De tous les volets des arts de la scène, la musique chorale est peut-être la plus vulnérable aux dangers de contagion. Regrouper des dizaines de choristes dans un espace clos alors que leur projection vocale favorise forcément la dispersion des aérosols néfastes dans l’air au-delà des deux mètres recommandés, ce serait aller à l’encontre de faire affront aux mesures sanitaires imposées par la Santé publique.
La plupart des nombreux choeurs de la région ont cessé leurs activités dès mars dernier et bien que certains aient tenté de reprendre les répétitions à l’automne, ils ont dû y renoncer avec le passage en zone rouge. Pas de concerts de Noël, pas de participation aux messes de minuit. À l’heure actuelle, le diocèse trifluvien a fixé à 25 le nombre maximal de fidèles pouvant assister à un office religieux. «S’il fallait qu’on chante à la messe de Noël, on aurait plus de choristes que de fidèles dans l’église», rigole Paul-André Bellefeuille, directeur musical de L’Orphéon de Trois-Rivières et aussi du Choeur Thompson.
«Au mois d’août, bien avant qu’on soit en zone rouge, Mgr Bouchard (l’évêque du diocèse) m’avait indiqué qu’en respect pour les règles sanitaires, il fallait oublier les messes mensuelles que nous chantions à la cathédrale, indique Bruno Blouin Robert, directeur musical des Petits Chanteurs de Trois-Rivières. On n’a pas reparlé de Noël depuis, mais maintenant qu’on est en zone rouge, je pense qu’on va oublier Noël aussi. Depuis 1988, alors que je chantais dans la Maîtrise du Cap, c’est la première fois que je vis ça.»
Des sacrifices
Ces Petits Chanteurs de la Maîtrise du Cap n’enjoliveront pas non plus la Messe de minuit au Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap. «Depuis 2001 que je suis à la tête de la chorale, c’est une triste première, déplore aussi Claire Bisaillon. Le choeur comme tel a complètement stoppé ses activités ce qui nous oblige aussi à laisser tomber notre traditionnel concert de Noël, une autre première. On a dû annuler le camp d’été de 2020 et la tournée prévue en Espagne; c’est beaucoup d’activités balayées par la pandémie.»
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Même constat pour les Petits Chanteurs de Trois-Rivières qui ont reporté la tournée prévue en Autriche et en République tchèque l’été prochain. «Comme on la reporte d’un an, on peut dire que c’est un moindre mal, mais pour mes finissants de sixième année, c’est tout un sacrifice. Même musicalement, c’est un gros coup parce que pour eux, c’est la grosse année, celle où ils ont davantage de solos, où ils sont davantage mis en évidence lors des concerts. C’est vraiment désolant.»
Les deux enseignants continuent néanmoins d’offrir des cours de chant en groupes restreints avec les élèves. «Je travaille avec les groupes en classes-bulles, explique Claire Bisaillon. J’arrive même parfois à enregistrer de petits vidéos à voix égales dans lesquels je peux superposer les voix, mais ça n’a rien à voir avec la vraie chorale. Ça nous manque beaucoup de chanter tout le monde ensemble. C’est vraiment dommage parce qu’on avait de très bons éléments dans le groupe de cette année et je vois bien que ça manque aux enfants. Heureusement, à cet âge, ils ont beaucoup de résilience.»
«J’arrive à faire chanter les jeunes en les gardant à deux mètres de distance et en imposant le port d’une visière, mais les jeunes ont besoin de chanter devant des gens, dit Bruno Blouin Robert. Par ailleurs, on a même travaillé sur ZOOM au printemps dernier et franchement, c’était extrêmement difficile. C’est vraiment parce qu’on tenait absolument à les faire chanter.»
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«Au cours d’une année normale, c’est autour d’une trentaine de prestations publiques de toutes sortes qu’on présente et là, depuis mars dernier, tout est tombé à plat.» Petite consolation peut-être : avec la collaboration de Culture Trois-Rivières, on essaie d’organiser une prestation à l’extérieur devant une résidence pour personnes âgées qui pourraient y assister depuis leur balcon.
À un autre niveau, Raymond Perrin, directeur musical de Vocalys et responsable du Choeur de l’OSTR, arrive à travailler avec les groupes auxquels il enseigne dans deux Conservatoires et à l’Université de Montréal, mais c’est au prix d’énormément de compromis.
«J’essaie de lire le plus possible sur le sujet des conditions de transmission et j’en ai conclu que le 2 mètres de distance n’est pas suffisant pour des chanteurs. Même avec le port du masque, je dispose les choristes à 2 ½ mètres ou 3 mètres de distance les uns des autres et aucun des chanteurs ne doit être placé derrière un autre. On chante pendant une vingtaine de minutes au maximum et on quitte la pièce pour laisser les aérosols retomber. Quand on chante, les conditions sont différentes de la simple conversation : la dispersion des microgouttelettes s’apparente plus à celle de la fumée et la projection atteint quelque 4 ou 5 mètres en avant du chanteur.»
Lors de ses sessions d’enseignement, il fait alterner le chant avec des sessions d’écoute et de littérature chorale. «Avec ces élèves-là, au moins, on ne fait pas de concert. Mais pour ce qui est des choeurs trifluviens que je dirige, on oublie ça : pas question de se réunir.»
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«À L’Orphéon, on compte environ 65 choristes, calcule Paul-André Bellefeuille. On ne peut pas imaginer réunir tout ce monde-là dans un même lieu de façon sécuritaire. Avant même le confinement en mars, au conseil d’administration on avait conclu qu’il n’était pas question de mettre la santé des choristes en péril.»
«La saison des Fêtes est toujours la grosse saison pour tous les choeurs et on est tous forcés à l’arrêt. C’est dommage pour les choristes, mais aussi pour le public : les gens adorent la musique de Noël et les cantiques. Ce sont toujours les concerts les plus courus. Il y en a qui ont besoin de leur Minuit, Chrétiens à chaque année.»
Pour lui qui, bon an mal an, gagnait sa vie comme musicien, les conséquences sont assez désolantes. «Avec la musique d’église, la direction de choeurs, j’arrivais à me faire un revenu décent. Là, presque tout est tombé à zéro. Je n’ai pas eu le choix : il m’a fallu me recycler. J’ai été chanceux et je me suis déniché un emploi à fabriquer des portes et des fenêtres.»
«C’est dur pour le métier de musicien, convient Raymond Perrin. Moi, je suis privilégié parce que j’ai de bons postes d’enseignements, mais je crains pour le métier de chef de choeur totalement sur pause à l’heure actuelle. Une étude québécoise démontre qu’au moins 10 % d’entre eux ont déjà laissé tomber pour faire autre chose.»
«C’est vrai aussi pour les chanteurs. Un grand nombre de chorales sont à l’arrêt depuis mars dernier et personne ne sait quand on pourra reprendre les activités. Entretemps, beaucoup de choristes ont découvert un autre passe-temps. Combien d’entre eux vont reprendre l’engagement de la chorale dans quelques mois? Ça risque d’être une des activités qui, à cause de sa nature même, va être parmi les dernières à reprendre normalement pour éviter tout risque de contagion. J’imagine que c’est la vaccination qui va finir par faire la différence, mais malgré les avancées actuelles, ce n’est pas pour demain.»
Le manque
Les intervenants consultés ont tous dit qu’ils vont beaucoup s’ennuyer de la musique de Noël. Tous sauf un. «Ça fait depuis l’âge de huit ans que je prépare des concerts de Noël chaque année, explique Paul-André Bellefeuille. Pour L’Orphéon, je commence à travailler sur le concert de Noël dès le mois d’août. En toute honnêteté, le chant choral me manque, mais la musique de Noël, pas tellement. Ça se peut que j’écoute du Mötley Crüe chez moi cette année!»
«J’adore la musique liturgique qui demeure au centre de mon travail, commente pour sa part Raymond Perrin. Cependant, c’est souvent une musique assez sombre. Quand on tombe dans le répertoire de Noël, on chante enfin la joie; ça fait du bien! Au début de l’année 2020, je rêvais même de remettre sur pied le concept du Grand Noël Choral qu’on a fait pendant quelques années à l’église Ste-Cécile. C’était rassembleur, réjouissant et musicalement, ça ouvrait à la possibilité rare de faire de la musique qui requiert plusieurs choeurs. J’avoue que ça me manque.»
«C’est sûr que la chorale à Noël, ça me manque, clame Claire Bissaillon. Les voix d’enfants chantant des cantiques, qu’on le veuille ou non, c’est magique. Et on sait bien qu’on rejoint un très vaste public parce que les gens adorent ça et je les comprends. Ça me manque comme directrice de la chorale, mais aussi comme chanteuse au sein de Vocalys. Ça va être très, très étrange de passer un Noël sans chanter ou diriger cette année.»