Confinement, âgisme et violence

La professeure-chercheuse Sylvie Lapierre

Trois-Rivières — Sylvie Lapierre n’a guère apprécié les propos du premier ministre François Legault, mercredi. «On a encore associé le mot ‘vulnérable’ aux personnes âgées», déplore-t-elle.


Cette professeure-chercheuse au département de psychologie de l’UQTR spécialisée dans les questions qui touchent les aînés aurait bien aimé que les journalistes posent certaines questions lorsque, durant le point de presse, on expliquait que les personnes de 65 ans et plus représentent 20% de la population et 80% des décès attribuables à la COVID-19.

«Malheureusement, aucun journaliste n’a demandé quelle était la proportion de ces décès qui provenaient des CHSLD ou de résidences», dit-elle. Ce sont, selon elle, les personnes affaiblies ou ayant des maladies chroniques qui sont les plus vulnérables à la COVID-19, pas les aînés. Généraliser en disant que ce sont les personnes âgées, en général, «a un impact négatif sur l’image et l’estime de soi des aînés», affirme-t-elle.

Des recherches portant sur la capacité des aînés démontrent en effet «qu’ils ont davantage de forces personnelles que de vulnérabilités et qu’ils font preuve de résilience tous les jours», dit-elle. Ils sont des modèles d’adaptation grâce aux stratégies qu’ils ont développées tout au long de leur vie et devant la pandémie», ajoute la chercheuse. Or, «on parle des aînés comme on parlait des femmes il y a 100 ans», fulmine-t-elle. Les messages sexistes d’autrefois se mutent aujourd’hui en messages d’âgisme, «même s’ils sont exprimés avec des intentions bienveillantes», précise-t-elle.

Sylvie Lapierre propose qu’au lieu d’infantiliser les aînés ou de leur manquer de respect en leur proposant avec insistance de rester à la maison, il vaudrait mieux «valoriser leurs forces et leurs talents, favoriser le développement de stratégies originales pour maintenir les contacts et, surtout, faire appel à leur aide, même si elle est à distance.»

«Il faut profiter de ce confinement-là pour remettre en question toutes les croyances qu’on a à propos du vieillissement. Les aînés devraient faire partie de la solution, comme tous les autres groupes d’âge», dit-elle.

Au laboratoire interdisciplinaire de recherche en gérontologie de l’UQTR, on se penche d’ailleurs sur la question des forces des aînés. Mme Lapierre invite les gens de 65 ans et plus à venir prendre part à cette étude en laissant un message sur le répondeur du laboratoire au 819-376-5090.

Dans la situation actuelle, la professeure Lapierre invite les gens à être créatifs et à trouver des stratégies qui aideront les aînés à s’adapter. Ça peut être des moyens démontrant que les aînés sont importants pour nous, propose-t-elle. «Je n’écoute ni les nouvelles ni la météo. Je laisse ma mère de 98 ans me raconter tout ça», illustre-t-elle.

La chercheuse s’inquiète davantage des personnes qui n’ont pas accès à Internet pour communiquer, s’ouvrir sur le monde et faire de nouveaux apprentissages.

Le confinement «met à rude épreuve nos capacités d’adaptation», et ce, peu importe l’âge. «Les émotions se bousculent pour tout le monde», fait valoir la professeure Suzanne Léveillée du département de psychologie de l’UQTR dont la spécialité porte principalement sur la violence conjugale.

La professeure Suzanne Léveillée

Vivre des pertes de liens avec la famille et se sentir isolé sont des réalités difficiles pour tous qui risquent d’exacerber cette violence «dans les familles ou les couples» de même qu’exacerber «les conflits, voire les comportements violents de certaines personnes», prévoit-elle.

À ces personnes, elle conseille vivement «d’oser demander de l’aide», car la violence peut surgir au sein du couple, mais il y a aussi des enfants qui voient leurs parents se disputer ou qui sont eux-mêmes violentés, fait-elle valoir. Il ne faut donc pas hésiter à s’ouvrir et au moins recourir aux lignes d’écoute. «En parler, ne pas rester complètement seul, c’est déjà un premier pas», plaide-t-elle.