en situation d’itinérance, alors qu’ils les ont toujours ignorées… Rappelons-nous que la rue n’est pas un centre de réhabilitation pour toxicomanes… Depuis plusieurs années, les services communautaires pour femmes victimes de violence se sont fait couper des fonds pourtant essentiels à leur fonctionnement. Les ressources communautaires pour hommes en difficulté sont toujours aussi rares ou inaccessibles. Les centres de crise et les centres communautaires de prévention du suicide demandent avec insistance de l’aide financière consistante depuis plusieurs années.
La pandémie a fait ressortir nombre de négligences préexistantes de la part de divers responsables gouvernementaux et municipaux en matière de santé mentale, un laisser-aller chronique dont les conséquences se manifestent dramatiquement en cette période de crise. Les autorités méconnaissent la problématique dans sa globalité. La notion même de santé mentale et les besoins de la population en la matière leur échappent. Également, on devra dorénavant favoriser une meilleure collaboration entre les ressources du Secteur public, les ressources communautaires, et les divers intervenants des cabinets professionnels; l’expertise professionnelle doit soutenir le réseau communautaire. Généralement, nous ne devrions plus tolérer que soient négligés la personne humaine et ses sentiments, son expérience vécue, sa dignité, ses besoins supérieurs, ses aspirations, ses valeurs essentielles, spirituelles, philosophiques, et éthiques. Les responsables politiques doivent aider à réparer les dégâts qu’ils ont en bonne partie causés au fil des ans par des décisions qui n’ont pas souvent tenu compte de la dimension humaine et de ses besoins en termes de qualité relationnelle.
Par ailleurs, la population aurait mérité d’être davantage remerciée et félicitée pour les sacrifices considérables et courageux qu’elle aura dû consentir durant cette pandémie. Plusieurs se sont sentis infantilisés par les remontrances de certains responsables. La grande majorité de la population a été d’une grande maturité et a très bien collaboré, jusqu’à l’épuisement. Dans ce système édifiant où on a fermé les librairies, les petits cafés et des places culturelles pour laisser ouvertes la Société des alcools et les boutiques de cannabis considérées semble-t-il comme plus «essentielles».
Prévenons le désespoir et le suicide en soutenant les ressources communautaires et en offrant le meilleur de nous-mêmes.
Ligne québécoise 24/7 de prévention du suicide: 1 866 APPELLE (277-3553)
L’auteur, Gaëtan Roussy, est psychologue et vice-président de l’Association des psychologues du Québec.