Avant de traiter l’obésité, chercher la cause

La professeure Johana Monthuy-Blanc, directrice du laboratoire Loricorps de l’UQTR.

TROIS-RIVIÈRES — Pas moins de quatre millions d’adultes québécois sont en surpoids et 1,7 million sont considérés comme obèses. À elle seule, l’obésité des adultes coûte presque 3 milliards $ annuellement aux contribuables, rappelait tout récemment la Coalition québécoise sur la problématique du poids.


Il y a quelques jours, de nouvelles lignes directrices canadiennes de pratique clinique pour traiter l’obésité chez l’adulte ont été rendues publiques. Désormais, les conseils servis aux personnes obèses de manger moins et de bouger plus pour perdre du poids sont non seulement insuffisants, mais peuvent même être contreproductifs, ont constaté les chercheurs.

À l’Université du Québec à Trois-Rivières, le groupe de recherche transdisciplinaire des troubles du comportement alimentaire Loricorps a été créé en 2014 par un groupe de scientifiques intéressés par la question des troubles alimentaires.



Pour sa directrice, Johana Monthuy-Blanc, l’obésité est bel et bien une maladie, mais ce qui la rend si difficile à traiter c’est qu’il ne suffit pas d’imposer un régime strict et un programme d’exercices. La cause de l’obésité peut être, dans certains cas, multifactorielle, dit-elle. La bonne fourchette n’est pas la seule explication. On sait déjà que l’obésité peut être provoquée par des troubles métaboliques également. Ce qui est moins connu toutefois, même des praticiens de la santé, c’est que le phénomène peut également relever de troubles de santé mentale. C’est le cas de l’hyperphagie boulimique, explique Mme Monthuy-Blanc.

La chercheuse n’en démord pas: pour aider une personne obèse, il faut se pencher sur l’origine de son problème, dit-elle.

En 2018, le magazine Cosmopolitan présentait en couverture une femme obèse en maillot de bain censée représenter un pas de géant dans la perception positive du corps.

Du point de vue médical, explique la professeure Monthuy-Blanc, il est clair que cette image, de plus en plus banalisée dans notre société, ne peut en aucun cas devenir la nouvelle norme, et ce, pour des questions de santé. Le médecin pressera donc une telle personne à revenir à un poids santé pour éviter des complications graves.



La chercheuse plaide toutefois qu’il faut être très prudent face à la «grossophobie», car elle peut facilement stigmatiser la personne en surpoids. Il faut aussi faire un travail psychologique pour éviter de créer un effet de contre-pied qui inciterait la personne obèse à se plonger dans une tendance encore pire.

Johana Monthuy-Blanc estime qu’il faut donc aller à la cause de la cause avant d’intervenir. «Il faut toujours une évaluation physique et mentale», plaide-t-elle. «On pourrait avoir les meilleurs traitements pharmacologiques, biochimiques ou psychosociaux, on n’arrivera jamais à atteindre la cible» sans cette approche, dit-elle.

Certaines personnes qui ont recours au Loricorps dans l’espoir d’abaisser leur poids ont souvent déjà eu deux gastroplasties auparavant, «avec les complications que ça implique», souligne-t-elle. Une patiente en a même eu quatre. Pourtant, rien n’a changé à long terme pour ces personnes.

Cela laisse supposer qu’on «n’a pas très bien dépisté l’origine de leur obésité», dit-elle. Ces personnes ont eu beau consulter des nutritionnistes, «si en arrière-plan elles ont un trouble d’accès hyperphagique, on pourra trouver toutes les interventions moléculaires ou nutritionnelles, ça ne pourra pas fonctionner», plaide-t-elle. «C’est un problème d’évaluation».

Le Loricorps offre donc aussi de la formation continue auprès des professionnels de la santé. La professeure Monthuy-Blanc est toujours surprise de constater qu’ils sont 75 %, dans la salle, «qui pensent toujours, en 2020, que les troubles du comportement alimentaire s’arrêtent à l’anorexie mentale et la boulimie alors que les troubles d’accès hyperphagiques sont les plus courants», insiste-t-elle. «Ils figurent depuis 2013 dans la Bible de la santé mentale», souligne-t-elle.

Sans cette connaissance, les professionnels de la santé ne pourront analyser les problèmes de surpoids d’une personne que sur le plan métabolique et leurs interventions ne seront que nutritionnelles ou pharmacologiques. Leurs patients auront peu de chances de s’en sortir une fois pour toutes.



«Le problème de l’obésité est vraiment là», analyse la directrice du Loricorps.

«Si j’étais provocatrice et que je devais écrire un article, j’écrirais que la meilleure intervention ou le meilleur médicament de l’obésité est l’alimentation intuitive. Apprenons de la façon dont les enfants mangent», propose Johana Monthuy-Blanc.

Les études les plus récentes démontrent que l’alimentation la meilleure est celle qui est diversifiée et mieux encore, intuitive, explique-t-elle. «Le mangeur intuitif, c’est celui qui mange de façon diversifiée naturellement, mais sans jamais avoir de culpabilité», explique-t-elle. «Or, la culpabilité mène à l’obésité», précise la chercheuse.

Forcer un enfant à finir son assiette alors qu’il n’a plus faim vient complètement casser ce don intuitif dont les petits enfants font preuve avant même de savoir parler. La prévention de l’obésité doit donc commencer bien plut tôt qu’on le croyait.